L'interprétation des clauses du contrat. Par Kadidjath Gazaliou, Juriste.

L’interprétation des clauses du contrat.

Par Kadidjath Gazaliou, Juriste.

1302 lectures 1re Parution: 4.82  /5

Explorer : # interprétation des contrats # clause d'interprétation # liberté contractuelle # intention des parties

« Interpretatio cessat in claris » : l’interprétation cesse lorsque les choses sont claires, ainsi si les clauses d’un contrat sont claires, le juge n’a pas besoin de les interpréter.

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 a introduit les articles 1188 à 1192 dans le Code civil français modernisant ainsi les règles d’interprétation des contrats. Et un contrat, bien que valablement formé, peut s’avérer ambigu ou lacunaire.

L’interprétation du contrat est alors utile pour en clarifier le sens ou le compléter. Rappelons que le contrat étant un accord de volonté, la doctrine classique a ainsi considéré que le juge, saisi d’un conflit relatif à l’interprétation du contrat, doit se borner à rechercher les droits et obligations que, d’un commun accord, les parties ont voulu créer entre elles.

-

Objet et utilité.

De nombreux contrats comportent des clauses d’interprétation dont l’objectif est, d’une part, de limiter les discussions sur le sens à donner aux termes du contrat, et d’autre part de guider l’interprète notamment, le juge ou l’arbitre, dans sa recherche de l’intention commune des parties. Les clauses d’interprétation sont en principe valables, en application du principe de liberté contractuelle. Certaines clauses d’interprétation se contentent de reprendre, d’une manière ou d’une autre, les enseignements du Code civil et ne posent aucune difficulté.

Les clauses d’interprétation peuvent de surcroît avoir pour objet de prévenir toute interprétation judiciaire ou arbitrale en agissant sur les sources d’ambiguïté, grâce à des clauses de définition par exemple.

Pour comprendre cette notion des clauses d’interprétations, il est nécessaire de se poser trois questions notamment : qu’est-ce qu’interpréter ? que doit-on interpréter ? et quand ou à quel moment interpréter ?

Définition.

Le Code civil ne donne pas de définition claire de la clause d’interprétation. En revanche, le terme interprétation revêt d’emblée une double signification. Il désigne d’abord l’opération intellectuelle consistant dans la recherche du sens d’un texte ou d’une formule, en l’occurrence d’un acte juridique. Il désigne aussi le résultat de cette opération, à savoir l’exposé du sens que l’interprète estime être celui dudit texte ou de ladite formule. S’agissant du contrat ou, plus généralement, des actes juridiques, le sens recherché est évidemment, au premier chef, celui que ses auteurs ont entendu donner à l’expression de leur volonté.

Il faut souligner qu’interpréter, c’est donner sens. En principe, les règles d’interprétation ont pour objet de dégager la commune intention des parties, dans le prolongement du principe d’autonomie de la volonté [1]. Le juge doit donc mener un travail d’historien pour rétablir, au moment de la conclusion du contrat la commune intention des parties. En revanche, cette commune intention est parfois difficile et parfois même impossible à dégager [2], le Code civil prévoit des règles d’interprétation subsidiaire : parfois appelée règles d’interprétation objective.

La mise en œuvre de la clause d’interprétation.

  • Cette mise en œuvre s’implique tout d’abord dans la rédaction précise : c’est-à-dire que les clauses doivent être rédigées de manière claire et précise pour éviter toute ambiguïté. Elles doivent définir comment les termes du contrat doivent être interprété en cas de doute.
  • Lorsqu’un différend s’avère, les parties doivent se référer à la clause d’interprétation pour résoudre leur conflit à l’amiable en suivant les stipulations dans le contrat.
  • Si les parties ne parviennent pas à un accord, un juge ou un arbitre peut être appelé à interpréter les clauses en utilisant les directives d’interprétation pour déterminer l’intention des parties et résoudre le litige.

L’appréciation des règles d’interprétation.

  • A l’égard du juge.

La Cour de cassation a très vite reconnu, dans l’arrêt Lubert c/ Wancareghem rendu le 2 février 1808, un pouvoir souverain aux juges du fond dans l’interprétation des contrats. L’interprétation des contrats est donc considérée comme une question de fait mais selon le droit anglais, elle est considérée comme une question de droit précisément dans l’affaire Pioneer Shippping LTD.

Les raisons en sont diverses : tout d’abord, la Cour de cassation doit assurer l’unité des règles de droit a priori n’a pas d’égards à la diversité des contrats ; ensuite, elle ne dispose pas de moyens lui permettant de se livrer à des investigations de fait lui permettant de découvrir la volonté des parties [3] ; enfin, elle pourrait craindre, à vouloir contrôler l’interprétation des juges du fond, un afflux important de pourvoi.

Ces raisons sont plus ou moins convaincantes : d’abord interpréter les contrats, c’est assurer leur force obligatoire et donc le respect de la loi comme mentionné à l’article 1103 du Code civil ; ensuite, si la Cour de cassation ne dispose pas des moyens de s’assurer de la bonne interprétation des contrats donnée par les juges du fond, rien ne s’oppose à ce qu’elle s’assure du respect par ces derniers d’une certaine méthode d’interprétation ; enfin, l’afflux des pourvois ne devrait pas être sensible, lorsque l’on sait le nombre déjà important de ceux qui invoquent la dénaturation.

Contrôle de la dénaturation.

Tout d’abord, la dénaturation se définit comme la méconnaissance du sens clair et précis d’un écrit. Ensuite, la Cour de cassation s’est donc octroyée, dans l’arrêt Veuve Foucauld rendu le 15 avril 1872, le pouvoir de sanctionner l’éventuelle dénaturation des contrats par les juges du fond, ce qui signifie qu’en présence d’un contrat clair et précis, les juges du fond ne pourront retenir un autre sens que celui-ci qui s’écarte de la lettre du contrat. Il y a donc dénaturation du contrat lorsque les juges du fond l’ont interprété dans un sens différent de celui qui ressortait de sa lettre claire et précise.

Or, d’après la Cour de cassation dans un arrêt du 12 janvier 1938, « une clause n’est claire et précise lorsqu’elle n’est susceptible d’un seul sens ».

Dans ce cas, il n’y a pas lieu de l’interpréter en lui donnant un autre sens : « lorsque les conventions sont claires et précises, aucune considération d’équité n’autorise le juge à modifier, sous prétexte de les interpréter, les stipulations qu’elles renferment ».

C’est ce que l’on retrouve aujourd’hui à l’article 1192 du Code civil

« On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ».

Enfin le contrôle de dénaturation ne s’exerce que sur un écrit et non sur des faits.

  • A l’égard des parties.

Le juge est obligé de rechercher la commune intention des parties. Il a été récemment jugé (30 mars 2022) par la chambre commerciale de la Cour de cassation que « lorsque les stipulations d’un contrat sont ambiguës, il appartient au juge de déterminer quelle a été la commune intention des parties ».

On peut se demander s’il s’agit des règles supplétives ou pas. Mais bien que les règles contenues aux articles 1188 et suivants semblent aussi s’adresser aux juges, et plus précisément aux juges du fond, elles sont rarement qualifiées en doctrine de règles supplétives. Si certaines clauses d’interprétation doivent pouvoir être stipulées efficacement par exemple celle qui établirait une hiérarchie entre les clauses de l’instrumentum, il serait curieux que les parties puissent enjoindre au juge d’interpréter des obligations négociées dans un sens différent de celui qui ressort de leur volonté commune.

Bon à savoir.

Interprétation des clauses d’un contrat :

  • Respect de la cohérence de l’acte entier : interprétation d’une clause d’indemnisation forfaitaire en cas de perte de pellicules par référence au contrat pris dans son entier [4]
  • Respect de l’économie générale du contrat : les juges du fond écartent à bon droit une clause contractuelle en contradiction avec l’économie générale de la convention [5].

Interprétation des clauses en cas de pluralité de contrat :

  • Pluralité de contrats contradictoire : le juge en présence de 2 contrats entre les mêmes parties (contenant l’un une clause compromissoire, l’autre une clause attributive de juridiction), il peut déduire, de la constatation que les parties ont voulu distinguer ces contrats par des clauses contraires, que la convention d’arbitrage stipulée au premier contrat est inapplicable au litige relatif au second contrat [6].
  • En droit du travail également : lorsque le juge est en présence de 2 contrats de travail signés à la même date par le salarié avec le même employeur, seul le plus favorable au salarié doit recevoir application. [7].

Distinction entre les clauses d’interprétation et d’autres clauses connexes.

  • La clause de définition : la clause de définition précise le sens termes « stratégiques » du contrat. Elle explique la signification de certains mots ou expressions utilisés dans un accord.
  • La clause de priorité établit une hiérarchie entre les documents contractuels, précontractuels, post-contractuels que le juge est susceptible d’exploiter à des fins d’interprétation, et qui permettent donc de résoudre la contradiction qui peut émaner de leur confrontation.
  • La clause d’intégralité permet au contraire de limiter les droits et obligations des parties au contenu exprès du contrat écrit (les faits et actes extérieurs) qui sont dépourvus de force obligatoire.
  • La clause de langues : opportune dans les contrats internationaux noués entre des parties qui ne parlent pas la même langue et qui, soit choisissent la langue officielle du contrat, soit désignent celle qui prévaudra en cas de désaccord, spécialement lorsque l’acte instrumentaire se déclinera en plusieurs versions linguistiques.
    - La clause de sens : définit précisément les termes juridiques et techniques utilisés dans l’acte instrumentaire et qui, grâce au petit vocabulaire contractuel qu’elle établisse, écarte tout litige sur le sens du terme contractuellement défini, même si la définition contractuelle venait à différer de celle généralement adoptée.
  • La clause de voisinage invite à interpréter le contrat à la lumière de tous les autres contrats ou documents échangés entre les parties. La cour a considéré les échanges de correspondance entre les parties pour déterminer l’intention réelle des parties et la validité de la résiliation [8].

En somme, toutes ces clauses susmentionnées font partie des clauses d’interprétations.

Conclusion.

La clause d’interprétation, introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, joue un rôle important dans la cohérence et la conception des contrats. Cette approche holistique permet d’assurer que l’intention commune des parties est respectée et que le contrat est interprété de manière claire et précise.

L’ordonnance de 2016 a consolidé cette notion en soulignant que lorsque plusieurs contrats concourent à une même opération, ils doivent être interprétés en fonction de celle-ci. Cela signifie que l’interprétation des contrats ne peut pas être faite de manière isolée, mais doit tenir compte de l’ensemble des documents contractuels et de l’objectif global poursuivi par les parties.

Aussi, les parties ne peuvent interpréter les termes comme bon leur semble, car la clause peut créer une incertitude et cela peut conduire à des interprétations distinctes et peut nuire à la mise en œuvre du contrat.

Les clauses d’interprétation introduites par l’ordonnance de 2016 ont pour but de garantir une plus grande cohérence et une meilleure compréhension des contrats, en mettant l’accent sur l’intention commune des parties et la cohérence globale des documents contractuels.

Le succès de cette règle d’interprétation dépendra de la bonne foi des parties dans leur contrat et de la recherche commune intention par le juge. Bien que cela soulève une question importante : doit-on se demander si modifier est-ce interpréter ?

Kadidjath Gazaliou
Juriste junior
Apprentie chez In Extenso
Master 2 droit des affaires et de l’entreprise (droit des contrats, droits des sociétés, droit de l’entreprise, droit du travail, droit pénal, etc)

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

11 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Ph. Simler, J-CI. Civil Code, Art. 1188 à 1192, Fasc. 10, Interprétation du contrat. L’instrument : notion, normes, champ d’application, n°27 : « dans la mesure (…) où les parties ont pu librement déterminer le contenu et les effets de leur contrat, il y aurait incohérence à respecter le principe d’autonomie de la volonté au moment de la formation du contrat et de l’écarter au contraire, au profit d’un critère objectif, dès qu’une difficulté d’interprétation surgit. L’interprétation suivant l’intention des parties est le corollaire indissociable du principe d’autonomie ».

[2Celle-ci n’existe pas lorsque les parties n’ont pas envisagé la difficulté lorsqu’elles ont contracté.

[3Notamment les procédés prévus aux articles 10 et 11 du Code de procédure civile.

[4Cass. Civ 1ère, 5 février 2002, n°00-10.250.

[5Cass. Com., 15 févr. 2000, n°97-19.793 P : D. 2000. Somm. 364, obs. Delebecque.

[6Cass. Civ 1ère., 4 juil. 2006, n°05-11.591 P.

[7Cass. Soc., 12 juill. 2006, n°04-48.654 P.

[8Cass. Com,1ère 24 nov. 1998 n°96-18.357.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs