Après plus de cinq décennies d’application, le décret portant régime financier des collectivités locales de 1966 a violemment subi l’usure du temps. Précisons à ce niveau que désormais, dans l’arsenal normatif Sénégalais, le terme « collectivité locale » relève de l’époque ancienne. Il est remplacé par celui « collectivités territoriales » depuis 2018. Il a d’abord étrangement résisté à l’acte I de la décentralisation de 1972 posant le tout premier pas du désengorgement l’État central avec l’institutionnalisation des communautés rurales, ensuite à la réforme de 1996 (l’acte II) érigeant la région comme collectivité locale.
Cependant, avec l’avènement de la réforme de 2013, le cadre normatif de 66 devenait quasiment inapplicable. En se fixant des objectifs précis à savoir la création de territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable, cette réforme majeure se caractérise par les axes majeurs notamment la communalisation intégrale avec l’érection des anciennes communautés rurales et Communes d’arrondissement en Communes de plein exercice, la suppression de la région comme entité décentralisée et l’érection du département en collectivité territoriale « CT ».
Toutes ces réformes de grandes envergures, celles constitutionnelles y compris, n’ont pas pu faire bouger les lignes, ou du moins dans l’immédiat, en matière de gouvernance financière au niveau local.
Bref, ce n’est pas trop tôt pour apporter des innovations au régime financier des collectivités territoriales, l’adapter à la nouvelle volonté d’autonomisation voire l’indépendance financière de l’ensemble des communes et départements du pays. Ce nouveau cadre normatif financier local est ainsi venu s’aligner avec la directive de l’UEMOA (N°01/2011/CM/UEMOA portant régime financier des collectivités territoriales) adoptée en conseil des ministres à l’occasion de la réunion du 24 juin 2011 à Dakar, afin de prendre en compte la nouvelle réalité financière dans collectivités territoriales à savoir un système de finances publiques intégré, cohérent et transparent en appréhendant tous les secteurs de l’administration publique.
Il a fallu attendre novembre 2023 pour voir, enfin, dans l’ordonnancement juridique Sénégalais un nouveau décret portant régime financier des collectivités territoriales : le décret n°2023-2161 du 06 novembre 2023, qui met définitivement hors orbite normatif le décret n°66-519 du 04 juillet 1966 portant même objet.
Ce nouveau dispositif normatif dont l’application pleine et entière sur le territoire Sénégalais est différée dans le temps, a apporté des nouveautés sur un certain nombre de points. Précisons à ce niveau que le report de l’application de certaines dispositions du décret sous étude se justifie principalement par le souci d’accorder un temps de latence aux Collectivités territoriales pour mieux se préparer sur le plan humain (renforcement de capacité des agents des CT), matériel et financier en vue de faire face aux nouveaux défis qui se profilent à l’horizon.
Il nous plaira dans le cadre de cette étude d’examiner ces nouvelles mesures, tout en les confrontant si nécessaire avec les dispositions antérieures jusqu’ici appliquées ou en tout cas, applicables au Sénégal.
Ci-dessous les innovations notées :
1) Les modalités de vote des recettes et des dépenses.
En effet, la simplification introduite par le décret n° 2023-2161, qui divise le budget des collectivités territoriales en deux sections - l’une pour le fonctionnement et l’autre pour l’investissement -, facilite grandement la gestion et la compréhension des finances locales. Cette distinction nette entre les crédits alloués au fonctionnement et ceux destinés à l’investissement améliore non seulement la transparence budgétaire, mais permet également une meilleure planification des projets d’investissement à long terme. Cette réforme va dans le sens d’une meilleure accessibilité et compréhension des règles financières pour les acteurs locaux et répond, par conséquent, au principe de l’intelligibilité des textes normatifs. Ce nouveau dispositif aide à éviter les confusions dans l’utilisation des crédits et améliore la gestion des ressources publiques au niveau local.
2) La nature des documents annexés au budget.
A présent, chaque collectivité territoriale se voit obligée d’annexer à son projet de budget, en plus de l’inventaire des biens mobiliers et de l’état du personnel en service à la date du vote du budget, avec mention du coût annuel des charges par agent, comme cela se faisait sous l’ancien régime financier, les documents ci-après :
- l’état motivé des propositions de création nouvelles ou de maintien de postes vacants ;
- le Procès-verbal du DOB (Débat d’ orientation budgétaire) et des engagements pluriannuels de la CT ;
- les tableaux récapitulatifs des emprunts et des dettes ;
- la liste des organismes et regroupements dont la CT est membre.
3) La tenue de la comptabilité patrimoniale avec le calcul des amortissements et provisions.
Les finances locales (des collectivités territoriales) étant intimement liées aux finances centrales (de l’État), tout ce qui était valable jusqu’ici pour le budget général l’est également pour le budget des collectivités territoriales, désormais. Cela se justifie principalement par le fait que tout choc, endogène comme exogène, qui bouleverserait les grandes lignes budgétaires au niveau central, altérera en même temps les prévisions de recettes et de dépenses au niveau local. Ainsi, face à un contexte très mouvant et à un environnement économique sujet à des chocs imprévisibles, susceptibles de perturber, à tout moment, l’équilibre budgétaire qui est un principe sacro-saint des finances publiques, il a été installé des mécanismes pour faire face à ces risques budgétaires, à travers une analyse de leur nature, de leur probabilité d’occurrence et de ressources requises, sous forme de provisions budgétaires pour leur mitigation en cas de survenance. En effet, la CT doit tenir compte des charges ou des risques qui, s’ils venaient, auraient une incidence directe sur son patrimoine.
Les provisions à prendre en comptes sont :
- les provisions pour dépréciations des éléments d’actifs ;
- les provisions pour risques et charges ;
- les provisions réglementées, en application de dispositions légales ou réglementaires.
4) L’introduction de douze ratios « per capita », « de structure » et « d’exécution » parmi les situations que le comptable de la collectivité territoriales transmet trimestriellement aux ordonnateurs locaux et aux représentants de l’Etats.
A la fin de chaque mois, le comptable transmet à l’ordonnateur et au directeur chargé du suivi de la comptabilité des collectivités territoriales la balance générale des comptes ainsi que les situations financières et de disponibilités. Tous les trois mois, il transmet la situation d’exécution budgétaire ainsi qu’une situation synthétique faisant ressortir les ratios d’exécution suivants :
- Recettes fiscales / population ;
- Recettes fiscales / Recettes de fonctionnement ;
- Recettes non fiscales / Recettes de fonctionnement ;
- Transfert de l’Etat / population ;
- Recettes de fonctionnement / population ;
- Recettes d’investissement / population ;
- Dépenses de fonctionnement / population ;
- Dépenses d’investissement / population ;
- Dotations, transferts, subventions / Recettes de fonctionnement ;
- Charges de personnel / dépenses de fonctionnement.
5) La détermination et l’affectation des résultats.
Le résultat de la section de fonctionnement équivaut au solde positif ou négatif de la section de fonctionnement. Il traduit l’enrichissement ou l’appauvrissement constaté au cours de l’année budgétaire. Le résultat d’investissement traduit, pour une année donnée, le surplus ou le besoin de recettes investissement par rapport aux dépenses d’investissement réalisées au cours de l’exercice. Le résultat d’ensemble est le solde cumulé d’exécution du budget de l’année. Le conseil de la CT, après avoir arrêté les comptes, doit affecter les résultats cumulés à la CT.
En somme, il reste à voir si cette avancée alliant responsabilisation, simplification, performance et transparence suffira à inverser la tendance en matière financière à moyen et long terme. Néanmoins, elle témoigne de la volonté des autorités nationales et communautaires, investies du pouvoir de légiférer, de continuer à innover et à renforcer l’écosystème des finances locales au sein des pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, malgré les nombreux défis auxquels ces États sont confrontés.