Les chauffeurs Uber sont des salariés selon la Cour de cassation !

Par Frédéric Chhum, Avocat, et Claire Chardès juriste.

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Explorer : # requalification de contrat # lien de subordination # plateformes numériques # droits des travailleurs

Dans un arrêt retentissant du 4 mars 2020 [1], la Cour de cassation affirme que les chauffeurs de la plateforme Uber sont des salariés.

Après une première décision requalifiant la relation contractuelle entre les livreurs à vélo et Take Eat Easy en relation de travail rendue en 2018 [2], les juges de la Haute Cour maintiennent le cap en adoptant la même solution concernant les chauffeurs Uber.

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1) Les faits et la procédure.

Le chauffeur, Monsieur X. était « contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat ». A compter du 12 octobre 2016, il « a exercé une activité de chauffeur […] en recourant à la plateforme numérique Uber ».

Afin d’exécuter sa prestation de travail il a « loué un véhicule auprès d’un partenaire de cette société », et il s’est ensuite « enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyageurs par taxis ».

Au mois d’avril 2017, « la société Uber BV a désactivé définitivement son compte sur la plateforme ».

Par suite, Monsieur X. « a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail ».

2) La défense de Uber.

D’abord, Uber fait valoir que le chauffeur est libre de se connecter quand il le souhaite : « le chauffeur concluant un contrat de partenariat reste totalement libre de se connecter à l’application ou non, de choisir l’endroit et le moment où il entend se connecter, sans en informer la plateforme à l’avance, et de mettre fin à la connexion à tout moment ».

De plus, même si « plusieurs refus consécutifs peuvent entraîner une déconnexion de l’Application pour des raisons opérationnelles liées au fonctionnement de l’algorithme », il n’en demeure pas moins que « le chauffeur a la possibilité de se reconnecter à tout moment et cette déconnexion temporaire n’a aucune incidence sur la relation contractuelle entre le chauffeur et Uber BV ».

En outre, l’argument financier est mis en exergue par Uber. La société relève que puisque « la société Uber BV faisait encore valoir que la rémunération de la plateforme est exclusivement assurée par la perception de frais sur les courses effectivement effectuées par le biais de l’application » alors « le chauffeur n’est tenu d’aucun engagement financier envers la plateforme susceptible de le contraindre ».

Le moyen du pourvoi s’achève par l’absence d’« obligation d’exclusivité pour le chauffeur ». Celui-ci pouvant notamment « librement utiliser de manière simultanée d’autres applications de mise en relation avec la clientèle ».

A propos de l’existence d’un lien de subordination juridique, la société Uber la conteste. Elle fait valoir que « chauffeur n’était soumis à aucune obligation, ni à aucun contrôle, en termes de connexion et d’activité, que le contrat de partenariat portant sur l’utilisation de l’application ne comportait aucun engagement financier à la charge du chauffeur à son égard ».

Sur l’aspect disciplinaire, bien qu’il existe la « possibilité pour une plateforme numérique de rompre unilatéralement le contrat en cas de manquements graves et répétés du chauffeur aux obligations résultant du contrat de partenariat », cela « n’a ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté du chauffeur de choisir si, quand, et où il se connecte et de ne pas accepter les courses proposées ».

Il s’agirait simplement d’ « exigences élémentaires de politesse et de savoir-vivre, de respect de la réglementation et de la sécurité des personnes, inhérentes à l’activité de chauffeur VTC ».

Enfin, et parmi d’autres éléments, la société Uber estime que le « système de géolocalisation […] ne caractérise pas un lien de subordination juridique des chauffeurs à l’égard de la plateforme ». En effet, celui-ci est seulement utilisé « que pour mettre ces derniers en contact avec le client le plus proche, assurer la sécurité des personnes transportées et déterminer le prix de la prestation » et non pas pour contrôler l’activité des chauffeurs ».

L’argumentaire de la société Uber ne prospérera pas.

3) La reconnaissance par la Cour de cassation d’une relation de travail salariée pour les chauffeurs Uber !

3.1) Le chauffeur Uber intégré dans un service organisé.

La Cour de cassation commence par relever que Monsieur X. a « intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV » en s’inscrivant au Registre des Métiers, et en n’ayant « aucune clientèle propre », en ne fixant pas librement « ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ». En effet, ce sont tout autant de paramètres qui sont « entièrement régis par la société Uber BV ».

Elle énonce également que « le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV ».

3.2) La recherche d’un lien de subordination.

3.2.1) Le « lien de subordination » est caractérisé « lors des connexions du chauffeur de VTC ».

Dans la note explicative accompagnant l’arrêt, la Cour de cassation précise que le « lien de subordination » est caractérisé « lors des connexions du chauffeur de VTC » [3].

Les tarifs, qui dépendent de l’« itinéraire particulier » imposé au chauffeur et qui comportent une « possibilité d’ajustement par Uber », traduisent que Uber « donnait des directives » au salarié et « en contrôlait l’application ».

3.2.2) Le pouvoir de contrôle d’Uber.

Concernant l’existence d’un pouvoir de contrôle par la plateforme sur l’exercice de la prestation de travail, les juges relèvent que le contrat qui lie le travailleur et la plateforme prévoit la clause suivante : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber ». Elle déduit de cette clause qu’elle a pour effet de conduire les « chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant ».

A ce propos, elle relève également que le chauffeur n’a pas toujours connaissance de la course lorsqu’il l’accepter, et qu’il doit en outre répondre en « seulement huit seconde » à la course proposée.

3.2.3) Le pouvoir de sanction d’Uber.

Enfin, selon la Cour il existe un réel pouvoir de sanction de la part d’Uber. Elle détecte à ce titre l’existence de « corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un "itinéraire inefficace" », ou encore « la fixation par la société Uber BV d’un taux d’annulation de commandes […] pouvant entraîner la perte d’accès au compte », ainsi que « la perte définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de "comportements problématiques" par les utilisateurs ».

En conséquence, elle valide la déduction opérée par la Cour d’appel et confirme que « le statut de travailleur indépendant de M. X... était fictif et que la société Uber BV lui avait adressé des directives, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un pouvoir de sanction ».

4) Le contexte de la décision : la Cour de cassation invoque la jurisprudence de la CJUE et le droit comparé.

Dans la note explicative, la Cour de cassation affirme qu’elle s’est départie du critère de la dépendance économique qu’une certaine partie de la doctrine lui suggérait, pour privilégier celui du lien de subordination.

Elle justifie ce choix en invoquant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, arrêt Fenoll, 26 mars 2015), retenant une définition qui « est semblable à celle de la chambre sociale depuis l’arrêt Société générale ».

La Cour de cassation se retranche également derrière la décision du Conseil constitutionnel qui « a censuré en partie l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités en ce qu’il écartait le pouvoir de requalification par le juge de la relation de travail d’un travailleur de plate-forme en contrat de travail » en se fondant également sur le critère de la subordination juridique.

La note se termine par une référence de droit comparé.

En effet, l’Italie ou le Royaume-Uni bénéficient des catégories juridiques de travailleur dites « intermédiaires », entre le salariat et le statut de travailleur indépendant.

La comparaison avec des pays étrangers, et surtout, cet arrêt ferme venant trancher le contentieux phare du modèle économique des plateformes, constituent sans doute un appel du pied au législateur français.

Et pour cause, est-ce l’arrêt de la provocation après le faux espoir provoqué par la Loi d’orientation des mobilités, qui n’a pas apporté de solution véritable ?

Cet arrêt va probablement inciter les chauffeurs Uber à saisir le conseil de prud’hommes pour demander la qualité de salarié.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[3Note explicative relative à l’arrêt n°1737 de la Chambre sociale du 28 novembre 2018 (17-20.079) :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_40779.html .

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 10 avril 2020 à 17:12
    par NEGER , Le 5 mars 2020 à 08:23

    Bonjour

    A mon sens, cet arrêt n’est ni retentissant ni étonnant !

    Il est dans la droit ligne de la jurisprudence de la cour de cassation qui ne fait qu’appliquer le droit !

    En l’espèce, l’existence d’un lien de subordination qui est évident (sur le fondement de l’article L. 8221-6 II du Code du travail).

    • par CHHUM AVOCATS , Le 7 mars 2020 à 18:38

      Bonjour,

      Je maintiens que, pour ma part, c’est un arrêt important et retentissant.

      D’ailleurs, la Cour de cassation a publié un communiqué de presse en français, anglais et espagnol pour la première fois à ma connaissance.

      Ceci démontre l’importance qu’elle entend donner à son arrêt.

      Rien n’est jamais évident, ni jamais gagné devant la Cour de cassation.

      Bien à vous,

      Frédéric CHHUM

    • par Janusconsulte , Le 10 avril 2020 à 17:12

      En fait, cet arrêt est retentissant dans la mesure où il est largement qualifié comme tel par les commentateurs... Y compris par la Ministre du travail qui, dès le lendemain de la publication de l’arrêt, annonçait la création d’une commission ad hoc , chargée, tout le laisse supposer, de sauver à tout prix les plateformes et les emplois (précaires) qui vont avec. Sur quoi va déboucher cette mission ? Pour ma part, je m’interroge sur le fait — plutôt le risque—qu’elle pourrait suggérer au législateur d’adopter une définition du salarié plus étroite que celle issue de l’« arrêt Société générale » de 1996. Avec en première ligne de mire les travailleurs des plateformes. Emportée dans son élan, la mission ne serait-elle pas amenée, sous la pression de secteurs professionnels en quête perpétuelle d’une réduction des coûts du travail, à proposer la sortie d’autres catégories de salariés—de fait relativement autonomes dans l’accomplissement de leur tâche— du champ couvert par le code du travail ? Une telle orientation, si elle devait être suivie, annoncerait à coup sûr l’avènement d’un modèle social fait de plus de précarité et de travailleurs pauvres.

      Pour plus de plus de développements : https://janusconsulte.blog/2020/04/08/apres-larret-de-la-cour-de-cassation-du-4-mars-2020-faut-il-sauver-le-soldat-uber/

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