Immunité d'exécution : arrêt CCJA n°076/2021 du 29 avril 2021 face aux entreprises publiques congolaises. Par Chanel Muya, Avocat.

Extrait de : Procédure d’exécution

Immunité d’exécution : arrêt CCJA n°076/2021 du 29 avril 2021 face aux entreprises publiques congolaises.

Par Chanel Muya, Avocat.

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L’acte uniforme des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution en son article 30 dispose : « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Toutefois les dettes certaines et liquides des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission donnent lieu à compensation avec les dettes certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles sous réserves de réciprocité. Les dettes des personnes énumérées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat ou se situent lesdites personnes ou entreprises ».

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En droit congolais, les entreprises publiques constituent le mode d’interventionnisme de l’Etat et des collectivités publiques dans le secteur économique, industriel et commercial tandis que les personnes morales de droit public désignent plus spécialement les institutions publiques dotées de la personnalité juridique assumant une mission de service public ou d’intérêt général.

Nicolas Thirion relève par ailleurs qu’« aucune région du monde n’est épargnée du phénomène d’entreprise des activités économiques, industrielles et commerciales par l’Etat et les collectivités publiques, par le biais de mise en place des entreprises publiques… » [1]

De ce qui s’observe dans les autres pays, il existe en République Démocratique du Congo un texte ancien de base sur les entreprises publiques qui aura été le plus important, entre autre la loi n°78-002 du 6 Janvier 1978 et qui a été de façon précipitée abrogée par la loi n°08/007 du 7 juillet 2008, dont les anciennes appellations ont été remplacées par des textes spécifiques dont le mot « entreprise publique » qui par des nombreuses pensées avait pu dégager une continence ou définition à cet ensemble de mots au regard de ladite loi [2]

L’expression « Entreprise publique » fut expressément consacrée par la loi n°78-002 du 6 Janvier 1978, bien que jadis il y avait l’existence d’une série d’organismes ou institutions qui en constituent des prémisses.

En effet, l’article 2 de la loi précitée du 6 Janvier 1978 dit que par entreprise publique, il faut entendre tout établissement qui, quelle que soit sa nature, est créée par le pouvoir public pour remplir une tâche d’intérêt général [3].

En terme simple, au sens de l’article 2 de la loi du 6 Janvier 1978, « une entreprise publique » est celle dont le propriétaire est une autorité publique, c’est-à-dire l’Etat, toute collectivité publique ou toute personne morale de droit public. Elles sont des personnes morales de droit public.

Depuis l’adoption de la loi n°78-002 du 6 janvier 1978, les ordonnances et décret portant création et statut des entreprises publiques précisaient presque toutes dans leur article 1er que les entreprises publiques sont dotées de la personnalité juridique. Et de suite dans une autre disposition de la même loi qu’elles sont des personnes morales de droit public.

Quant à ce, l’évolution historique positive ou négative des entreprises publiques congolaises qui, après tant de difficultés de fonctionnement et plusieurs gestations dans leur mode de gestion émanant des pouvoirs publics étatiques et de mouvement socio-économique mondial (mondialisation) édicté par des grandes organisations internationales, nous ont conduit à des réformes nouvelles.

L’Arrêt de la CCJA n°076/2021 du 29 Avril 2021 : Evolution jurisprudentielle.

Si jadis les difficultés liées au principe d’immunité d’exécution posaient problème, aujourd’hui il apparait nettement compréhensible que les personnes pouvant bénéficier de ce principe au-delà du prescrit de l’article 30 ne peuvent plus en bénéficier.
C’est avec la décision de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, dans son arrêt repris ci-haut, que se constate l’évolution jurisprudentielle sur la question des entreprises publiques bénéficiaires du privilège d’immunités d’exécution.
Dans sa motivation la cour argumente sur la question de l’immunité d’exécution des entreprises publiques de la manière suivante :

« jugé que les entreprises dans l’actionnariat desquelles participent des personnes morales de droit public, constituées sous une forme sociétale de droit OHADA, ne sont plus admises à invoquer le bénéfice des dispositions de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisations des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) » ;

« Attendu qu’il résulte de l’article 30 AUPSRVE que seules bénéficient de l’immunité d’exécution les personnes morales de droit public et les entreprises publiques ; qu’en l’espèce, la société ENERCA, du fait de sa forme en tant que société anonyme, constituée sous l’une des formes régies par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, est une entreprise de droit privé exploitée sous la forme de personne morale de droit privé ; qu’elle n’est donc ni une personne morale de droit public ni une entreprise publique au sens de l’article 30 sus visé ; qu’ainsi, en jugeant que cette société bénéficie de l’immunité d’exécution du seul fait, d’une part, qu’elle est une « société d’Etat », régie par la loi n°08-011 du 13 février 2008 portant organisation du cadre institutionnel et juridique applicable aux entreprises et offices publics et dont le capital est détenu par l’Etat centrafricain et, d’autre part, que sa mission de production de l’électricité pour les usagers est une mission de service public, la cour d’appel a commis le grief allégué et exposé son arrêt à cassation ; qu’il échet de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer sur le fond… »

La Cour, par cet arrêt relève que le bénéfice d’immunité d’exécution ne peut nullement s’appliquer sur une entreprise publique qui a pris la forme d’une des sociétés commerciales prévues par le législateur communautaire.
Qu’en sus, dans son régime juridique, la Cour démontre qu’elles sont des entreprises exploitées sous la forme de droit privé du fait d’avoir pris une forme de ces sociétés prévues par l’acte uniforme sur les sociétés commerciales.
Qu’en conséquence, à comprendre le raisonnement juridique de la cour, l’entreprise publique personne morale de droit public cesse de l’être et devient une personne morale de droit privé dès qu’elle prend une des formes des sociétés commerciales prévues dans l’acte uniforme.
Que bien plus, pour mieux comprendre l’incidence de l’évolution jurisprudentielle sur les entreprises publiques congolaises il sied de présenter la situation des entreprises publiques congolaises après reformes.

La réforme de 2008 : la loi n°08/007 du 7 juillet 2008 relative à la Transformation des entreprises publiques en société commercial.

Toute réforme doit s’inscrire dans un cadre théorique, lequel cadre devrait, non seulement l’éclairer et l’encadrer, mais aussi la recadrer par rapport à l’environnement car l’objectif de toute réforme consiste à concourir à la conversion optimale des besoins de ses initiateurs et non à une modification robotique des textes juridiques [4]
La nouvelle réforme du 7 Juillet 2008 porte sur quatre lois. Celle captivant un peu plus notre attention est celle relative à la transformation des entreprises publiques en société commerciale.

La loi n°08/007 est celle qui transforme les entreprises publiques en société commerciale. Ainsi, par le fait d’être des sociétés commerciales à régime juridique mixte, elles sont soumises à la fois aux dispositions pertinentes de l’acte uniforme relatif au droit commercial général, de l’acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ainsi qu’à la loi 08/010 du 7 Juillet 2008 relative à l’organisation desdites entreprises et à la gestion du portefeuille de l’Etat [5]

Il est évident que les sociétés soumises à un régime particulier (art. 916 AUSCGIE) font échapper les biens des sociétés d’Etat au gage général de leur créancier et reconnaissant ainsi à ces dernières une immunité d’exécution conformément à l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution [6]
Dans la lecture associative des dispositions des articles 908, 916, 919 de l’AUSCGIE que les dis- positions législatives et réglementaires spécifiques auxquelles sont soumises les sociétés à régime particulier ne sont pas abrogées et subsistent dans la mesure où elles ne sont contraires à celles dudit acte uniforme [7].

Un avis important de la CCJA éclaire l’opinion dans le sens où « un texte législatif ou réglementaire de droit entamé qui n’est ni contraire, ni identique à l’une ou l’autre disposition du droit Ohada rentre dans le régime particulier dont la validité parait indiscutable  [8]
Dans le même fil d’idée du régime particulier, sur le plan interne, les entreprises publiques ont connu une réforme. De cette réforme un accent est particulièrement mis sur la loi n°08/007 du 07/07/2008 relative à la transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales. Lesquelles entreprises sont des personnes morales de droit public soumise au régime de droit commun (Article 4) [9].

Le régime juridique peut être défini comme un ensemble des dispositions légales réglementaires et/ou conventionnelles applicables à la gestion des biens des entreprises publiques. L’application du droit privé ou droit commun entraine également l’exposition desdits biens aux voies d’exécution forcée comme la saisie conservatoire et la saisie exécution [10]

L’incidence jurisprudentielle sur les entreprises publiques congolaise relève premièrement du fait d’être transformées en société commerciale selon les formes prévues par le législateur communautaire. En sus, du fait d’être soumis au régime de droit commun tel que repris à l’article 4 de ladite loi. Car il était impensable qu’une entreprise publique soumise au régime de droit commun puisse bénéficier d’une immunité d’exécution alors qu’elle vient œuvrer dans le secteur marchand ou règne la concurrence. Bien plus encore, la cour dans sa logique, fait remarquer qu’elles sont des entreprises de droit privé exploitée sous la forme de droit privée.

La cour avait vu juste en prenant pareil position pour éviter que l’Etat dans ses rapports commerciaux puisse bénéficier d’assez d’avantages au risque de restreindre le bon déroulement des affaires.

En conclusion, les entreprises publiques congolaises, transformées en société commerciale conformément à la loi n°08/007 du 7 Juillet 2008, perdent l’avantage du privilège d’immunité d’exécution prévu à l’article 30 de l’acte uniforme sur procédures simplifiées et voies d’exécution.

Sources :
- Cour Commune de Justice et d’Arbitrage : Arrêt n°076/2021 du 29 Avril 2021 ;
- Loi n°08/007 du 7 juillet 2008 sur la transformation des entreprises publiques en société commerciale.

Chanel Muya, Avocat,
République démocratique du Congo.

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Notes de l'article:

[1Nicolas Thirion, « Les privatisations d’entreprises publiques dans une économie sociale de marché : aspects juridiques », éd. LGDJ, Paris, 2002, pp.4-5.

[2Ukombe Nghenda, « Le droit des entreprises publiques, né de la réforme du 7juillet 2008 », PUDFC, Kinshasa, 2009, p.35.

[3Idem.

[4G. MPOY KADIMA, « La Banque Mondiale et la réforme des entreprises publiques congolaises », éd. L’Harmattan, p.68.

[5Emery Mukendi, La protection des entreprises du portefeuille de l’Etat en conséquence de l’adhésion RDC à l’ohada, 25 mars 2013.

[6Idem

[7Idem

[8CCJA n°001/2001/EP du 30 Avril 2001.

[9« Les entreprises publiques du secteur marchand sont transformées en sociétés commerciales soumises au régime de droit commun et aux dispositions dérogatoires de la présente loi ».

[10(D.C) Kolongele Eberande, Immunité d’exécution, obstacle à l’exécution forcée en droit Ohada contre les entreprises et personnes publiques,. p.1.

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