Une fois que le voisin parvient à établir l’existence du trouble et de son caractère excessif par rapport aux inconvénients normaux du voisinage, il n’a pas à établir l’existence d’une faute (I et II).
Le maître d’ouvrage, susceptible de voir des condamnations prononcées à son encontre, a donc tout intérêt à exercer ses recours contre les constructeurs à l’origine du trouble, le cas échéant.
Néanmoins ces recours s’exercent différemment selon qu’ils interviennent avant ou après indemnisation du voisin (III).
En toute hypothèse, le maître de l’ouvrage veillera à agir dans un certain délai (IV).
I. La responsabilité de plein droit pour trouble anormal du voisinage.
Suivant une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » [1].
L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, en dehors de toute faute, permet au voisin victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit [2].
II. Les troubles résultant de travaux entrepris sur le fond voisin.
Les troubles anormaux du voisinage peuvent trouver leur cause dans la réalisation de travaux sur un fond voisin.
En voici quelques exemples :
- Des travaux de démolition ont provoqué des dommages importants aux bâtiments voisins (lézardes, fissures…) [3] ;
- L’arrachage d’un câble électrique en cours de travaux a causé une coupure d’électricité sur le fond voisin [4] ;
- Des travaux de terrassement ont causé un glissement de terrain sur la propriété voisine, occasionnant des désordres à la maison et à la piscine du voisin [5] ;
- La construction d’un immeuble collectif de plusieurs étages à proximité d’une maison individuelle l’a privée de vue, de lumière et d’ensoleillement de façon anormalement importante, même dans un milieu urbain et engendré une dépréciation du bien [6] ;
- L’allongement de la durée des travaux a causé un préjudice sonore et de jouissance aux voisins [7] ;
- Des travaux d’affouillement et de terrassement ont fragilisé un talus au-dessus duquel se situait la parcelle voisine, y occasionnant différents désordres [8].
III. Quels sont les recours du maître d’ouvrage ?
Le voisin victime de troubles anormaux peut agir directement contre les constructeurs présents sur le chantier, considérés comme ses voisins occasionnels [9].
Néanmoins, il est des cas dans lesquels le voisin lésé préférera réserver ses demandes indemnitaires à son voisin maître d’ouvrage.
Il est alors permis au maître d’ouvrage, qui n’est pas à l’origine du trouble, de se retourner contre les constructeurs fautifs.
Ce recours est différent selon qu’il est exercé avant ou après indemnisation de la victime du trouble.
1° En cas d’indemnisation préalable du voisin lésé : le recours subrogatoire du maître d’ouvrage.
Le maître d’ouvrage, qui a été condamné et/ou a indemnisé le voisin victime des troubles de voisinage est subrogé dans les droits de ce dernier et peut ainsi exercer ses recours à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs.
Ces recours reposent alors sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute du constructeur [10].
Le maître d’ouvrage subrogé n’en demeure pas moins tenu d’apporter la preuve d’une relation de cause directe entre les troubles subis et la mission confiée au constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a pu considérer que des troubles anormaux du voisinage n’étaient pas en relation de cause directe avec la réalisation de missions d’études ou de maîtrise d’œuvre [11].
2° A défaut d’indemnisation préalable du voisin lésé : l’appel en garantie.
A défaut d’indemnisation préalable du voisin victime par le maître d’ouvrage, le recours de ce dernier à l’encontre du constructeur est fondé sur la responsabilité contractuelle de droit commun et requiert donc la preuve d’une faute en lien de causalité avec les troubles allégués [12].
IV. Dans quels délais le maître d’ouvrage doit-il agir ?
En application des articles 2224 du code civil et 26, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
« L’action récursoire du maître de l’ouvrage, condamné à indemniser son voisin pour des troubles anormaux du voisinage, commence à courir au plus tard lorsque ce maître de l’ouvrage est assigné aux fins de paiement » [13].
V. Le référé préventif avant le démarrage des travaux.
Afin de pouvoir, le cas échéant, contester l’existence même du trouble, le maître d’ouvrage peut trouver un intérêt à engager une procédure de référé préventif avant le démarrage des travaux.
Cette procédure, fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile, permet notamment de faire constater par un expert judiciaire l’état des immeubles voisins avant le démarrage des opérations de construction.
Idéalement, les opérations d’expertise se dérouleront au contradictoire des intervenants à la construction ainsi que des voisins.
Outre l’intérêt de se prémunir d’une preuve face à un éventuel litige, les opérations d’expertise judiciaire peuvent également permettre de pointer les risques de troubles liés au projet de construction et donc de les éviter.