1/ Présentation du différé spécifique d’indemnisation.
Selon l’article 21 du règlement d’assurance chômage annexé au décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, le versement des allocations est reporté à l’expiration d’un différé d’indemnisation spécifique.
Ce différé « correspond au nombre de jours qui résulte de la division des sommes inhérentes à la rupture du contrat de travail dont le montant ou les modalités de calcul ne résultent pas directement de l’application d’une disposition législative, ou qui n’ont pas été allouées par le juge, par 102,4 » [1].
Le diviseur évolue chaque année en fonction du plafond annuel du régime d’assurance vieillesse de la Sécurité sociale.
La valeur de ce diviseur a été portée à 107,9 à compter du 1ᵉʳ janvier 2024 [2].
Cette valeur est applicable aux fins de contrats de travail intervenant à compter du 1er janvier 2024 et aux procédures de licenciement engagées à compter du 1ᵉʳ janvier 2024.
Le différé d’indemnisation spécifique est limité à 150 jours calendaires, sauf en cas de prise en charge consécutive à une rupture pour motif économique du contrat de travail au sens de l’article L1233-3 du Code du travail, où il est limité à 75 jours calendaires.
Il ne s’applique pas aux bénéficiaires du Contrat de sécurisation professionnelle (CSP) percevant l’allocation de sécurisation professionnelle (ASP).
L’assiette de calcul du différé d’indemnisation spécifique est constituée de toutes les indemnités ou sommes inhérentes à la rupture du contrat de travail, à l’exception :
- de celles dont le montant ou les modalités de calcul résultent directement de l’application d’une disposition législative ;
- de celles allouées au salarié par le juge.
Ainsi, le différé spécifique d’indemnisation est déclenché par le versement de toute indemnité supra-légale (ex. l’indemnité conventionnelle de licenciement, si elle est plus favorable que l’indemnité légale, l’indemnité transactionnelle, l’indemnité de non-concurrence, l’indemnité de rupture conventionnelle supra-légale, etc.).
A l’inverse, il ne s’applique pas à l’indemnité légale de licenciement, à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’indemnité forfaitaire de conciliation, à l’indemnité de licenciement des journalistes, etc.
2/ Cas de l’indemnité transactionnelle portant sur l’exécution du contrat de travail.
L’indemnité transactionnelle portant sur l’exécution du contrat de travail est celle qui est versée en règlement d’un différend relatif au déroulement de la relation professionnelle : souffrance au travail, harcèlement moral, repos compensateur, heures supplémentaires, indemnité de non-concurrence,…
Selon le règlement général d’assurance-chômage :
« Le différé visé au § 1ᵉʳ est augmenté d’un différé spécifique en cas de prise en charge consécutive à une cessation de contrat de travail ayant donné lieu au versement d’indemnités ou de toute autre somme inhérente à cette rupture, quelle que soit leur nature.
Il est tenu compte pour le calcul de ce différé, des indemnités ou de toute autre somme inhérente à cette rupture, quelle que soit leur nature, dès lors que leur montant ou leurs modalités de calcul ne résultent pas directement de l’application d’une disposition législative » [3].
L’indemnité transactionnelle portant sur l’exécution du contrat de travail n’a pas de lien avec la rupture du contrat.
Logiquement, elle ne doit pas être mentionnée dans le cadre 6.3 de l’attestation employeur destinée à France Travail, intitulé « sommes versées l’occasion de la rupture (solde de tout compte) ».
D’ailleurs, comme le précise la notice de l’attestation France Travail : « Vous devez déclarer le montant total des indemnités ou autres sommes inhérentes à la rupture, et détailler les indemnités légales, conventionnelles, ou transactionnelles ».
La jurisprudence s’est déjà prononcée sur le sujet.
Dans un arrêt du 1er juin 2023 [4], la Cour d’appel de Paris a retenu le différé spécifique d’indemnisation dans les circonstances suivantes :
« Le Protocole rappelle la procédure initiée par M. [B] aux fins de solliciter des dommages et intérêts pour cause de discrimination syndicale, précisant que le conseil de prud’hommes l’a débouté de cette demande et qu’il a fait appel de la décision.
Le Protocole fait aussi état de la procédure de licenciement pour inaptitude initiée par la Société et du fait que M. [B] « a immédiatement contesté le licenciement par l’intermédiaire de son conseil, estimant que le licenciement est atteint de nullité et subsidiairement qu’il est dénué de toute cause réelle et sérieuse ».
Ainsi, l’indemnité transactionnelle, telle que convenue entre les parties, est « inhérente à cette rupture, quelle que soit (sa) nature dès lors que (son) montant ou (ses) modalités de calcul ne résultent pas directement de l’application d’une disposition législative », de sorte que c’est à bon droit, ainsi que l’a finement analysé le premier juge, que le Pôle emploi a appliqué le différé spécifique de la durée de 150 jours ».
La solution semble logique puisque l’indemnité transactionnelle réparait à la fois les conséquences liées à l’exécution du contrat de travail et au licenciement.
En revanche, le Tribunal judiciaire de Paris a exclu le différé spécifique dans un jugement (limpide) du 27 février 2024 [5] :
« En l’espèce, Mme [V] conteste l’application du différé spécifique sur l’indemnité de conciliation ainsi que sur l’indemnité transactionnelle qu’elle a perçues.
Comme elle le fait valoir l’indemnité transactionnelle qu’elle a perçue en application du protocole transactionnel établi avec son ancien employeur le 5 mai 2022 ne peut entraîner de différé d’indemnisation dès lors qu’il est expressément précisé aux termes du protocole produit au débat que celle-ci vient réparer les préjudices moraux et professionnels qu’elle prétend avoir subis du fait de l’exécution fautive de son contrat de travail ».
Ainsi, l’indemnité transactionnelle réparant uniquement l’exécution fautive du contrat de travail ne doit pas déclencher le différé spécifique.
Dans un arrêt du 31 octobre 2007 relatif à l’indemnité pour jours de réduction du temps de travail non pris, la Cour de cassation avait jugé que celle-ci n’est pas inhérente à la rupture du contrat de travail et doit donc être exclue de l’assiette de calcul du différé d’indemnisation spécifique [6].
Il ne s’agit certes pas d’une indemnité transactionnelle mais la logique est identique : l’indemnité porte sur l’exécution du contrat et non sur sa rupture.
En conclusion, le différé spécifique d’indemnisation ne s’applique pas lorsque l’indemnité transactionnelle répare un préjudice exclusivement lié à l’exécution du contrat de travail.