Licenciement économique : les pertes d’exploitation doivent être significatives.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Dans un arrêt du 18 octobre 2023 (n° 22-18.852), la Cour de cassation apporte des précisions sur la notion de pertes d’exploitation permettant de justifier le motif économique de licenciement prévu à l’article L1233-1 du Code du travail.

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1/ Un texte peu précis sur le sujet.

Selon l’article L1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique celui effectué par l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Le texte précise qu’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.

Rappel : outre les difficultés économiques, l’article L1233-3 du Code du travail vise trois autres motifs de licenciement : les mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, la cessation d’activité de l’entreprise.

L’introduction dans le Code du travail de critères d’appréciation des difficultés économiques devait permettre à l’employeur de justifier, notamment par la production de documents comptables, d’éléments objectifs à l’appui du licenciement.

Comme les débats parlementaires l’avaient relevé : « en cas de litige sur la légitimité de la rupture, les juges devraient contrôler la réalité des difficultés subies par l’entreprise en s’appuyant sur ces éléments objectifs ».

De cette manière, le législateur souhaitait éviter les difficultés d’interprétation ou, en cas de litige, offrir des indicateurs au juge.

Toutefois, les critères légaux s’appliquent uniquement à la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires.

En effet, le texte n’apporte aucune précision sur les pertes d’exploitation et la dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation (sur quelle durée ? pour quel effectif salarié ?).

2/ Une nécessaire interprétation jurisprudentielle.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 octobre 2023, la lettre de licenciement invoquait les difficultés économiques du groupe se traduisant par des résultats d’exploitation déficitaires depuis trois années, compromettant la compétitivité et la capacité de l’entreprise à maintenir et développer ses activités.

Pour caractériser ses difficultés économiques, l’employeur produisait un tableau faisant apparaître, s’agissant du secteur d’activité en cause, l’existence, malgré un chiffre d’affaires en hausse, de pertes en 2015, 2016 et 2017.

Pour la cour d’appel [1], le motif économique fondant le licenciement était avéré :

« La lettre de licenciement énonce en l’espèce un motif économique visé par l’article L1233-3 du contrat de travail (difficultés économiques de groupe se traduisant par un résultat d’exploitation déficitaire depuis trois années et compromettant la compétitivité et la capacité à maintenir et développer les activités) et son incidence sur le poste de la salariée (suppression de l’emploi de cette dernière dans une politique de réduction des coûts et particulièrement les frais de déplacement et la réduction des agences et la résorption des sureffectifs dans les fonctions de support avec la suppression du poste d’assistante administrative qui ne se justifie plus puisque les tâches peuvent être reprises par les gérants de SCPI).
La lettre de licenciement apparaît ainsi suffisamment motivée au regard de ce qui précède, n’ayant pas à donner d’explications causales sur l’origine de la baisse à ce stade
 ».

La Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel, qui aurait dû rechercher si l’évolution de l’indicateur économique retenu était significative, les motifs retenus étant insuffisants pour caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d’exploitation dans le secteur d’activité considéré.

Cette décision est conforme au texte de l’article L1233-3 qui évoque « l’évolution significative » de la perte d’exploitation.

En l’espèce, le chiffre d’affaires de la société était en hausse à l’époque du licenciement et, dans ce contexte particulier, l’employeur n’explicitait pas l’ampleur des pertes d’exploitation rencontrées sur trois exercices.

Or, le licenciement économique doit être « justifié par une cause réelle et sérieuse », conformément aux exigences de l’article L1232-2 du Code du travail.

Il appartient au juge du fond d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif économique de licenciement invoqué [2].

Rappelons enfin que les critères légaux du motif économique du licenciement ne sont pas limitatifs [3].

Dans cette affaire, une entreprise dont l’effectif était compris entre 50 et 300 salariés avait procédé à un licenciement économique, en se fondant sur les motifs suivants :

  • Une baisse significative des commandes et du chiffre d’affaires ;
  • Des pertes structurelles importantes sur les 4 dernières années, avec un endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016 ;
    - Des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.

Pour la cour d’appel, la société ne rapportait pas la preuve de la baisse des commandes et/ou du chiffre d’affaires sur 3 trimestres consécutifs, incluant celui au cours duquel la rupture du contrat de travail avait été notifiée.

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, reprochant à la cour d’appel de s’être cantonnée au débat relatif à la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, sans avoir pris en considération les autres critères invoqués par l’employeur.

Pour la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû vérifier si l’employeur ne justifiait pas de difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés au 1° de l’article L1233-3 du Code du travail, soit par tout autre élément de nature à les caractériser.

Plus particulièrement, en l’absence de baisse du chiffre d’affaires et/ou des commandes, les juges auraient dû examiner les autres critères légaux avancés par l’employeur à l’appui du licenciement.

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1CA Lyon 8-4-2022, n° 19/04474.

[2Cass. soc. 23-6-1998, n° 96-42.111.

[3Cass. soc. 21-9-2022, n° 20-18.511.

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