1) Rappel des faits.
M. X... a collaboré à compter du 1er juin 2002 avec la société Motor Presse France, devenue Move Publishing (la société), pour le magazine Moto journal en qualité de pigiste rédacteur, à ce titre rémunéré sous forme de piges.
Le volume de son activité ainsi que de sa rémunération ayant diminué sensiblement en 2012 et 2013, il a, par lettre du 4 juin 2013, demandé à la société Move Publishing de lui fournir régulièrement du travail ou à défaut de mettre un terme à leurs relations contractuelles, demande à laquelle la société n’a pas donné suite.
M. X... a saisi la juridiction prud’homale.
Par arrêt du 28 septembre 2016, la Cour d’appel de Versailles a débouté le pigiste rédacteur de ses demandes.
Il s’est pourvu en cassation.
Par arrêt du 28 juin 2018 (n°16-27544), publié au bulletin, la Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié.
2) Arguments du pigiste rédacteur.
Le pigiste rédacteur plaidait notamment :
1°) qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ; que M. X... produisait aux débats les bulletins de salaire que la société lui avait délivrés et qui portaient mention des cotisations salariales ainsi que de l’application de la convention collective nationale des journalistes ; qu’en écartant la présomption de salariat résultant de l’existence d’un contrat de travail apparent après avoir constaté que M. X... produisait des bulletins de salaire, ce dont il résultait l’existence d’un contrat de travail apparent, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’article L. 1121-1 du code du travail ;
2°) qu’en écartant l’apparence d’un contrat de travail tirée de l’établissement des bulletins de paie pour la raison que celui-ci est rendu nécessaire par l’obligation de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste pigiste sans qu’il résulte de l’arrêt attaqué que les parties aient été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur ce moyen, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
3°) qu’en affirmant que M. X... aurait « bénéficié d’une totale indépendance dans l’exercice de ses prestations » et que « le seul impératif auquel il était soumis concernait la date de réception des articles », sans préciser les éléments dont elle entendait tirer de telles déductions, la cour d’appel a statué par voie de simple affirmation et méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
4°) que le défaut de fourniture de travail par l’employeur ou d’exécution de la prestation de travail par le salarié constituent des manquements du premier et du second aux obligations nées du contrat de travail ; que ni le défaut de fourniture de travail ni le défaut d’exécution de la prestation de travail sollicitée ne peuvent exclure l’existence d’un lien de subordination en l’état d’une relation contractuelle dans le cadre de laquelle une prestation de travail est par ailleurs exécutée contre rémunération ; qu’en retenant que M. X... « pouvait rester plusieurs mois sans contacter la société Move Publishing et donc sans lui fournir aucune prestation » pour exclure l’existence d’un contrat de travail, la cour d’appel a violé l’article 1134 alors en vigueur du code civil ensemble l’article L. 1221-1 du code du travail ;
5 °) qu’en fondant sa décision sur la considération tirée de ce qu’il résulterait de courriels de 2011 et 2012 que M. X... aurait pu rester plusieurs mois sans fournir aucune prestation, la cour d’appel a statué par un motif inopérant en violation de l’article L. 1221-1 du code du travail.
3) Solution de la Cour de cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
En premier lieu, elle affirme « qu’ayant relevé que l’établissement de bulletins de salaire était rendu nécessaire par l’obligation faite à l’entreprise de presse de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste pigiste, la cour d’appel en a exactement déduit, sans encourir le grief de la deuxième branche, que l’intéressé ne bénéficiait pas d’un contrat de travail apparent ».
En second lieu, elle affirme « qu’examinant les conditions effectives dans lesquelles l’intéressé collaborait avec la société Move Publishing, la cour d’appel, qui a constaté qu’il avait bénéficié d’une totale indépendance dans l’exercice de ses prestations, a pu en déduire que la qualité de collaborateur permanent lié à la société par un contrat de travail de droit commun ne pouvait lui être reconnue ».
4) Distinguer Journaliste professionnel et pigiste rédacteur non journaliste professionnel.
Le journaliste professionnel bénéficie de la présomption de contrat de travail.
Le pigiste rédacteur non journaliste professionnel devra prouver la relation de travail salariée.
4.1) Le journaliste professionnel bénéficie d’une présomption de salariat.
4.1.1) Le Journaliste professionnel.
Le journaliste professionnel est défini à l’article L. 7111-3 du code du travail : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa ».
Par ailleurs, l’article L. 7111-4 précise que sont assimilés aux journalistes professionnels « les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle ».
4.1.2) Conséquences de la présomption en cas de diminution du nombre de piges.
Le journaliste professionnel bénéficie d’une présomption de salariat ; à cet égard, l’article L. 7112-1 du code du travail dispose que « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ».
Cette présomption a pour conséquence en cas de diminution importante du nombre de pige ou en cas de cessation totale de collaboration, le journaliste professionnel peut prétendre :
aux indemnités de rupture (préavis, indemnité de licenciement comme un salarié en CDI) et
à une indemnité pour licenciement sans cause (L. 1235-3 du code du travail) lorsque la rupture est privée de cause réelle et sérieuse, ce qui est souvent le cas car très souvent aucune lettre de licenciement n’est notifiée au journaliste en cas d’interruption de ses piges.
4.1.3) Rappel de salaire pendant les périodes interstitielles/ intercalaires ?
Le journaliste professionnel s’il est employé en CDDU pourra aussi prétendre aux rappels de salaires pendant les périodes intercalaires / interstitielles s’il peut justifier qu’il était à disposition permanente de l’employeur. Voir à ce sujet notre article.
En revanche, s’il est employé à la pige pure (sans CDD), la Cour de cassation refuse au pigiste la possibilité de prétendre aux rappels de salaires pendant les périodes interstitielles / intercalaires. [2]
4.2) Le « pigiste rédacteur » non journaliste professionnel.
4.2.1) Pas de présomption de salariat.
Le pigiste rédacteur non journaliste professionnel ne bénéficie pas de la présomption de salariat.
Pour établir qu’il est dans une relation de travail salarié, il doit prouver qu’une a effectué un travail en contrepartie d’une rémunération et qu’il était soumis à un lien de subordination.
A cet égard, dans un arrêt du 13 novembre 1996 (Cass. soc., 13 novembre 1996, n°94-13187), la Cour de cassation a affirmé que "Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail."
Dans l’arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation a estimé que l’établissement des bulletins de paie n’était pas suffisant pour justifier de « l’apparence d’un contrat de travail » car celui-ci « était rendu nécessaire par l’obligation faite à l’entreprise de presse de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste pigiste ».
Il est recommandé aux pigistes de conserver toute preuve d’instructions pour établir le lien de subordination vis-à-vis de son employeur (email, sms, etc.)
4.2.2) « Totale indépendance » versus lien de subordination.
Dans l’arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation ne retient pas l’existence d’un contrat de travail pour le pigiste rédacteur car elle considère que l’intéressé « a bénéficié d’une totale indépendance dans l’exercice de ses prestations », et que « la qualité de collaborateur permanent lié à la société par un contrat de travail de droit commun ne pouvait lui être reconnue ».
La « totale indépendance » est exclusive du lien subordination qui est nécessaire à la reconnaissance d’un contrat de travail.
4.2.3) Absence de collaboration régulière…
Enfin, le pigiste rédacteur avait en l’occurrence travaillé sporadiquement et ne pouvait établir une collaboration régulière.
A cet égard, il avait travaillé 10, 5, voir même 2 piges par an, ce qui ne permet pas d’établir une régularité suffisante.