Indemnisation des préjudices des familles de militaires décédés en service.

Par Tiffen Marcel, Avocate.

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Explorer : # indemnisation # préjudice moral # militaires décédés # prise en charge des frais d'obsèques

Lorsqu’un militaire ou un gendarme décède dans l’exercice de ses fonctions ou des suites d’une maladie ou d’une blessure survenue en service, son décès doit être reconnu comme un accident de service.
Dans ce cas, les ayants cause (conjoint survivant, enfants, ascendants) du militaire concerné ont droit à l’indemnisation de leurs préjudices sous certaines conditions.
Qu’en est-il de l’indemnisation des préjudices des proches d’un militaire décédé en service ?

-

1.- Accident en service : entre présomption et démonstration du lien au service.

Certains accidents et maladies subis par les militaires sont présumés être directement liés au service.

Il s’agit notamment des blessures constatées par suite d’accident survenu à l’occasion du service, et des blessures ou maladies contractées notamment au cours de guerres ou d’opérations extérieures (OPEX) (article L121-2 du Code des pensions militaires d’invalidités et des victimes de guerre) : « Est présumée imputable au service :
- 1° Toute blessure constatée par suite d’un accident, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ;
- 2° Toute blessure constatée durant les services accomplis par un militaire en temps de guerre, au cours d’une expédition déclarée campagne de guerre, d’une opération extérieure mentionnée à l’article L4123-4 du Code de la défense ou pendant la durée légale du service national et avant la date de retour sur le lieu d’affectation habituelle ou la date de renvoi dans ses foyers (…) ;
- 4° Toute maladie constatée au cours d’une guerre, d’une expédition déclarée campagne de guerre, d’une opération extérieure mentionnée à l’article L4123-4 du Code de la défense ou pendant la durée légale du service national, à compter du quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant la date de retour sur le lieu d’affectation habituelle ou la date de renvoi du militaire dans ses foyers. En cas d’interruption de service d’une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu’à compter du quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif
 ».

A ce sujet, la jurisprudence confirme, de manière constante, qu’un accident intervenu sur le lieu et dans le temps du service est présumé imputable au service en l’absence de circonstance particulière le détachant du service :

« 3. Considérant qu’un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service ; qu’il en va ainsi lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l’absence de circonstances particulières le détachant du service ; qu’il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service ; qu’il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce » (Conseil d’Etat, 16 juillet 2014, req. n° 361820).

En l’absence de présomption d’imputabilité au service, les ayants cause du militaire décédé devront apporter la preuve que son accident présente un lien direct avec le service et lui est imputable.

C’est ce que confirme l’article L121-2-1 du Code des pensions militaires d’invalidité : « (…) Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux précités lorsque le militaire ou ses ayants cause établissent qu’elle est essentiellement et directement causée par l’exercice des fonctions » [1].

S’agissant de la notion d’imputabilité au service, le Conseil d’Etat a précisé qu’ « une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service » (CE 13 mars 2019, req. n° 407795).

Ainsi lorsqu’un militaire décède en service par suite d’un accident, d’une blessure ou d’un suicide, ses ayants cause bénéficient d’un droit à indemnisation de leurs préjudices sous réserve de la reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident.

2.- Décès en service d’un militaire : quelle indemnisation pour les proches ?

2.1.- La prise en charge des frais d’obsèques.

Aux termes de l’article 1er du décret n° 2015-1535 du 25 novembre 2015 relatif à la prise en charge par l’Etat des frais liés au décès en service des militaires :

« L’Etat participe aux frais liés au décès en service des militaires ainsi qu’aux frais liés au décès d’un militaire des suites d’une blessure reçue en service ou d’une maladie contractée ou aggravée en service, lorsque ce décès intervient moins de cinq ans après la survenue de ladite blessure ou de ladite maladie ou de l’aggravation de cette dernière dans les conditions fixées par le présent décret ».

La prise en charge des frais inhérents au décès d’un militaire imputable au service porte sur les frais énumérés à l’article 2 du décret n° 2015-1535 du 25 novembre 2015 et notamment :
- Les frais d’obsèques,
- Les frais liés à l’acquisition d’un encadrement ou d’une pierre tombale,
- Les frais de concession funéraire pour une durée initiale maximale de cinquante ans,
- Les frais de transports, d’hébergement et de restauration des membres de la famille.

Cette prise en charge s’effectue par le biais d’un remboursement, par l’Etat, des dépenses exposées, après déduction des sommes perçues au titre d’un contrat d’assurance souscrit par le défunt ayant le même objet [2].

Les demandes de remboursement des frais doivent être adressées par les personnes s’étant acquittées de ces frais, au service chargé du calcul du remboursement au sein de l’armée, de la direction ou du service d’appartenance du militaire défunt, sur production des pièces justificatives de paiement originales acquittées et d’un justificatif des pompes funèbres, dans un délai d’un an à compter de la date du décès [3].

L’entreprise des pompes funèbres en charge des obsèques peut, le cas échéant, être réglée directement.

2.2- Les fonds de prévoyance.

Les militaires sont affiliés, pour la couverture de certains risques, à des fonds de prévoyance alimentés par des cotisations obligatoires [4].

Ce fond de prévoyance militaire a pour mission de verser des allocations aux militaires blessés et aux familles des militaires décédés en service.

Le fond de prévoyance militaire est destiné notamment à verser des allocations aux proches des militaires décédés (article D4123-2 du Code de la défense) : « Les militaires (…) sont affiliés au fonds de prévoyance militaire destiné à verser, hors le cas de mobilisation générale ou de participation à des opérations qualifiées d’opérations de guerre par décret en conseil des ministres, des allocations en cas de blessure, d’infirmité ou de décès imputable au service dans le cas où la blessure, l’infirmité ou le décès n’ouvre pas droit aux allocations du fonds de prévoyance de l’aéronautique (…) ».

Ainsi, lorsqu’un militaire décède par suite d’un accident de service, leur conjoint survivant, leurs enfants et leurs ascendants âgés de plus de 60 ans ont, par principe, droit au versement d’allocations par le fond de prévoyance militaire (article D4123-4 du Code de la défense + articles L141-2 et L141-10 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre).

2.3.- Le droit à pension au titre du Code des pensions militaires d’invalidité.

Lorsque le décès d’un militaire est imputable au service, son conjoint survivant (L141-1 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre), ses enfants orphelins (L141-8 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) et ses ascendants ont droit (L141-10 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) au versement d’une pension sous certaines conditions.

En cas de refus de pension, les ayants cause du militaire décédé peuvent saisir la commission des recours de l’invalidité d’un recours préalable obligatoire contre la décision de refus (article R711-1 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) :

« Tout recours contentieux formé à l’encontre des décisions individuelles prises en application des dispositions du livre Ier et des titres Ier à III du livre II du présent code est précédé, à peine d’irrecevabilité, d’un recours administratif préalable obligatoire examiné par la commission de recours de l’invalidité, placée conjointement auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget. Le secrétariat de la commission est assuré par le secrétariat permanent de la commission des recours des militaires prévu à l’article R4125-6 du Code de la défense (…) ».

Ce recours préalable obligatoire doit être formé dans un délai de six mois à compter de la notification la décision de refus de pension et être accompagné de la décision contestée (article R711-2 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) :
- « A compter de la notification de la décision contestée, le requérant dispose d’un délai de six mois pour saisir la commission par tout moyen permettant d’en établir la date de réception (…) ;
- La saisine est accompagnée d’une copie de la décision contestée et mentionne les griefs formulés contre cette décision. Dans le cas d’une décision implicite de rejet, la saisine est accompagnée d’une copie de la demande adressée à l’administration ;- Si la copie de la décision ou, dans le cas d’une décision implicite de rejet, la copie de la demande ne sont pas jointes à l’envoi, le secrétariat de la commission met l’intéressé en demeure de la produire dans un délai de deux semaines ; en l’absence de production dans ce délai, l’intéressé est réputé avoir renoncé à son recours. Le président de la commission en dresse le constat et en informe l’intéressé (…)
 ».

En cas d’éventuel rejet du recours par la commission des recours de l’invalidité, les ayants cause du militaire concerné devront saisir le tribunal administratif de leur lieu de résidence en vue d’une requête tendant à l’annulation de cette décision.

2.4.- L’indemnisation du préjudice moral : la jurisprudence Brugnot.

Par son arrêt dit « Brugnot » du 1er juillet 2005 (req. n°258208), le Conseil d’Etat a consacré le droit des ayants cause d’un militaire décédé du fait ou à l’occasion du service à réparation de leur préjudice moral :

« Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, alors même qu’elle bénéficie, en qualité d’ascendante de militaire, d’une pension qui lui a été accordée dans les conditions prévues par l’article L67 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, Mme A conserve le droit de demander à l’Etat, en l’absence même d’une faute de ce dernier, la réparation des souffrances morales résultant du décès de son fils ; que la requérante est ainsi fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes s’est fondé sur les dispositions prévoyant l’octroi d’une pension pour rejeter ses conclusions tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser une indemnité réparant le préjudice moral qu’elle a subi ».

Cette jurisprudence Brugnot reconnaît donc aux familles, le droit d’être indemnisé par l’Etat au titre du préjudice moral qu’elles subissent du fait du décès d’un militaire, quand bien même elles auraient perçu une pension au titre du Code des pensions militaires d’invalidité ou une allocation par un fond de prévoyance.

Une telle indemnisation doit nécessairement passer par l’envoi d’une réclamation indemnitaire à adresser au ministre de la Défense, puis, le cas échéant, par une requête indemnitaire auprès du tribunal administratif compétent.

En réponse, le ministre de la Défense peut soit, rejeter la demande indemnitaire, soit, formuler une « proposition indemnitaire » qui prend la forme d’un projet de protocole transactionnel.

Les familles de militaires décédés en service peuvent accepter la proposition indemnitaire en signant la protocole transactionnel ou refuser cette proposition en saisissant le tribunal administratif compétent.

Tiffen Marcel
Avocate au barreau de Paris
tiffen.marcel chez obsalis.fr
https://www.obsalis.fr/

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Notes de l'article:

[1Article L121-2-1 du Code des pensions militaires d’invalidité.

[2Article 3 du décret n° 2015-1535 du 25 novembre 2015.

[3Article 7 du décret n° 2015-1535 du 25 novembre 2015.

[4Article L4123-5 du Code de la défense.

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