EN L’ESPECE,
Une salariée avait été engagée en qualité d’agent de production et avait pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Elle avait saisi la juridiction prud’homale. Elle invoquait une situation de harcèlement au travail.
Pour la débouter de ses demandes, la cour d’appel, après avoir relevé que "le syndrome anxio-dépressif présenté par cette salariée n’était imputable qu’aux faits de harcèlement sexuel", retenait que la matérialité du harcèlement moral et sexuel dont avait été victime la salariée, par une personne de l’entreprise, était caractérisée et non contestée par l’employeur.
Contre toute attente, la Cour relevait que ce dernier avait eu connaissance du harcèlement sexuel et moral commis par son préposé, avec la dénonciation qui lui en avait été faite.
Elle considérait qu’il avait aussitôt pris les mesures appropriées et sanctionné l’auteur, supérieur hiérarchique de la salariée, en prononçant son licenciement pour faute grave.
D’évidence, la Cour de cassation a censuré les juges d’appel.
La Cour de cassation rappelle que "l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et que celui-ci manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés."
Et ce, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements.
Elle ajoute toutefois que la cour d’appel qui avait constaté que la salariée avait été victime d’un harcèlement moral et sexuel dans l’entreprise aurait dû apprécier si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail. Sur ce point, l’arrêt s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle initiée en 2014 (susmentionnée).
SENS ET PORTEE DE CET ARRET :
A) Le lien entre obligation de sécurité de résultat et manquement à celui-ci du fait du harcèlement moral est évidemment maintenu.
1) L’employeur est tenu envers ses salariés, d’une obligation de sécurité de résultat. Cette obligation de sécurité, apparue à l’origine dans des affaires d’amiante, s’est largement étendue et s’applique également à tout ce qui touche la santé au travail.
L’obligation de sécurité signifie que l’employeur doit en assurer l’effectivité sous peine de voir sa responsabilité engagée, de manière irréfragable (la preuve de l’absence de toute faute est inopérante).
Pour respecter son obligation de sécurité de résultat, l’employeur doit faire preuve d’une extrême vigilance envers :
* Les contraintes et risques liés aux postes de travail
* Les effets de l’organisation du travail
* La santé des salariés
* Les relations de travail avec les autres salariés
* Les risques présentés par l’environnement de travail
Cette vigilance est rappelée au travers de son devoir de prévention, prévu à l’article L4121-1 du code du travail.
"L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes."
2) Cette obligation de sécurité couvre aussi l’obligation de santé des salariés. Partant, il semble assez logique d’établir un lien entre obligation de sécurité et harcèlement au travail.
L’employeur manque à son obligation lorsqu’un salarié est victime d’une souffrance au travail, provoquée par des agissements de harcèlement moral, causés par un autre employé, agissements qui ont pour conséquence d’altérer l’intégrité physique et mentale de la victime.
Le lien a été très clairement fait par les juges dès 2006, au travers d’une jurisprudence découvrant que l’employeur était tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et que l’absence de faute de sa part ne pouvait l’exonérer de sa responsabilité.
Le respect de cette obligation de résultat comprend les actes commis par l’employeur lui même, mais aussi ceux commis par ses subordonnés.
Ainsi, un salarié se rendant auteur d’agissements de harcèlement moral à l’encontre d’un autre salarié, engage irréfragablement la responsabilité de l’employeur.
B) S’inscrivant dans la portée directe de l’arrêt rendu le 26 mars 2014, la chambre sociale apporte une précision particulièrement intéressante, sur le lien entre prise d’acte et harcèlement moral.
La chambre sociale reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir constaté, si du fait du harcèlement moral, perpétré par un salarié harceleur, sanctionné par la suite, le maintien de la victime dans l’entreprise avait été dés lors rendu impossible ou non.
Il est particulièrement important de retenir cette dernière information pour bien comprendre la décision.
1) La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, lorsque celui-ci considère que l’employeur a manqué gravement à l’une de ses obligations légales ou contractuelles.
Le manquement est tel qu’il doit rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La prise d’acte interrompt immédiatement les relations de travail.
Il faut dès lors saisir la justice afin que les juges constatent si l’employeur a, oui ou non, manqué à ses obligations. Si tel est le cas, alors la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou d’un licenciement nul selon les manquements).
En l’espèce, la salariée estime que son employeur a manqué à son obligation de sécurité et a donc pris acte de la rupture du contrat de travail sur ce fondement. La prise d’acte entraîne la rupture immédiate du contrat dans la mesure ou le maintien du salarié n’est plus possible.
La thèse de l’employeur, était de plaider qu’ ayant eu connaissance des agissements commis envers la salariée, il a licencié le fautif. Le harceleur n’étant plus présent dans l’entreprise, le maintien de la salariée à son poste était-il pour autant impossible ?
Au regard de la cohérence avec la récente précision jurisprudentielle susmentionnée, la question méritait d’être posée.
Avant de poursuivre, voici le résumé de ce qu’a jugé la Cour de cassation. L’argumentaire est le même que celui de 2006.
"L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements."
L’obligation étant de résultat, peu importe que l’employeur ait pris les mesures nécessaires en licenciant le harceleur, la salariée est victime de harcèlement, l’employeur a manqué à son obligation.
Pour autant, la chambre sociale reproche à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si le maintien dans l’entreprise de la salariée avait été rendu impossible.
Et c’est ce qu’il faut retenir ici. Le harcèlement n’est nullement remis en cause. L’employeur est bel et bien responsable.
Mais le maintien était-il, à ce point, impossible ?
Ce faisant, ce n’est pas la question de la réparation des préjudices issus du harcèlement moral qui est impactée mais celle de la légalité de la rupture du contrat de travail.
NOTRE APPRÉCIATION DE LA VALEUR DE CET ARRÊT :
La chambre sociale, au travers de ce récent arrêt, impose en la matière un examen supplémentaire aux juges du fond relatif à une question de fait qui échappera à tout contrôle.
C’est une solution très étrange car le salarié ayant subi des agissements de harcèlement moral, pourrait en obtenir réparation tout en étant considéré comme démissionnaire, puisque son maintien dans l’entreprise pourrait être considéré comme possible par le juge !
Nous rappellerons que le harcèlement moral et sexuel sont, au delà de leur qualification de manquements contractuels, des fautes pénales d’une gravité exemplaire.
Partant, comment justifier et expliquer à une victime, que bien que lesdites fautes aient été commises à son encontre, celle-ci devait demeurer à son poste, car le juge a finalement estimé que son maintien dans l’entreprise était possible ?
N’est-on pas en train de vider de toute substance la prise d’acte, en y injectant une dose supplémentaire de risque ?
Il est invraisemblable, voire stupéfiant, qu’une victime de harcèlement, moralement à bout, dégradée par une souffrance au travail insupportable, qui n’a plus confiance en l’entreprise qui devait la protéger et qui a failli à son devoir et à ses obligations essentielles, puisse se retrouver considérée comme démissionnaire, car le Conseil de Prud’hommes ou la Cour d’appel aurait estimé que malgré les actes de destruction morale perpétrés, sa place était de continuer à travailler.
Nous désapprouvons avec force ce nouvel affaiblissement des droits les plus essentiels de la partie faible du contrat de travail.
Reste à voir l’application espèce après espèce, de cette jurisprudence particulièrement confuse et dangereuse.
Discussions en cours :
Bel article et très instructif
La Cour de cassation, à juste titre, a estimé que le harceleur ayant été licencié, le contrat de travail pouvait, dès lors, parfaitement être poursuivi.
La pseudo obligation de sécurité de résultat qui est une théorie -je dirais même un OVNI juridique tant il est contraire à tous les principes de notre droit civil- jurisprudentielle, est encore un exemple flagrant de l’absolue nécessité de reformer de toute urgence le droit du travail et, plus encore, de changer la mentalité des magistrats de la Cour suprême ou, à tout le moins, de les rappeler à leurs fonctions qui ne doit pas être confondue avec celle du législateur.
Il est abberant que l’obligation de sécurité (tout court) découlant de l’article L.4121-1 du code du travail soit imposée au seul employeur -en faisant donc fi des dispositions de l’article L.4122-1 du même code avec une présomption irréfragable de responsabilité, c’est à dire qu’il importe peu et même pas tout qu’il ait scrupuleusement respecté toutes les obligations à sa charge. Drôle de contrat que le contrat de travail français ...
Cher Monsieur,
Je me permets quand même respectueusement de vous inviter à relire cet arrêt dans lequel, la Cour de cassation censure sans équivoque la Cour d’appel, pour avoir donné raison à l’employeur, lequel même si il avait pris des mesures palliatives, doit demeurer responsable.
très bel article, belle analyse.chapeau
Je ne suis pas d’accord avec votre conclusion.
Votre analyse est juste, néanmoins, l’employeur ayant apparemment pris immédiatement toutes les mesures pour stopper les agissements du harceleur dès lors qu’il en a eu connaissance, il est logique que la salariée ne puissent prétendre a une prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Pourquoi ?
Si l’employeur a effectivement manqué à son obligation de résultat concernant la santé et la sécurité des salariés sur le lieu de travail, il a immédiatement stoppé ces agissements, il a donc pris des mesures de protection envers sa salarié.
Il me parait donc normal, voire même logique que la Cour n’accorde pas le bénéfice d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail à la salariée en question, puisque cela reviendrai, en creux, à dire que la société personne morale est responsable directement de ce harcèlement. Le salarié fautif étant licencié, rien n’empêche la salariée de poursuivre son contrat de travail dans l’entreprise, l’employeur ayant été de son côté.
En revanche la solution aurai été tout autre si à l’inverse, l’employeur aurai été au courant de ces agissements, et qu’il aurai tardé à y apporter les mesures adéquates. L’employeur étant dès lors de mauvaise foi ou dans une certaine complicité, la Cour aurai alors sanctionné la société par une requalification de la prise d’acte de la rupture du contrat en travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les indémnités qui lui sont attachées.
Merci pour cet execellent article.
Cher Alexandre,
Vous me semblez tenter de justifier l’absence de faute de l’employeur au sein d’un manquement à une obligation de résultat.
C’est parfaitement inopérant juridiquement.
En matière de santé et de sécurité au travail, est consacré un véritable régime de responsabilité établissant une présomption irréfragable de responsabilité, à laquelle il est indifférent de prouver son absence de faute.
Il n’ y a que la force majeure qui puisse exonérer le débiteur d’une telle obligation.
Le simple échec audit résultat engage la responsabilité de l’employeur, comme en l’espèce, peu importe que les actes aient été commis par un collaborateur de l’employeur.
Et cet echec est un manquement grave justifiant la rupture du contrat, classiquement.
Si la solution in concreto apportée par la Cour de cassation est correcte (la Cour d’appel est quand même censurée), en revanche c’est la dernière précision en toute fin d’arrêt qui mérite toutes réserves au regard notamment du droit des obligations, applicable, qu’on l’approuve ou non, aussi au contrat de travail.
Me MASSON