Liberté contractuelle : c’est le principal caractère des contrats conclus pour la réalisation de travaux privés de bâtiment.
C’est toute la différence avec les marchés publics, dont la conclusion et l’exécution sont strictement encadrés par le Code de la commande publique.
Au contraire, dans les marchés privés, les parties sont libres de se choisir, et de définir ensemble le contenu de leur contrat. La liberté y est si grande qu’aucun contrat écrit n’est même exigé [1]. En pratique, il n’est pas si rare de rencontrer des marchés conclus de façon purement verbale, ou après transmission d’un simple devis non expressément accepté par le client. Ce n’est pourtant pas à recommander.
Que faire en cas d’imprévu, de retard de chantier, de défaillance d’une entreprise ? Quelle attitude adopter face à un refus de paiement de la part du maître d’ouvrage ? Et les travaux supplémentaires, facturables ou pas ? La construction immobilière est une entreprise pleine d’aléas.
Téméraire est celui qui s’y lance sans un minimum de précautions ! La prudence consisterait à rédiger un contrat envisageant tous les cas de figure possibles, pour en fixer la solution à l’avance, mais à moins de disposer d’une boule de cristal en bon état de marche, le risque est de n’avoir pas tout prévu.
La tentation est grande, alors, d’adopter un contrat-type établi à l’avance. La norme Afnor NF P 03-001 est le plus connu de ces instruments préétablis. De quoi s’agit-il ?
Comme son titre officiel l’indique, la norme Afnor NF P 03-001 (« la norme », pour faire court dans la suite de cet article) est un « Cahier des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés ». A la différence du CCAG Travaux applicable aux marchés publics, qui est adopté par arrêté ministériel librement accessible sur Légifrance, la norme est une œuvre privée. Elle est diffusée par l’Association française de normalisation, moyennant paiement. Point commun avec le CCAG Travaux en revanche, elle n’est applicable qu’aux marchés qui s’y réfèrent. La norme n’est pas une loi, mais un instrument offert à la liberté des parties, qui en font ce qu’elles veulent. Elles peuvent l’accepter en bloc, n’adopter que certaines de ses dispositions, ou encore prévoir des modifications ou des aménagements. Voilà qui, déjà, peut réserver son lot de surprises.
De plus, une fois adoptée, la norme s’impose aux parties : la liberté contractuelle fait alors place à la force obligatoire du contrat. Pas moyen de prétendre n’avoir pas eu connaissance d’une des dispositions de la norme pour s’affranchir de son effet contraignant. On le voit, une référence mal maîtrisée à la norme comporte donc également un risque, tout aussi grave que le risque de n’avoir rien prévu : celui de se voir imposer des règles et des solutions qu’on n’avait pas clairement anticipées.
Maîtrise du risque ou mauvaise surprise, la norme peut offrir l’une ou réserver l’autre. Rechercher la première, fuir la seconde, suppose de s’interroger d’abord sur la manière d’adopter la norme, pour envisager ensuite la façon dont elle s’applique, une fois adoptée.
I. L’adoption de la norme.
Redisons-le, la norme n’est pas une loi. Son application résulte de l’exercice de la liberté contractuelle. En clair, il faut que les parties l’adoptent dans leur contrat.
Qui veut recourir à la norme pour maîtriser les risques, et non pour les aggraver, doit se souvenir que la liberté contractuelle permet aux parties de faire ce qu’elles veulent, à condition de le dire clairement. Ce qui se vérifie lorsqu’on se demande comment adopter la norme, mais aussi, une fois admis le principe de l’adoption, quand on s’interroge sur la portée de cette adoption.
Pour adopter la norme, la règle est simple : il faut, mais il suffit d’y faire référence dans le contrat. Il faut ainsi que la norme soit effectivement visée dans les documents contractuels. Le silence des documents du marché sur ce point essentiel ne peut qu’entraîner le refus d’application de la norme [2]. Mais une fois la référence faite, la norme s’applique. Pas besoin d’en faire plus. Il n’est pas nécessaire, par exemple, que la norme soit signée des parties, ni même qu’elle leur soit remise [3]. Impossible donc de soustraire à l’application de la norme, en prétendant qu’on n’en n’a pas reçu un exemplaire… Voilà qui incite à la vigilance, surtout si l’on rappelle que la norme n’est pas en accès libre sur Internet.
Plus complexe est la question de la portée de l’adoption de la norme. Qu’adopte-t-on, au juste, quand on vise la norme ? Et pour commencer, quelle version de la norme retenir ? L’Afnor procède régulièrement à des révisions plus ou moins poussées.
La première édition remonte à 1942, et la dernière a été adoptée le 20 octobre 2017, remplaçant la précédente version de décembre 2000.
Les parties peuvent décider d’appliquer une version déterminée. Elles doivent alors l’indiquer explicitement. Lorsque le contrat ne dit rien de la version applicable, cas le plus fréquent, la logique contractuelle voudrait que l’on retienne la version qui est en vigueur au jour de la conclusion du contrat [4]. Là encore, la vigilance est donc de mise. Gare aux surprises, si les parties n’ont pas connaissance de l’intervention d’une nouvelle version de la norme au jour où le contrat est conclu.
Autre difficulté lorsqu’on s’interroge sur la portée de l’adoption de la norme : comment la combiner avec d’autres dispositions contractuelles éventuellement contraires ? Pour répondre, il faut encore une fois se souvenir que la norme n’est pas une loi, et que les parties sont libres de l’adopter en bloc, ou de déroger à celles des dispositions qui ne leur plairaient pas. Le risque vient ici d’une incohérence qui aurait échappé aux parties.
Que faire, par exemple, lorsqu’un document contractuel vise la norme, mais qu’un autre indique que seules les conditions générales de l’entreprise s’appliqueront au contrat ? Le plus sûr est de prévoir un ordre de préséance parmi les différentes pièces contractuelles, afin qu’en cas de contradiction, la plus élevée dans la hiérarchie prévale sur l’autre [5]. La norme comporte elle-même des dispositions sur ce point, le principe étant que les pièces particulières [6] l’emportent sur les pièces générales [7].
En sa version de 2017, la norme ajoute que pour être opposables, les modifications qui lui sont apportées doivent être récapitulées « dans le dernier article du CCAP, ou à défaut, dans un document particulier du marché [8] ». L’innovation est directement inspirée du CCAG Travaux. Que faut-il en penser ? L’avis est partagé. D’un côté, la règle est bienvenue, en ce qu’elle impose aux parties d’expliciter les dérogations qu’elles souhaitent apporter à la norme, et les oblige ainsi à faire preuve de clarté dans la combinaison des différents documents contractuels. D’un autre côté, on peut se demander si la règle nouvelle ne conduit pas à écorner l’heureux principe suivant lequel les pièces particulières prévalent sur les pièces générales. Prenons l’exemple d’une contradiction, entre le CCAP et la norme, sur le délai de notification d’un décompte. Si on veut faire prévaloir la pièce particulière sur la pièce générale qu’est la norme, on ne peut plus se contenter de faire état du rang supérieur de la pièce particulière. Il faut encore avoir indiqué, dans le CCAP, qu’il dérogeait sur ce point à la disposition correspondante de la norme. Voilà en tous cas qui ne manquera pas de surprendre ceux qui n’auront pas mesuré toute la portée du nouveau principe.
Quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir de la règle récemment introduite, on voit en tous cas qu’il est bien fini, le temps où l’on pouvait reprendre la référence à la norme d’un marché à un autre, sans trop avoir à se soucier de son articulation avec les pièces particulières de chaque contrat. Pour chaque opération, une analyse préalable des dispositions contractuelles applicables à chaque étape de la vie du contrat devrait désormais être de mise [9]. La même prudence est de rigueur au moment où, après s’être interrogé sur son adoption, on envisage l’application de la norme.
Discussion en cours :
La seule référence a une norme afnor suffit-il pour qu’elle soit applicable ou faut-il l’identifier précisément ?
Le CCTP prévoit que "s’applique aux ouvrages les normes AFNOR", sans identifier, dans mon cas, la norme EN F 1366-8.
Merci