[Sénégal] Réforme du secteur parapublic, entre modernité et ambiguïté. Par Pathé Diallo Omar Fall, Juristes.

[Sénégal] Réforme du secteur parapublic, entre modernité et ambiguïté.

Par Pathé Diallo Omar Fall, Juristes.

1173 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # réforme juridique # secteur parapublic # modernisation # ambiguïté juridique

La loi d’orientation n°2022-08 du 19 avril 2022 a réformé en profondeur le secteur parapublic au Sénégal, en modernisant un cadre normatif et institutionnel jugé obsolète. Cette réforme vise à adapter la gestion publique aux mutations économiques et sociales par des ajustements institutionnels, des simplifications et des clarifications. Elle abroge une ancienne loi (de 1990) devenue inefficace face à la prolifération des dérogations dans un domaine en constante mutation.
Cependant, malgré ses ambitions, cette réforme présente des risques, notamment des conflits normatifs. L’intégration d’établissements publics gérant des services administratifs dans un secteur dominé par la logique de rentabilité soulève également des préoccupations quant au respect des principes traditionnels du service public.

-

Au Sénégal, le secteur parapublic a connu une refonte majeure introduite par la loi d’orientation n°2022-08 du 19 avril 2022 relative au secteur parapublic, au suivi du portefeuille de l’État et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique. Présentée comme un outil de modernisation d’un secteur hautement stratégique et par nature vital pour l’État, mais baignant dans un cadre normatif d’un autre âge, la réforme opère des ajustements institutionnels et normatifs ainsi que des clarifications et des simplifications qui cadrent avec la nouvelle philosophie qui anime la gestion publique.
Cette loi introduite à point nommé abrège, pour ainsi dire, les souffrances d’une vieille loi mourante sous le poids des dérogations qui n’ont cessé de se multiplier dans un domaine en constantes mutations. Pour autant, à force de manier l’encensoir, on risque de perdre de vue le revers de la médaille.
En deçà des objectifs acclamés gisent des niches à imbroglios juridiques et à contenus normatifs conflictogènes. De plus, l’insertion des établissements publics gérant des services publics administratifs classiques dans un champ dominé par la logique de rentabilité laisse entrevoir des perspectives, pour le moins, inquiétantes pour tout défenseur des principes orthodoxes du service public.
Tout bien considéré, la nouvelle réforme du secteur parapublic oscille entre modernité (I) et ambiguïté (II).

I- Une nécessaire mise à jour.

La réforme du secteur parapublic vise l’harmonisation, la clarification et la simplification du cadre juridique dans lequel évoluent les entités parapubliques. Elle a permis de lever des anachronismes et opère des aggiornamentos sur le double plan normatif (A) et institutionnel (B).

A-Sur le plan normatif.

Sur le plan normatif, le paysage juridique des entités du secteur parapublic a vu, sous l’effet du développement et des mutations du droit communautaire, l’apparition d’incohérences et de désordre normatif qui ont justifié sa nécessaire refonte. En effet, l’environnement du droit des affaires a été marqué ces dernières années par l’irruption du droit de l’OHADA avec notamment l’acte uniforme portant droit commercial général et l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et adoptés respectivement en 2010 et 2023.
Ce droit uniforme d’application directe et obligatoire dans tous les États concernés, nonobstant toute disposition du droit interne antérieur ou postérieur, s’applique aux entreprises publiques en même temps que l’ancienne loi. Cette situation a donné lieu à un enchevêtrement de textes normatifs qu’il a fallu, par une réforme, résorber à travers l’harmonisation du cadre juridique du secteur parapublic. De surcroît, la loi de 90 ne prenait en compte que les établissements publics à caractère industriel et commercial, excluant ainsi de son périmètre les établissements publics à caractère administratif en vue de leur réintégration dans le cadre des administrations publiques. Cet objectif n’a pas pu être réalisé, créant un vide juridique que les transformations du cadre institutionnel des établissements publics n’ont fait qu’accroître.

B- Sur le plan institutionnel.

Le cadre institutionnel qui découlait de la loi 90-07 a été surplombé par l’essor de nouvelles catégories d’établissements publics. Il s’agit notamment des établissements publics à caractère scientifique et technologique, des établissements publics de santé, des établissements publics de formation professionnelle et technique et des établissements d’enseignement supérieur public. Ces nouvelles catégories d’établissements publics, sous-traités au périmètre de la loi 90 précitée, sont régies, chacune, par des textes spécifiques. 
De cette situation résulte un cadre institutionnel peu harmonieux et désorganisé où cohabitent des textes éparpillés et désarticulés.
La nouvelle réforme du secteur parapublic a procédé à l’harmonisation et à la simplification de cet écosystème en regroupant ces établissements publics avec les agences d’exécution et les structures assimilées, y compris les établissements publics à caractère industriel et commercial, sous le vocable générique d’« organismes publics ». Désormais, le cadre institutionnel du secteur parapublic comprend, d’une part, les organismes publics et, d’autre part, des sociétés publiques. L’expression « sociétés publiques » remplace celle d’« entreprises publiques ». En outre, le comité consultatif du secteur parapublic devient, sous l’empire de la nouvelle loi, le comité de suivi du secteur parapublic.
Ce changement de dénomination implique un renforcement des compétences de cet organe dont l’avis est obligatoirement requis dans toutes les matières relevant de son objet, sous peine de nullité de l’acte qui en découlerait. De plus, un fonds de relance a été institué pour redresser les sociétés publiques en difficulté.

II- Un remodelage farci d’ambiguïtés.

La réforme du secteur parapublic est source d’énormes difficultés qui peuvent être appréhendées sous deux ordres. Elle est, d’une part, à l’origine d’une incohérence juridique (A), et d’autre part, elle constitue, sur le long terme, un coup dur aux principes de base du service public (B).

A- Des contenus normatifs conflictogènes.

La loi relative au secteur parapublic, au suivi du portefeuille de l’État et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant le concours financier de la puissance publique laisse subsister des textes spécifiques régissant en même temps qu’elle les entités de ce secteur. Notons à cet effet que les dispositions de la loi nouvelle s’imposent au cas où elles sont en conflit avec ces règles particulières. Toutefois, les dispositions particulières qui sont en contradiction avec la loi d’orientation ne sont pas abrogées, mais simplement gelées. Jamais appliquées, jamais abrogées ! Ce qui crée une situation inédite, à la limite gênante pour l’ordonnancement juridique.
Pire encore, la nouvelle réforme sur le secteur parapublic attire dans son orbite des entités régies par des textes spécifiques qui les excluent expressément du champ d’application de l’ancienne loi 90. Il s’agit précisément des sociétés anonymes à participation publique majoritaire à savoir le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS), la société APIX-SA et enfin la société AIBD-SA. Parallèlement, elle exclut de son périmètre des organismes de protection sociale comme la Caisse de Sécurité Sociale (CSS) et l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) qui pourtant sont des organismes publics au sens de l’article 54 de LOLF 2020.

B- Un service public malmené.

Greffer au secteur parapublic les établissements publics à caractère administratif gérant des services publics non marchands est une manœuvre qui heurte de front les principes canoniques du service public. Dans ce secteur, qui matérialise par essence l’intervention de la puissance publique dans l’économie et où la recherche du profit est de mise, le caractère non marchand de ces services publics détonne. Est-il concevable de considérer les hôpitaux et les universités publiques comme des formes d’interventionnisme public ? À moins que l’on ne redéfinisse la notion du secteur parapublic, une réponse affirmative ne semble pas être envisageable. La réforme s’apparente à une simplification forcée et artificielle qui loge à la même enseigne des entités qui poursuivent des missions complètement différentes. En effet, entre organismes publics et sociétés publiques, la ligne de front n’est franchissable qu’au prix d’une mise à mort du service public à caractère administratif. Il s’agit ainsi d’une cohabitation contre-nature.
D’autre part, on peut envisager qu’il s’agisse, en réalité, d’un programme visant à rentabiliser progressivement le service public administratif. Vient à l’esprit immédiatement la multiplication des formations privées au sein des universités publiques. Plus étonnant encore, les tentatives de privatisation des masters professionnels dans ces établissements sont devenues une sorte de rituel annuel qui se heurte, à chaque fois, à la résistance des étudiants concernés. De là à affirmer l’américanisation prochaine de l’enseignement supérieur, il n’y a qu’un pas qu’on se gardera de franchir.

Définitions utiles.

1– Une Loi d’orientation ou loi-cadre est une loi au contenu très général définissant les grands principes ou orientations d’une réforme ou d’une politique dont les domaines d’application sont définis par des textes spécifiques.

2– Le secteur parapublic comprend les établissements publics ( EPA, EPIC), à l’exception des ordres professionnels et des chambres consulaires ; les agences et autres structures administratives assimilées ; les sociétés nationales et les sociétés à participation publique majoritaire.

3– Les établissements publics sont des personnes morales de droit public investies d’une mission de service public, dotées d’un patrimoine propre et bénéficiant de l’autonomie financière.

4– Les établissements publics à caractère administratif (EPA) sont des personnes morales de droit public investies d’une mission de service public à caractère non marchand.

5– Les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) personnes morales de droit public investies d’une mission de service public présentant un caractère marchand ou exercée avec une contrepartie financière.

6– Les agences d’exécution sont des personnes morales de droit public, autres que les EP, investies d’une mission de service public, dotées d’un patrimoine propre et bénéficiant de l’autonomie financière.

7– Les structures administratives similaires ou assimilées sont des structures dotées ou non de la personnalité morale de droit public, dont les modes d’organisation et de fonctionnement apparentés à ceux des agences sans en prendre la dénomination (les Offices, les Fonds, les Délégations et les Hautes autorités).

Pathé Diallo, Juriste, Président du Cénacle des Publicistes FSJP/UCAD
Omar Fall, Juriste, Secrétaire général du Cénacle des Publicistes FSJP/UCAD

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

7 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs