Le licenciement pour insuffisance professionnelle en droit sénégalais. Par Oumar Ly, Juriste.

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Le licenciement pour insuffisance professionnelle en droit sénégalais.

Par Oumar Ly, Juriste.

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Le licenciement pour motif personnel est celui fondé sur un motif inhérent à la personne du travailleur tel que l’insuffisance professionnelle. En droit sénégalais, le licenciement pour insuffisance professionnelle est prévu par certains textes spéciaux. Par ailleurs, ce type de licenciement est soumis au droit commun du travail sénégalais bien qu’il ne soit pas expressément prévu par le Code du travail sénégalais.

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Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne, le salarié, exerce son activité professionnelle au profit et sous la subordination d’une autre personne, l’employeur, qui lui verse en contrepartie une rémunération. Il peut être conclu soit pour une durée déterminée, soit pour une durée indéterminée. Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, les parties ont la possibilité d’y mettre fin à tout moment en raison de la prohibition des engagements perpétuels. Ainsi, si l’initiative de la rupture émane du salarié, on est en présence d’une démission. Lorsqu’en revanche, elle s’apprécie du côté de l’employeur, on parle alors de licenciement.

Généralement, on distingue le licenciement pour motif économique du licenciement pour motif personnel.

Le licenciement pour motif personnel est celui fondé sur un motif lié à la personne du travailleur tel que l’inaptitude physique ou professionnelle, la faute ou encore toute autre circonstance pouvant se rattacher à la personne de l’employé. Le motif personnel est donc tout comportement ou défaut du travailleur incompatible avec le maintien du contrat de travail. Il doit être justifié par un motif légitime tel que l’insuffisance professionnelle. On parle alors dans ce cas de licenciement pour insuffisance professionnelle.

I) La notion d’insuffisance professionnelle.

À défaut d’une définition légale de l’insuffisance professionnelle en droit sénégalais, il y a lieu de se référer à la définition doctrinale de la notion. En effet, selon la doctrine, l’insuffisance professionnelle se caractérise par le fait que le salarié n’est pas en mesure d’exécuter sa prestation de travail dans des conditions que l’employeur peut légitimement attendre en application du contrat de travail [1].

Elle recouvre en réalité trois situations : l’insuffisance de résultats, l’incompétence professionnelle et l’inadaptation professionnelle.

L’insuffisance de résultats est définie comme l’incapacité d’un salarié dont l’activité est mesurée par des critères quantitatifs à remplir les objectifs qui lui ont été assignés, soit en raison de son insuffisance professionnelle, soit en raison d’une carence fautive (Voir l’article de Laura Chambon Insuffisance professionnelle et insuffisance de résultats).

C’est le cas par exemple des commerciaux qui n’ont pas atteint les quotas fixés par leur directeur commercial ou encore la négligence dans la prospection de la clientèle qui a entraîné l’insuffisance de résultats [2].

Rappelons cependant que l’insuffisance de résultats n’est pas en lui-même une cause réelle et sérieuse permettant de mettre fin au contrat de travail. Ainsi, pour qu’un employé puisse être licencié pour insuffisance de résultats, l’employeur doit démontrer que les mauvais résultats résultent soit d’une faute du salarié soit d’une insuffisance ou incapacité professionnelle [3].

Par ailleurs, les clauses de résultats (clauses d’objectifs ou clauses résolutoires) sont inopérantes. En effet, les clauses prévoyant que la non-réalisation des objectifs fixés constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ne privent pas les juges de leur pouvoir d’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement [4].

L’incompétence professionnelle désigne la situation du salarié qui ne fournit pas la prestation attendue, ou ne parvient pas à remplir ses fonctions en totalité ou avec la rapidité imposée. Ce sera par exemple le cas d’un directeur commercial qui se révèle incapable de faire face à l’accroissement de ses fonctions qu’elle avait accepté et qui étaient compensées par une augmentation de rémunération [5].

L’inadaptation professionnelle renvoient aux situations où le salarié ne parvient pas à prendre en compte les évolutions techniques dans l’exécution de ses attributions, nonobstant les efforts faits par l’employeur pour assurer son adaptation [6].

Après avoir défini l’insuffisance professionnelle, il importe de signaler que l’insuffisance professionnelle n’est pas une faute. Quoiqu’il en soit, l’employeur qui souhaite licencier pour un manque professionnel doit faire un choix : soit il décide de se situer sur le terrain disciplinaire et il doit déterminer la faute, soit il se concentre sur l’insuffisance professionnelle qui n’est pas une faute [7].

II) Le licenciement pour insuffisance professionnelle au regard de certains textes spéciaux.

Même si la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 ne consacre pas explicitement le licenciement pour insuffisance professionnelle, il existe néanmoins deux textes juridiques qui le prévoient. Il s’agit du décret n° 2012-371 du 27 mars 2012 abrogeant et remplaçant le décret n° 99-86 du 4 février 1999 portant Règlement d’établissement de l’Institut sénégalais de Recherches agricoles (ISRA) et du décret n° 2015-1147 du 03 août 2015 portant Règlement d’établissement de l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA).

L’article 81 du décret n° 2012-371 dispose que l’agent dont la note est inférieure à 30/100 fera obligatoirement l’objet d’un avertissement écrit. L’alinéa 2 du même article ajoute que deux avertissements successifs pour ce motif entraînent le licenciement avec préavis pour insuffisance professionnelle. De même, toute note moyenne sur deux années inférieure à 20/100 entraîne le licenciement avec préavis pour insuffisance professionnelle. Toutefois, les deux notes annuelles doivent être confirmées par une commission paritaire de recours, instituée par le directeur général de l’ISRA [8].

Le décret n° 2015-1147 a prévu des dispositions similaires à celles du décret 2012-371. En effet, l’article 53 dudit décret soutient que l’agent dont la note moyenne, sur deux semestres successifs, est inférieure à 07/20 fera obligatoirement l’objet d’un avertissement écrit. Trois avertissements successifs pour ce motif entraînent le licenciement avec préavis, pour insuffisance professionnelle. Également, toute note moyenne, sur deux semestres successifs, inférieure à 04/20 entrainent le licenciement avec préavis pour insuffisance professionnelle [9].

Ainsi, chaque agent de l’ISRA fait l’objet d’une notation périodique [10]. Il en est de même des agents de l’ITA. C’est ce qui ressort en effet de l’article 44 du décret 2015-1147 aux termes duquel chaque agent fait l’objet d’une évaluation semestrielle [11].

Pour justifier sa décision de licencier un salarié pour insuffisance professionnelle, l’employeur peut s’appuyer ainsi sur divers éléments lui permettant de mettre en évidence des faits objectifs. Parmi ces éléments, on peut citer : la non-réalisation d’objectifs, le résultat d’une évaluation, le témoignage, un test ou examen, le temps d’exécution d’une tâche, etc [12].

Par ailleurs, le Conseil d’État français, a estimé que l’insuffisance professionnelle d’un enseignant pouvant fonder son licenciement peut être constatée à l’occasion d’une inspection portant sur son activité examinée dans la durée [13].

La preuve de l’insuffisance professionnelle du salarié pèse ainsi sur l’employeur. C’est ce qui émane d’une décision du tribunal du travail en date du 05 décembre 1991.

Ainsi, la jurisprudence sénégalaise exige d’établir la performance non satisfaisante du travailleur et de lui adresser une demande d’explications avant de procéder à son licenciement [14].

Le législateur national impose également à l’ISRA de former ses employés. En effet, dans le cadre de plans annuels de formation dûment approuvés par ses organes statutaires, l’Institut sénégalais de Recherches agricoles (ISRA) organise à l’intention de ses agents, et en dehors de la période d’essai, des cours théoriques et pratiques de formation et d’adaptation à l’emploi [15].

Cette obligation de formation pèse aussi sur l’ITA. Ainsi, dans la limite de ses moyens, l’Institut de Technologie alimentaire (ITA) organise, pour ses agents, des cours et des stages pratiques de formation et d’adaptation à l’emploi au Sénégal ou à l’étranger [16].

Il importe néanmoins de préciser que le Code du travail n’oblige pas l’employeur d’assurer la formation professionnelle de ses employés. C’est ce qui ressort de l’article L75 dudit code aux termes duquel, le contrat de travail, ou ultérieurement un avenant à ce contrat, peut prévoir une formation professionnelle en alternance ou en formation continue ou un stage. La formation professionnelle des salariés est ainsi une possibilité et non une obligation qui pèse sur l’employeur. Ceci est confirmé d’ailleurs par l’article 35 de la Convention collective nationale interprofessionnelle qui dispose que

« dans un but de promotion sociale et économique, l’entreprise est en droit d’exiger du personnel en fonction qu’il suive des cours de formation ou de perfectionnement professionnel que nécessitent l’exercice de son emploi et l’adaptation à l’évolution économique… ».

Cependant, les dispositions relatives au licenciement pour insuffisance professionnelle ne font pas obstacle, à ce que l’agent dont la manière de servir est nettement mauvaise, puisse être licencié, à tout moment, en application des dispositions du Code du travail. C’est ce qui résulte de l’article 81 in fine du décret n° 2012-371 et de l’article 53 dernier alinéa du décret n° 2015-1147.

III) Le licenciement pour insuffisance professionnelle au regard du droit commun du travail.

Le Code du travail Sénégalais ne prévoit pas expressément la possibilité pour un employeur de procéder au licenciement d’un employé pour insuffisance professionnelle. Toutefois, il ne l’interdit pas non plus. En toute situation, le code exige que tout licenciement repose obligatoirement sur l’existence d’un motif légitime que l’employeur doit démontrer.

Néanmoins, selon la recommandation (OIT) n° 166 sur le licenciement,

« un travailleur ne devrait pas être licencié pour insuffisance professionnelle, à moins que l’employeur ne lui ait donné les instructions appropriées et ne l’ait dûment averti par écrit et que le travailleur continue à ne pas s’acquitter de son travail de manière satisfaisante après l’expiration d’un délai raisonnable qui devrait lui permettre d’y parvenir ».

L’insuffisance professionnelle est un motif personnel de licenciement. De ce fait, l’employé qui manque manifestement de compétence dans l’exécution de son travail peut faire l’objet d’un licenciement pour motif personnel.

En effet, le licenciement pour motif personnel est une sanction que l’employeur peut infliger à un salarié sous réverse de respecter certaines conditions particulières relatives, notamment, au préavis, au paiement de l’indemnité de licenciement et le cas échéant de l’indemnité de congé.

Le licenciement pour motif personnel est subordonné à un préavis notifié par écrit par l’employeur. Ce préavis ne doit être subordonné à aucune condition suspensive ou résolutoire. Il commence à courir à compter de la date de la remise de la notification. Le motif de rupture du contrat doit en outre figurer dans cette notification [17]. Cette notification doit être faite, soit par envoi d’une lettre recommandée, soit par une remise directe de la lettre au destinataire, contre reçu ou devant témoins [18]. Il appartient à l’employeur qui prend l’initiative de la rupture du contrat de faire la preuve que cette rupture a été notifiée par écrit [19].

Ajoutons que selon l’article L53 du Code du travail, tout licenciement pour motif personnel intervenu sans préavis ou sans que le délai de préavis ait été intégralement observé emporte obligation pour l’employeur, de verser au salarié licencié une indemnité dite « indemnité de préavis » dont le montant correspond à la rémunération et aux avantages de toute nature dont il aurait bénéficié durant le délai de préavis qui n’aura pas été effectivement respecté.

En outre, au sens de l’article 22 de la convention collective nationale interprofessionnelle, la date de la notification est celle où la lettre a été remise au travailleur soit par la poste, soit contre décharge signée du travailleur, soit devant témoins.

La durée du préavis est en principe fixée comme ci-dessous :
- Un mois (01) pour les travailleurs mensuels non cadres ;
- Trois mois (03) pour les cadres et assimilés ;
- Huit (08) à quinze (15) jours ou un (01) mois pour les ouvriers et personnels permanents payés à l’heure selon la catégorie et la durée de présence au sein de l’entreprise [20].

Il est également prévu que si le licenciement d’un travailleur intervient sans observation de la formalité de la notification écrite de la rupture ou de l’indication d’un motif légitime, ce licenciement irrégulier en la forme ne peut être considéré comme abusif. Néanmoins, le tribunal peut accorder au travailleur une indemnité pour sanctionner l’inobservation des règles de forme [21].

De plus, l’employeur qui décide de licencier pour insuffisance professionnel un salarié ayant accompli dans l’entreprise une durée de service au moins égale à 12 mois doit lui verser une indemnité de licenciement. Cette indemnité est représentée, pour chaque année de présence accomplie dans l’entreprise, par un pourcentage déterminé du salaire global mensuel moyen des 12 derniers mois d’activité qui ont précédé la date de licenciement [22].

Ce pourcentage est fixé par année de service à :
- 25% pour les 5 premières années ;
- 30% pour les années suivantes ;
- 40% pour la période s’étendant au-delà de la dixième année [23].

En définitive, il convient de préciser que, cette indemnité est due chaque fois que les conditions susvisées sont remplies, sauf lorsque la rupture du contrat de travail résulte d’une faute lourde du travailleur [24].

En cas de licenciement pour insuffisance professionnelle d’un travailleur avant qu’il n’ait acquis droit de jouissance au congé, il doit percevoir, en place du congé, une indemnité compensatrice de congé calculée sur les bases des droits acquis [25].

Dans ce cas, l’indemnité de congé est calculée suivant les règles applicables aux congés payés suivant lesquelles, pour le congé pris à l’échéance de la période réelle de 12 mois, l’employeur doit verser au travailleur au moment de son départ, une allocation égale à 1/12ème des sommes perçues par ce dernier au cours de ladite période.

Ces indemnités versées au salarié ne comprennent pas, l’indemnité de logement et les indemnités ayant le caractère de remboursement de frais ou des prestations en nature liées accessoirement à l’emploi [26].

Oumar Ly
Diplômé en Droit de l\’Entreprise
Juriste collaborateur Chez Etude Maître Ndiaye
E-mail : oumar-n1 chez outlook.com

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Notes de l'article:

[1« Insuffisance professionnelle », fiche d’orientation, Dalloz septembre 2022, consulté le 19/01/2023 sur : https://www.dalloz.fr/documentation/Document id=DZ%2FOASIS%2F000551&FromId=OASIS_LISTE_ALPHA_GENERALES&pwt=connect-talpha

[2Cass. Soc., 29 janv. 2014, n° 12-21.516 : absence totale de vente de certains produits.

[3Cass. Soc., 11 juillet 2001.

[4Soc. 14 nov. 2000, préc.

[5Cass. Soc., 28 mars 1985, no 82-40.899.

[6Cass. soc., 26 juin 1985, no 81-42.870.

[7Cass. Soc., 31 mars 1998.

[8Article 81 alinéa 3.

[9Article 53 alinéa 2.

[10Article 73 alinéa 3

[11Les modalités et les critères d’évaluation, par catégorie socioprofessionnelle, sont proposés par une commission mise en place par le Directeur général de l’Institut de Technologie alimentaire (ITA).
En outre, le Conseil d’Administration de l’ITA est chargé d’approuver les modalités et les critères d’évaluation des agents de l’institut (Article 44 alinéa 2 du décret 2015-1147).

[12Laura Chambon, op. cit.

[13CE 1er juin 2016, req. n° 392621

[14Tribunal du travail, 05 décembre 1991. TPOM n° 800 du 16 avril 1933.

[15Article 48 du décret n° 2012-371.

[16Article 21 du décret 2015-1147.

[17Article L50 du Code du travail.

[18Article 22 de la Convention collective nationale interprofessionnelle (CCNI).

[19Ibid.

[20Article 23 de la CCNI.

[21Article L51 du Code du travail.

[22Article 30 de la CCNI.

[23Ibid.

[24Article 30 de la CCNI

[25Article 58 de la CCNI.

[26Article L153 du Code du travail.

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