Un décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile a été publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023.
Il convient de rappeler que l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle tel que modifié par l’article 4 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait posé le principe de soumette certaines de demandes en justice n’excédant un certain montant à l’obligation de recourir préalablement à un mode alternatif de règlement précontentieux :
« Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage ou à un trouble anormal de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;
5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances.
Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L314-26 du code de la consommation ».
Il convient de préciser cependant que si le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cet article 4 dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi du 22 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, c’était sous la réserve que le pouvoir réglementaire définisse la notion de "motif légitime" et précise le "délai raisonnable" d’indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent :
« 18. L’article contesté subordonne à une tentative de règlement amiable préalable la recevabilité de certaines demandes en matière civile.
19. Toutefois, d’une part, il circonscrit cette condition de recevabilité aux demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou relatives à un conflit de voisinage. D’autre part, les parties peuvent librement choisir entre les différents modes de règlement amiable que constituent la médiation, la procédure participative et la conciliation par un conciliateur de justice, laquelle est gratuite. Enfin, le législateur a prévu que cette condition de recevabilité n’est pas opposable lorsque l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable est justifiée par un motif légitime. Au titre d’un tel motif, le législateur a expressément prévu l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable.
20. Cependant, s’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours contentieux, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent. Sous cette réserve, et compte tenu des garanties qui précèdent, le grief tiré d’une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
21. En second lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article 16 de la Déclaration de 1789 que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
22. En instaurant la condition de recevabilité contestée, le législateur, qui a entendu réduire le nombre des litiges soumis au juge, a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. En appliquant cette condition aux litiges tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou relatifs à des conflits de voisinage d’une difficulté limitée, le législateur a retenu les litiges dont il a estimé qu’ils se prêtent particulièrement à un règlement amiable. Ce faisant, le législateur n’a pas instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables. Par ailleurs, pour les motifs énoncés aux paragraphes 19 et 20, il a assuré aux justiciables des garanties égales.
23. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 20, le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant la justice doit être écarté.
24. Il résulte de tout ce qui précède que l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016, qui ne méconnaît ni la liberté contractuelle, ni la liberté individuelle, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est, sous la même réserve, conforme à la Constitution ».
Ce texte tire les conséquences de la décision d’annulation partielle du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 par le Conseil d’Etat et notamment de l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret précité.
Il convient de rappeler également que par un arrêt rendu le 22 septembre 2022, le Conseil d’Etat a annulé les dispositions de l’ancien article L750-1 du code de procédure civile au motif que l’indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie s’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, était de nature à porter atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1] :
« 42. Toutefois, si les dispositions du 3° de l’article 750-1 du Code de procédure civile explicitent le fait que l’indisponibilité de conciliateurs de justice permettant de déroger à l’obligation de tentative préalable de règlement amiable prévue à l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée doit être appréciée par rapport à la date à laquelle la première réunion de conciliation peut être organisée, en se bornant à préciser par ailleurs que cette réunion ne doit pas intervenir dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige", elles n’ont pas défini de façon suffisamment précise les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité pourra être regardée comme établie. S’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, l’indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie est de nature à porter atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
43. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre l’article 750-1 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret attaqué, les requérants sont fondés à en demander l’annulation en tant qu’il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie ».
Le décret du 11 mai 2023 réintroduit donc l’article 750-1 du Code de procédure civile qui prévoit, à peine d’irrecevabilité de la demande en justice et pour certaines catégories de litiges, une tentative obligatoire de résolution amiable du conflit, ainsi que des cas de dispense de cette obligation.
En premier lieu, il fixe à trois mois le délai au-delà duquel l’indisponibilité de conciliateurs de justice pourra être regardée comme établie pour dispenser les parties de l’obligation préalable de tentative de résolution amiable du litige.
En deuxième lieu, il précise les modalités selon lesquelles la preuve de cette obligation peut en être établie.
Enfin en troisième lieu, le décret procède à la rectification de deux erreurs matérielles contenues dans le décret n° 2022-1353 du 25 octobre 2022 relatif à la composition et aux modalités de fonctionnement du Conseil national de la médiation.
L’article 1er du décret du 11 mai 2023 rétablit ainsi les dispositions de l’article 750-1 du Code de procédure civile dans la rédaction ci-après :
« En application de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
« Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
« 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
« 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
« 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste, soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d’un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;
« 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;
« 5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L125-1 du Code des procédures civiles d’exécution ».
Les dispositions de ce décret entrent en vigueur à compter du samedi 13 mai 2023.
Cependant, son article 1er relatif à la nouvelle obligation préalable et son article 2 modifiant l’article 1575 du Code de procédure civile ne sont applicables qu’aux instances qui seront introduites à compter du 1er octobre 2023.
Discussion en cours :
En n’accordant pas de signification juridique normative au terme "délai raisonnable", le conseil d’état a parfaitement agi.
Le droit français n’accorde pas au terme "raisonnable" la même portée que le droit anglo-saxon , qui a même forgé le concept de "l’homme raisonnable" pour l’appréciation des comportements et des actes.
Pour le "délai raisonnable" :
"Reasonable time is that amount of time which is fairly necessary, conveniently, to do whatever is required to be done, as soon as circumstances permit. As a U.S. legal term, the phrase has been a topic of controversy for many years.
Reasonable time - Wikipedia"
Wikipedia
Le terme "raisonnable" est la porte à l’insécurité juridique, comme bien d’autres mots de la langue juridique.