L’illusoire immunité d’exécution des personnes morales de droit public français.

Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.

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Explorer : # mandatement d'office # droit administratif # collectivités territoriales # créancier

Il est de coutume de considérer que les personnes morales de droit public françaises bénéficient d’une immunité d’exécution, laissant le praticien dans le flou quant à l’exécution de ces décisions de justice, Or, deux solutions existent : la procédure de mandatement d’office et la procédure d’inscription d’office, pour pouvoir recouvrer efficacement des créances sur celles ci.

-

I) Le mandatement d’office.

L’article L911-9 du Code de Justice administrative, renvoyant à l’article 1-II de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, prévoit que :

"Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office.

En cas d’insuffisance de crédits, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l’établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement n’a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle y pourvoit et procède, s’il y a lieu, au mandatement d’office."

La procédure est plus précisément décrite au sein du décret N°2008-479 du 20 mai 2008.

A) L’acceptation du mandatement d’office.

1) A l’encontre de l’Etat.

A compter de la notification de la décision de justice à l’état, ce dernier doit émettre une ordonnance ou mandat de paiement dans un délai de deux mois.

Une lettre recommandée avec accusé de réception doit être envoyée le jour même au créancier, comportant la date de l’ordonnancement ou du mandatement, ainsi que la désignation du comptable assignataire de la dépense.

En cas d’insuffisance de crédits, le créancier est averti par l’ordonnateur de la dépense avant l’expiration du délai de deux mois évoqué précédemment, du montant de la somme due qui fera l’objet d’une ordonnance ou d’un mandat de paiement ultérieur.

Cette ordonnance ou ce mandat est émis dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice à l’Etat. La date de l’ordonnancement ou du mandatement est portée, le jour même, à la connaissance du créancier par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La même lettre comporte la désignation du comptable assignataire de la dépense.

Les délais s’entremêlent pour le créancier qui peut compter sur le bonne ou mauvaise foi attendue du débiteur : en cas de non réception dans les délais légaux du courrier prévoyant la notification de l’ordonnancement ou l’avertissement de l’insuffisance de crédits, ce dernier peut saisir le comptable d’une demande de paiement sans ordonnancement ou mandatement préalable, sur présentation d’une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire.

Le problème d’identification du comptable assignataire est réglé par le texte : si le créancier saisit le comptable public assignataire de la dépense, ce dernier procède au paiement de la somme due dans le délai d’un mois à compter de sa saisine, s’il n’est pas assignataire de la dépense, il en avise le créancier et transmet le dossier au comptable compétent. Celui-ci procède au paiement dans le délai d’un mois à compter de sa saisine.

2) A l’encontre des collectivités territoriales et des établissements publics.

A compter de la notification de la décision de justice à la collectivité ou l’établissement, ces derniers doivent émettre une ordonnance ou mandat de paiement dans un délai de deux mois.

Une lettre recommandée avec accusé de réception doit être envoyée le jour même au créancier, comportant la date de l’ordonnancement ou du mandatement, ainsi que la désignation du comptable assignataire de la dépense.

En cas d’insuffisance de crédits, le créancier est averti par l’ordonnateur de la dépense avant l’expiration du délai de deux mois évoqué précédemment, du montant de la somme due qui fera l’objet d’une ordonnance ou d’un mandat de paiement ultérieur.

Bis repetita placent, si le créancier n’a pas été informé dans les délais légaux, ce dernier peut saisir le représentant de l’Etat ou l’autorité chargée de la tutelle d’une demande de paiement de la somme due, sur présentation d’une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire.

Le représentant de l’Etat ou l’autorité chargée de la tutelle dispose d’un délai d’un mois à compter de sa saisine pour vérifier l’existence, au budget de la collectivité territoriale ou de l’établissement public, de crédits suffisants et procéder au mandatement d’office prévu l’article 1-II alinéa 1 de la loi du 16 juillet 1980 ou, le cas échéant, pour effectuer une mise en demeure de créer les ressources nécessaires. En cas de carence, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle y pourvoit et procède, s’il y a lieu, au mandatement d’office.

Il convient de préciser également que le dit mandatement ne peut-être demandé -
et normalement obtenu - qu’au moment où la décision de justice est dotée de la force de chose jugée [1].

B) Le refus du mandatement d’office.

Conformément aux règles du droit administratif, une absence de réponse à la demande de mandatement d’office fait naitre à l’expiration d’un délai de deux mois un refus implicite de mettre en œuvre la dite procédure.

Le créancier dispose de plusieurs possibilités à l’encontre de l’état ou de la collectivité territoriale débitrice.

Outre un recours hiérarchique devant le ministre de l’intérieur, le créancier pourra former un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif territorialement compétent, en lui demandant d’annuler la décision de refus du préfet et d’enjoindre à celui-ci, sous astreinte, de procéder au mandatement d’office.

Il pourra également présenter un recours tendant à la réparation du préjudice résultant de l’absence de mandatement d’office ou de l’absence de mise en oeuvre des mesures nécessaires en cas d’insuffisance de crédits.

Contre la collectivité territoriale ou l’établissement public débiteur, la demande d’astreinte devient recevable uniquement en cas d’échec de la procédure de mandatement d’office [2]. Le refus illégal d’un préfet d’effectuer la procédure de mandatement d’office autorise le créancier a demander le prononcé d’une astreinte contre la personne morale débitrice.

Les développements précédents sont à prendre en compte quand le créancier est titulaire d’un titre exécutoire. Quid en son absence ?

II) L’inscription d’office.

En l’absence d’une décision juridictionnelle passée en la force de la chose jugée, une procédure particulière prévue à l’article L1612-15 du CGCT permet la saisine par une personne physique ou une entreprise de la cour régionale des comptes.

La CRC constate, dans le délai d’un mois de sa saisine, que la dépense obligatoire (dont la définition se trouve au même article : "dépenses nécessaires à l’acquittement des dettes exigibles et les dépenses pour lesquelles la loi l’a expressément décidé") "n’a pas été inscrite au budget ou l’a été pour une somme insuffisante", et adresse à la collectivité territoriale concernée une mise en demeure.

Elle se prononce en un premier temps sur le caractère obligatoire de la dépense.

L’article R212-16 du Code des Juridictions Financières prévoit la communication par la CRC au ministère public des "rapports à fin d’avis concernant les demandes d’inscription d’office d’une dépense obligatoire en application de l’article L1612-15 du CGCT".

En cas de refus, la CRC demande au représentant de l’Etat d’inscrire cette dépense au budget "et propose, s’il y a lieu, la création de ressources ou la diminution de dépenses facultatives destinées à couvrir la dépense obligatoire". Ce cas de figure est essentiellement présent en cas d’absence ou d’insuffisance de crédits.

Mais il peut également arriver que le représentant de l’Etat "écarte les propositions formulées par la chambre régionale des comptes". Celui-ci doit en ce cas assortir sa décision d’une motivation explicite.

En cas de refus de l’ordonnateur de mandater malgré l’existence des crédits, nous retournons sur la procédure de mandatement d’office : le préfet peut prendre une décision de mandatement d’office (arrêté de mandatement d’office) à la place de l’ordonnateur.

L’avis de la chambre qui met fin à la procédure (qui ne considère pas la dépense obligatoire) ; la décision prise par le préfet d’inscrire les crédits quand la collectivité ne se soumet pas à la mise en demeure ; et la décision de mandatement d’office quand l’ordonnateur ne mandate pas le montant de la dépense obligatoire ; sont des actes faisant grief pouvant faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative.

Rémi Oliveras
Clerc Collaborateur d’Huissier de Justice
Etude Nouvel (97100)

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Notes de l'article:

[1V. TA Martinique, 12 décembre 2017, Ville du Diamant, req., n° 1700308.

[2CAA Paris, 23 mai 2016, Société Mondial Protection, n° 15PA04570.

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