Les pouvoirs de police du maire à l’épreuve de l’état d’urgence sanitaire.

Par Cyril de Guardia de Ponte, Avocat.

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Explorer : # pouvoirs de police # État d'urgence sanitaire # crise sanitaire # jurisprudence administrative

Depuis l’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 instaurant un état d’urgence sanitaire inédit et conférant des nouveaux pouvoirs de police spéciale au Premier Ministre et au Ministre de la Santé, ainsi que l’inflation jurisprudentielles allant dans le sens de la censure des décisions des maires estimées trop radicales, la place de ces derniers dans ce contexte de pandémie et de crise sanitaire pose question. Assiste-t-on à un accroissement de leurs prérogatives ou bien à l’instauration d’un rapport de subsidiarité avec les autorités nationales, posant ainsi question sur la constitutionnalité de telles mesures, bien que provisoires, et sur la marge de manœuvres dont ils disposent, à l’heure où ils sont forcés d’agir afin d’assurer l’ordre et la santé publique de leurs concitoyens, en leur qualité de premier magistrat de leur commune.

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I. Rappels en matière de pouvoirs de police générale et spéciale du Maire et du Préfet.

Rappelons que selon les dispositions de l’article 2122-4 du Code Général des Collectivités territoriales (CGCT), le Maire est l’autorité de police administrative au nom de la commune. Il possède des pouvoirs de police générale lui permettant de mener des missions de sécurité publique, tranquillité publique et salubrité publique. Il exerce ses pouvoirs au nom de la commune, sous le contrôle administratif du Préfet.

Comme le précise l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».

En dehors de ces dispositions, qui confèrent au maire un pouvoir de police générale, celui-ci dispose de pouvoirs de police administrative spéciale dans des domaines particuliers visés par les articles L. 2213-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales.

Selon les dispositions de l’article 34 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 modifiée, le Préfet de département a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois, de l’ordre public.

En principe, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale, ce dernier ne peut agir que pour prendre des mesures dont le champ d’application excède le territoire d’une commune, puisque sinon c’est le Maire qui est compétent. Qui plus est, cette compétence ne peut être exercée que si des « circonstances particulières » l’exigent.

A. La distinction classique entre police administrative générale et spéciale.

Contrairement à la police administrative générale, qui a pour objet la protection de l’ordre public dans un ressort géographique donné, la police administrative spéciale s’exerce dans un cadre plus restreint.

Les différences entre ces deux types de polices peuvent être observées sur trois points et, selon les cas, ces points de différences seront ou non cumulés :
- Une police est spéciale si elle est attribuée à une autorité différente de celle qui est en principe territorialement compétente pour protéger l’ordre public.
- Une police est également spéciale si elle est exercée selon des procédures différentes de celles auxquelles la police générale est assujettie.
- Enfin, une police est spéciale si elle a une finalité en tout ou partie différente de celle de la police générale.

Plus la police est « spéciale » et proche du régalien, plus l’intervention du maire est refusée ou n’est admise que dans des cas d’urgence ou de grande spécificité.

B. La situation avant la survenance de la pandémie de Covid-19.

Dans un contexte ordinaire, chaque autorité doit veiller à ne pas s’immiscer, au nom de ses pouvoirs de police générale, dans l’exercice des pouvoirs de police spéciale confiés à une autre autorité.

Cependant, il appartient au Maire, responsable de la sécurité et de la salubrité publiques de ses administrés, de prendre toutes mesures nécessaires en ce domaine en cas de péril imminent, notamment pour la santé de ses administrés.
Ainsi, en situation d’urgence (péril grave ou imminent pour la santé ou la sécurité publique), l’article L. 2212-4 du CGCT confère au maire le droit d’ordonner l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances, y compris sur une propriété privée.

De même, en vertu des dispositions de l’article L. 2212-2 du CGCT, font partie des prérogatives de la police municipale « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires … les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».

Les responsabilités des maires, dans le cadre de leur pouvoir de police générale, en matière de bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques doivent s’exercer dans le respect du pouvoir de police spéciale de l’État en ce domaine, le maire n’agissant qu’en cas de carence de ce dernier.

Le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt Syndicat climatique de Briançon, Dominique et autres » du 17 octobre 1952, qu’ « il appartient au maire de prescrire, dans l’intérêt de la santé publique, les mesures hygiènes appropriées, notamment en ce qui concerne les lieux publics (…) ».

II. L’état d’urgence sanitaire : un régime d’exception bousculant les règles fondamentales d’un Etat de droit.

Lorsque l’ampleur d’une épidémie dépasse le territoire d’une seule commune, le maire n’est pas dessaisi de ses compétences, mais sa place et son rôle sont modifiés. En effet, la gestion d’une crise épidémique, parce qu’elle concerne assez rarement le seul territoire communal, se fait au niveau national et est conduite par le Premier ministre ainsi que les ministres concernés (ministre chargé de la Santé, de l’Intérieur, de l’Education nationale, de l’Agriculture, etc.).

A. Un état d’urgence sanitaire inédit.

Pour répondre à la crise sanitaire provoqué par le coronavirus, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 prévoit la possibilité de déclarer un état d’urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire.

L’état d’urgence sanitaire est une mesure exceptionnelle pouvant être décidée en conseil des ministres en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie, mettant en péril la santé de la population.

L’état d’urgence est déclaré la première fois par décret en conseil des ministres sur le rapport du ministre chargé de la santé pour une durée maximale d’un mois. Le décret détermine la ou les circonscriptions territoriales dans lesquelles il s’applique. Les données sanitaires sur lesquelles s’appuie le décret sont rendues publiques.

Au-delà d’un mois, sa prorogation doit être autorisée par la loi. La loi de prorogation fixe la durée de l’état d’urgence sanitaire. Un décret pris en conseil des ministres peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai fixé par la loi.

Le texte voté par le Parlement le 22 mars 2020 prévoit que l’état d’urgence entre en vigueur pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national à compter de la publication de la loi. La loi a été publiée le 24 mars 2020, portant création d’un régime d’exception qui, par nature, bouscule les règles fondamentales d’un Etat de droit.

Cette loi instaure un état d’urgence sanitaire absolument inédit jusqu’alors, inscrivant de nouvelles dispositions dans le Code de la Santé Publique, à savoir le nouvel article L. 3131-15 et suivants.

Ce texte confère de nombreux pouvoirs à l’Etat, mettant en place une distribution des pouvoirs entre le Premier Ministre, le ministre de la santé et les Préfets de département dans le but d’interdire ou de limiter les déplacements des personnes ainsi que de limiter ou d’interdire les rassemblements, fermer des lieux au public …etc.

B. Accroissement ou affaiblissement des pouvoirs de Police du Maire ?

Dans ce contexte, le Maire est doté de pouvoirs de police spéciale considérables, pouvoirs qui ne le privent pas pour autant de ses pouvoirs de police générale !

A l’occasion de son ordonnance du 22 mars 2020, le Conseil d’Etat entérine les principes issus de sa jurisprudence constante en ce qu’il affirme qu’il incombe aux autorités de police de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect de la vie dans le contexte de la pandémie du Covid-19, conformément aux dispositions de l’article 2 de la C.E.D.H., notamment l’obligation de confinement à domicile de la population.

Il est clair qu’en vertu de ladite ordonnance, le juge administratif offre une large place à l’exercice des pouvoirs de police du Maire.

Sur la base de ce texte, ainsi que des dispositions de l’article L.2212-2, 5° du CGCT et de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, des maires ont pris un certain nombre de mesures telles que l’interdiction de la fréquentation de lieux déterminés, ou des sorties nocturnes, instaurant un couvre-feu, à l’instar des maires des Communes de Perpignan, Béziers, Montpellier, Marseille, Nancy, Paris …

Cependant, ce nouvel état sanitaire (voir supra) confère au Premier ministre une compétence étendue mais encadrée en vue de prendre les mesures prévues par le texte destinées à garantir la santé publique, dont la restriction ou l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, comme des rassemblements sur la voie publique ou encore la fermeture provisoire de certains établissements recevant du public (ERP).

De son côté, le nouvel article L.3131-16 du Code de la Santé Publique, instauré par la même loi, prévoit que « Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L.3131-12.
Dans les mêmes conditions, le ministre chargé de la santé peut prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° de l’article L. 3131-15
 ».

Enfin, selon les dispositions du nouvel article L. 3131-17 du même code, « Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions. ».

La question, à la lecture de ces textes, qui se pose, est la marge de manœuvre qui reste désormais aux maires dans ce contexte en matière de prise d’initiative. En effet, il peut être aisé de penser que l’Etat est en passe de reprendre en main l’ensemble des pouvoirs de police relatifs à l’état d’urgence sanitaire.

La commission des lois du Sénat a rendu son premier rapport sur le suivi du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, mettant en exergue « un certain flou demandant à être dissipé sur les contraventions de 5e classe et sur l’exercice des pouvoirs de police des maires ».

On peut légitimement s’interroger sur la constitutionnalité de l’apparente disparition provisoire des pouvoirs de police générale du Maire prévus par le CGCT ou bien leur soudaine subsidiarité.

Plutôt que d’envisager la problématique sous cet angle, il convient plutôt de penser que l’ensemble des nouvelles dispositions législatives et réglementaires sus-évoquées crée ex nihilo une nouvelle catégorie de police spéciale afférente à la crise sanitaire, conférée au Premier Ministre ainsi qu’au Ministre de la Santé.

Au plan local, le Préfet de département peut également agir, par délégation de ces derniers, sur le fondement des dispositions du décret du 23 mars 2020.

Ainsi, si les Maires sont de facto dépourvus de cette nouvelle police spéciale, ils sont toujours en mesure, en vertu de leur pouvoir de police générale, d’agir en présence d’un péril imminent non prévu par le Premier Ministre, le Ministre de la Santé ou les Préfets, ou en cas de carence de ces derniers, disposant ainsi du pouvoir d’adopter, dans le contexte local, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.

Encore faut-il que les mesures prises par les Maires dans un tel contexte soient justifiées par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public ou de circonstances particulières au regard de la menace d’épidémie, faute de quoi elles seraient annulées par le juge administratif, lequel opère plus que jamais le contrôle de proportionnalité afin de contrôler s’il existe une justification suffisante à l’atteinte portée à une liberté fondamentale, comme celle d’aller et venir.

III. Une inflation jurisprudentielle censurant des mesures radicales prises par des maires dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

- Le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a eu l’occasion de se prononcer le premier (TA de La Guadeloupe, 27 mars 2020, n°2000294).

Il a levé provisoirement l’interdiction, édictée par arrêtés municipaux, de tout accostage ou débarquement de passagers de navires de commerce ou de plaisance dans l’un des ports de Marie-Galante, estimant que les mesures prises sont exagérément restrictives et constituent une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir comme au respect de la vie privée et familiale.

- Le juge des référés du TA de CAEN a confirmé que le maire est bien compétent pour prendre de tels arrêtés, le pouvoir de police spéciale de l’Etat ne faisant pas en soi obstacle à l’exercice du pouvoir de police générale du maire. Mais le juge rappelle également l’exigence de proportionnalité des mesures de police

Cependant, il a estimé que bien que l’interdiction de circulation édictée par le maire de LISIEUX soit limitée à l’exception des interdictions de circuler prévues par les dispositions du 5° du I de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, le juge des référés estime que cet arrêté est susceptible de porter une atteinte grave à la liberté d’aller et de venir des personnes concernées, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. (TA Caen ord., 31 mars 2020, n°2000711).

- Ce raisonnement a également été suivi par le juge des référés près le Tribunal administratif de MONTREUIL (TA Montreuil, ord. 3 avril 2020, n°2003861).

Par une ordonnance du 3 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a suspendu l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 par lequel le maire de Saint Ouen a interdit la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune entre 19 H et 6 H du matin, estimant que le risque de violation de l’arrêté par lequel le préfet a entendu prévenir les rassemblements de personnes ne constitue pas une "circonstance particulière" de nature à justifier l’exercice par le maire de son pouvoir de police générale.

Par Cyril de GUARDIA de PONTE
Avocat associé au Barreau des Pyrénées-Orientales
Courriel : cyrildeguardia.avocat chez gmail.com
Site : https://www.cyrildeguardia-avocat.fr/

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