L'insertion des clauses d'exclusion en cours de vie sociale dans les sociétés commerciales. Par Dania Aviles, Étudiante.

L’insertion des clauses d’exclusion en cours de vie sociale dans les sociétés commerciales.

Par Dania Aviles, Étudiante.

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Explorer : # clauses d'exclusion # réforme législative # sociétés commerciales # sécurité juridique

Sous quelles conditions de majorité une clause d’exclusion peut-elle être insérée en cours de vie sociale dans une société ?
L’insertion d’une clause d’exclusion en cours de vie sociale soulève une problématique essentielle en droit des sociétés, notamment en ce qui concerne la compatibilité de cette clause avec la protection des droits des associés et la liberté statutaire des associés.
Si la SAS jouit d’une grande souplesse en la matière, qu’en est-il des autres formes sociales, où les règles peuvent s’avérer plus strictes et incertaines ? C’est cette question que nous nous proposons d’analyser, en mettant en lumière les différences de traitement au sein des sociétés commerciales.

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I. L’instabilité du régime des clauses d’exclusion.

A) Une souplesse statutaire encadrée par la loi dans la SAS.

1. L’assouplissement du formalisme statutaire par la loi « Soilihi » du 19 juillet 2019.
La loi de réforme de 2019 a introduit une modification significative de l’article L227-19 du Code de commerce, lequel énonce désormais que :

« les clauses statutaires mentionnées aux articles L227-14 et L227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions prévues par les statuts ».

L’unanimité, autrefois requise pour l’adoption ou la modification des clauses d’exclusion dans les statuts d’une SAS, a ainsi été supprimée. Cette évolution législative confère aux associés une marge de manœuvre accrue, leur permettant de déterminer librement, dans les statuts, les conditions de majorité nécessaires pour insérer ou modifier ces clauses. Désormais, une majorité simple ou qualifiée peut être retenue, en fonction des stipulations statutaires adoptées par les associés.

Cette réforme s’inscrit dans une logique plus globale de simplification et de flexibilisation du régime des SAS, poursuivant l’objectif d’une gestion moins rigide et plus adaptée aux besoins des entreprises modernes. Elle témoigne de la volonté du législateur de renforcer l’attractivité de cette forme sociale en facilitant les ajustements conventionnels entre associés tout au long de la vie sociale.

2. Les motivations législatives derrière la réforme législative de 2019.
Cette réforme a pour objectif de faciliter l’exclusion d’un associé qui entraverait le bon fonctionnement de la société, en particulier dans les situations où il refuse de se prononcer sur sa propre exclusion et où les statuts ne comportent pas de clause d’exclusion. En autorisant l’adoption de cette clause à la majorité, le législateur permet aux associés de prendre des décisions opérationnelles sans l’accord préalable de l’associé récalcitrant, tout en préservant l’intérêt collectif des associés et l’intérêt social de la société.

B) Une incertitude persistante pour les autres sociétés, entre unanimité et majorité qualifiée.

1. Sur l’insertion en cours de vie sociale.
L’insertion d’une clause d’exclusion en cours de vie sociale suscite des interrogations quant à son traitement juridique, notamment sur la nature de la décision qu’elle implique.
D’une part, cette insertion peut être perçue comme une modification statutaire, requérant une Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) et l’adoption de la décision par une majorité qualifiée, comme dans le cas des SARL (art. L. 223-20 du Code de commerce).
D’autre part, certains considèrent qu’une telle clause pourrait être assimilée à une augmentation des engagements des associés, ce qui, en principe, nécessiterait une décision unanime, conformément au principe d’intangibilité des engagements dans la vie sociale (art. 1836 du Code civil). Cette ambivalence soulève une incertitude persistante quant à la majorité nécessaire pour l’adoption ou la modification de telles clauses dans d’autres formes sociétales.

2. Sur la modification en cours de vie sociale.
Une problématique similaire se pose lorsqu’il s’agit de modifier une clause d’exclusion déjà insérée dans les statuts. La professeur Dorothée Gallois-Cochet précise que l’exigence de majorité dépendra de la nature de la modification [1]. Par exemple, la suppression d’un motif d’exclusion, qui diminue les engagements des associés, n’exige pas unanimité, car elle ne constitue pas une augmentation des obligations des associés. Cette interprétation permet de clarifier que l’unanimité n’est pas requise dans tous les cas, mais seulement lorsque la modification entraîne une augmentation des engagements des associés.

3. L’exigence d’unanimité de l’article 1836 du Code civil.
La prohibition de voir les engagements des associés augmentés en cours de vie sociale sans unanimité.
En dehors des SAS, l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion se heurte à une problématique plus complexe en raison de l’article 1836 du Code civil, qui stipule que les engagements des associés ne peuvent être modifiés qu’à l’unanimité, sauf stipulation contraire. En effet, une délibération qui augmente les engagements de l’associé est une délibération qui crée une nouvelle obligation en principe.
Toutefois, cette règle connaît des exceptions, notamment en ce qui concerne l’insertion d’une clause d’agrément en cours de vie sociale, car ça ne serait a priori pas une augmentation des engagements, mais plutôt une restriction des droits (très discutable, une clause d’agrément impose de demander l’accord des autres associés, c’est donc une obligation).
La question est plus problématique pour les clauses d’exclusion, souvent perçues comme une augmentation des obligations. En effet, imposer une obligation ou restreindre une liberté sous peine d’exclusion revient à modifier les conditions de participation à la société. Dès lors, son adoption devrait théoriquement nécessiter l’unanimité des associés, conformément à l’article 1836 du Code civil.

4. L’exemple de la SARL - article L223-30 du Code de commerce.
Pour les SARL, la question de l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion en cours de vie sociale est plus délicate. En vertu de l’article L223-30 du Code de commerce, dans les SARL constituées depuis 2005, les modifications statutaires peuvent être adoptées à la majorité des 2/3 des associés représentant au moins ¼ des parts sociales, et ce même en cas de seconde convocation où un quorum plus faible de 1/5ème suffit.
Toutefois, pour les SARL constituées avant 2005, ces modifications sont soumises à une majorité des ¾ des voix (art. L223-30, al. 3). Bien que les statuts puissent prévoir des majorités ou quorums plus élevés, l’unanimité est expressément interdite, et tout recours à cette dernière serait, en l’absence d’une disposition statutaire explicite, frappé de nullité (art. L223-30, al. 4). Attention toutefois, au fait que si la modification des statuts aboutit à une augmentation des engagements des associés, l’unanimité reste expressément requise. À ce stade, il subsiste une incertitude quant à l’exigence ou non de l’unanimité. Cette incertitude persistante réside dans l’interprétation de ce qui constitue une augmentation des engagements des associés, rendant chaque situation susceptible d’une analyse au cas par cas.

II. Une insécurité juridique alimentée par l’ambivalence jurisprudentielle et doctrinale.

A) Des décisions jurisprudentielles contrastées : une position oscillante entre unanimité et majorité qualifiée.

La jurisprudence adopte une approche fluctuante quant aux conditions d’adoption d’une clause d’exclusion en cours de vie sociale.
D’une part, certaines décisions considèrent qu’une telle clause porte atteinte aux droits fondamentaux des associés, ce qui justifierait l’exigence de l’unanimité. Cette position repose sur l’idée que l’exclusion d’un associé constitue une modification substantielle de sa participation sociale, dans la mesure où elle entraîne la perte de ses droits sans son consentement préalable et la violation de son droit de propriété.
Dans cette perspective, la jurisprudence a parfois estimé que l’insertion d’une clause d’exclusion pouvait être assimilée à une augmentation des engagements des associés, imposant ainsi l’unanimité. Toutefois, cette analyse dépend de la nature des motifs d’exclusion. Par exemple, si la clause prévoit l’exclusion d’un associé en cas de concurrence avec la société, elle revient à introduire indirectement une obligation de non-concurrence, ce qui ne relève pas nécessairement de l’article 1836 du Code civil. À ce titre, la Cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur plusieurs motifs d’exclusion, mais n’a statué que sur celui lié à la concurrence, laissant ainsi planer une incertitude sur les autres causes d’exclusion [2].

D’autre part, une tendance jurisprudentielle plus récente semble atténuer cette exigence d’unanimité. Dans un arrêt du 1ᵉʳ février 2017, la Cour de cassation a jugé que l’insertion d’une clause d’exclusion dans une association ne constituait pas une augmentation des engagements des membres et pouvait donc être adoptée à la majorité [3]. Cette décision suggère qu’une clause d’exclusion ne relève pas nécessairement du principe d’intangibilité des engagements des associés, ouvrant ainsi la voie à une adoption à la majorité qualifiée dans certaines configurations. Bien que cette solution ait été retenue en matière associative, elle pourrait, par analogie, être transposée aux sociétés à risque limité telles que la SARL, hors les cas spécifiques des SAS et des sociétés européennes.

La modification de l’article L227-19 a été portée devant le Conseil Constitutionnel dans le cadre d’une QPC, qui s’est interrogé sur une possible atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’associé, résultant de la combinaison des articles L227-16 et L227-19, permettant d’insérer une clause d’exclusion à la majorité prévue par les statuts [4]. En réponse à cette QPC, dans sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil Constitutionnel a estimé que cette combinaison législative ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété et qu’elle ne constituait pas un cas d’exclusion pour cause d’utilité privée [5]. Ainsi, la question demeure controversée et dépend largement de l’interprétation des juges quant à la portée des obligations imposées aux associés par une clause d’exclusion insérée en cours de vie sociale et entretient une insécurité juridique notable.

B) Perspectives doctrinales et pratiques.

1. Divergences d’interprétation sur la nature des clauses d’exclusion.
Le débat doctrinal sur la nature des clauses d’exclusion demeure particulièrement vif.
Certains auteurs, notamment Cozian, Viandier et Deboissy, soulignent leur ambiguïté, tant au regard de leur impact sur les droits des associés que de leur insertion dans les statuts sociaux. Selon eux, la question de savoir si une clause d’exclusion constitue une augmentation des engagements des associés dépend largement de l’interprétation des statuts et de la nature des relations entre les associés.

2. Arguments en faveur de l’unanimité - Specialia generalibus derogant. Selon cet adage, le droit spécial l’emporte sur le droit général. Traditionnellement, le droit des sociétés est considéré comme un droit spécial, dérogatoire au droit civil qui représente le droit commun. Cependant, dans le contexte de notre réflexion, il est nécessaire de renverser cette hiérarchie. En effet, dans notre cas, l’opposition ne porte pas sur deux textes législatifs distincts, mais sur deux types d’interprétations d’une règle, ce qui rend l’application de ce principe moins évidente. Dans cette analyse, je considère la règle générale comme étant celle qui permet la modification des statuts, en ce sens qu’en matière de SARL, la règle la plus commune, sauf exceptions, est que toute modification des statuts se fasse par majorité qualifiée. En revanche, je considère la règle de la prohibition de l’augmentation des engagements comme une exception, car ici, bien qu’une décision modifiant les statuts soit prise, une question supplémentaire se pose : cette décision augmente-t-elle l’engagement d’un associé ? Ainsi, contrairement à la modification pure et simple des statuts, qui s’inscrit dans la règle générale, l’augmentation des engagements des associés représente une question plus spécifique. Elle réduit le champ d’application de la décision, car elle touche directement les droits individuels des associés. Par conséquent, dans cette configuration, l’exception à la règle générale, relative à l’augmentation des engagements, doit être traitée comme un cas plus "spécial", nécessitant l’unanimité des associés pour être valide. Dès lors, il apparaît que, bien que le droit des sociétés soit traditionnellement vu comme spécial, dans cette situation précise, il est plus logique de considérer que l’unanimité requise par l’article 1836 du Code civil prime. Ce dernier vise à protéger les droits fondamentaux des associés en matière d’engagements et de décisions impactant directement leur situation au sein de la société. En ce sens, si l’on considère que l’engagement des associés constitue une règle plus spéciale que la simple modification statutaire, elle doit prévaloir et imposer l’unanimité.

3. La force obligatoire des contrats et les principes d’intangibilité et d’irrévocabilité– articles 1103 et 1193 du Code civil.
Ces principes constituent un autre fondement de cette exigence. Ils impliquent que les engagements contractuels doivent être respectés et ne peuvent être modifiés ou révoqués que d’un commun accord ou dans les cas prévus par la loi. L’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion sans l’accord de l’ensemble des associés y contreviendrait en altérant la situation juridique initialement convenue. En effet, imposer une clause d’exclusion à un associé qui ne l’avait pas acceptée au moment de son entrée dans la société constitue une modification unilatérale des termes du pacte social, ce qui remettrait en cause non seulement ses droits patrimoniaux et politiques dans la société, mais également son droit de propriété.

4. Des conséquences dommageables.
La loi Soilihi de 2019 s’inscrit dans un mouvement plus large de libéralisation du droit des sociétés, notamment illustré par l’assouplissement du régime des SAS, mais ce n’est pas sans conséquences. En effet, les associés minoritaires, qui étaient jusque-là protégés par des mécanismes juridiques plus contraignants, se retrouvent en situation de vulnérabilité face aux décisions des majoritaires, qui pourraient désormais imposer leur exclusion sans leur consentement. La prévisibilité des engagements s’en trouve affaiblie, dans la mesure où une simple majorité pourrait remettre en cause des droits essentiels. Les engagements pris au moment de la constitution de la société ou lors de la signature du pacte social deviennent ainsi moins stables, et les associés minoritaires se retrouvent à la merci de décisions unilatérales prises par les majoritaires.

Toutefois, cette faiblesse n’est pas sans contrepoids. La loi prévoit des garde-fous pour protéger les minoritaires des abus de pouvoirs. En particulier, la prohibition de l’abus de majorité, énoncée à l’article 1833 du Code civil, constitue une protection essentielle. Cette règle permet aux associés minoritaires de contester les décisions prises par les majoritaires si elles sont jugées contraires à l’intérêt social ou si elles portent atteinte de manière injustifiée aux droits des associés minoritaires. L’abus de majorité peut ainsi être invoqué pour remettre en cause une décision prise dans des conditions déloyales ou visant à favoriser de manière disproportionnée les associés majoritaires. Néanmoins, la mise en œuvre de cette protection reste complexe et, dans certains cas, pourrait être perçue comme insuffisante face à la puissance accrue des majoritaires. Cela renforce l’idée qu’une telle évolution du droit des sociétés doit être accompagnée de précautions supplémentaires pour maintenir un équilibre juste et prévisible au sein des sociétés.

5. Un impératif de clarification législative ou jurisprudentielle.
À l’heure actuelle, la jurisprudence demeure fragmentée et incertaine, se limitant à quelques décisions éparses qui ne clarifient que très peu, voire pas du tout, les différents motifs d’exclusion, ni ne traitent de manière claire d’autres situations que celles des associations. Une intervention du législateur permettrait d’établir un cadre précis pour déterminer si les clauses d’exclusion relèvent d’une simple modification statutaire ou d’une augmentation des engagements des associés. Toutefois, il semble difficile d’envisager une extension de ce régime à d’autres formes sociales, car ce choix paraît spécifique à la SAS eu égard la liberté statutaire qui la caractérise. À défaut, une unification jurisprudentielle pourrait apporter davantage de sécurité juridique en évitant des divergences d’interprétation. En attendant une telle évolution, la prudence commande d’exiger l’unanimité pour toute modification des clauses d’exclusion, afin d’anticiper d’éventuelles contestations et de limiter les risques d’insécurité juridique.

Dania Aviles,
Étudiante en troisième année de Licence en Droit à l’Université Paris Panthéon-Assas.

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Notes de l'article:

[1D. Gallois-Cochet, « L’obscure clarté du régime de l’exclusion statutaire », art. n°6.

[2CA Paris, 17 févr. 2015, n°14-00.358.

[3Civ. 1ère, 1er févr. 2017, n°16-11.979.

[4Chambre commerciale, arrêt n° 699 du 12 octobre 2022.

[5Décision n° 2022-1029 QPC du 9 décembre 2022.

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