Inaptitude : la lenteur de l’employeur dans la gestion du reclassement du salarié peut justifier la résiliation judiciaire du contrat.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

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Dans un arrêt du 4 décembre 2024 (n°23-15.337) publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation souligne l’importance des diligences de l’employeur dans la gestion des cas d’inaptitude d’un salarié et consacré un motif inédit de résiliation judiciaire du contrat de travail : l’inactivité forcée du salarié, indépendamment de griefs classiques tels que la perte de rémunération ou la placardisation.

L’arrêt rappelle que le maintien prolongé d’un salarié dans une situation d’inactivité forcée en raison de la lenteur d’un employeur dans la gestion du reclassement ou du licenciement du salarié inapte peut constituer un manquement grave aux obligations contractuelles.

Ce défaut de diligence, lorsqu’il contraint le salarié à saisir les prud’hommes, peut légitimement aboutir à la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur.

Cet arrêt met en lumière les conséquences, souvent négligées, d’un tel défaut de réactivité sur les relations de travail et l’obligation de bonne foi qui en découle.

Cette décision doit être approuvée.

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I. Les faits.

Un salarié, conducteur routier employé par la société Cilomate Transports depuis 1997, a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 11 juin 2019.

Ce dernier avait précisé que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement interne, tout en décrivant les capacités restantes de l’intéressé. Malgré cela, l’employeur tarde à agir et le salarié a dû attendre plusieurs mois avant qu’il ne prenne des mesures concrètes.

Après la déclaration d’inaptitude, l’employeur a, conformément à la législation, repris le paiement des salaires en septembre 2019. Toutefois, ce geste n’a été suivi d’aucune démarche sérieuse de reclassement avant octobre 2019, lorsqu’une première proposition de poste à l’étranger a été faite, mais refusée par le salarié. Ce n’est qu’un mois plus tard, le 29 novembre 2019, que l’employeur a élargi ses recherches en consultant d’autres sociétés du groupe, sans qu’une solution ne soit rapidement trouvée. Finalement, le licenciement du salarié n’est intervenu qu’en mars 2020, soit près de neuf mois après la déclaration d’inaptitude.

Face à cette inaction prolongée, le salarié, maintenu dans un état d’incertitude prolongée, a décidé de saisir le conseil de prud’hommes le 31 janvier 2020 pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, estimant que ce dernier avait gravement manqué à ses obligations légales et contractuelles.

La Cour d’appel de Metz, dans un arrêt du 7 mars 2023, reconnaît les retards de l’employeur dans la gestion de l’inaptitude.

Toutefois, elle considère que ces retards, bien que réels, ne constituent pas un manquement suffisant à ses obligations contractuelles ou légales, car l’obligation de reclassement n’est pas soumise à un délai précis.

Elle déboute donc le salarié de sa demande.

Ce dernier se pourvoit en cassation.

II. Le moyen.

Le salarié reproche à son employeur son inertie et son manque de diligence dans le traitement de sa situation. Il soutient que cette lenteur constituait une violation des articles L1226-2 et suivants du Code du travail, qui imposent à l’employeur une obligation de reclassement de bonne foi, dans un délai raisonnable.

Le salarié a fait valoir que son maintien prolongé dans une position d’inactivité forcée avait non seulement nui à ses droits, mais aussi aggravé une situation déjà délicate sur le plan personnel et professionnel.

En retardant les démarches nécessaires, l’employeur avait failli à son obligation essentielle d’assurer la continuité et la sérénité des relations contractuelles.

III. La solution de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz et adopte une position radicalement différente.

Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte l’inactivité prolongée imposée au salarié, le contraignant à saisir la juridiction prud’homale.

Selon la cour, l’employeur avait gravement manqué à ses obligations contractuelles en tardant à engager des démarches sérieuses de reclassement et en maintenant, de ce fait, le salarié dans une situation d’attente forcée et prolongée.

Dans sa décision, la haute juridiction a rappelé que l’obligation de reclassement doit être exécutée avec diligence et bonne foi.

Par conséquent, la cour a jugé que l’inaction de l’employeur, couplée à l’inactivité imposée au salarié, traduisait un manquement à ses obligations légales et contractuelles [1].

Ainsi, la lenteur excessive dans la recherche d’un reclassement, peut, en elle-même, suffire à justifier une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

De fait, le salarié était fondé à demander la résiliation de son contrat aux torts exclusifs de l’employeur, lequel devait en assumer toutes les conséquences juridiques et financières.

IV. Analyse de l’arrêt.

Cette décision apporte plusieurs éclairages essentiels sur les obligations pesant sur les employeurs en matière de gestion de l’inaptitude au travail.

D’abord, cet arrêt réaffirme l’exigence de rapidité et de sérieux dans la gestion des situations d’inaptitude dès sa déclaration.

Dès lors, l’absence de mesures concrètes dans un délai raisonnable constitue un manquement à l’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail.

Ensuite, l’arrêt distingue clairement les obligations de reprise des salaires et de reclassement et marque un tournant en érigeant l’inactivité forcée en motif autonome de résiliation judiciaire, même en l’absence de préjudices financiers pour le salarié.

Si l’obligation de reprise des salaires vise à garantir un minimum de sécurité financière au salarié et bien qu’obligatoire, elle ne dispense pas l’employeur de remplir activement son obligation de reclassement dans des délais raisonnables.

Cette obligation ne saurait en effet justifier une passivité prolongée dans le traitement du dossier et, de ce fait, maintenir un salarié inapte dans un état d’incertitude durable constitue une atteinte à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Enfin, cet arrêt rappelle que l’inertie de l’employeur n’est pas seulement une faute administrative.

Elle porte atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux du salarié, qui ne peut être laissé dans une situation de précarité prolongée.

La notion d’inactivité forcée a été mentionnée sporadiquement dans des affaires antérieures, mais jamais dans ce contexte précis.

La cour s’attache ici à poser un cadre à une situation délicate : lorsque l’absence de diligence de l’employeur oblige le salarié à recourir aux tribunaux pour préserver ses droits.

Cependant, la cour laisse à la juridiction de renvoi le soin d’apprécier si ce manquement est suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat, soulignant les nuances casuistiques de ce concept.

En tout état de cause, l’arrêt du 4 décembre 2024 renforce la jurisprudence existante en matière de reclassement des salariés déclarés inaptes. Il envoie un signal fort aux employeurs, les enjoignant à traiter ces situations avec rapidité et sérieux, sous peine de voir leur responsabilité engagée.

Cette décision s’inscrit dans une logique de protection accrue des droits des travailleurs et de rappel des exigences de bonne foi dans les relations contractuelles.

Si la législation reste muette sur les délais de traitement des dossiers d’inaptitude, cet arrêt impose implicitement une obligation de diligence renforcée pour éviter des situations d’incertitude prolongée, susceptibles de porter préjudice à la relation de travail.

Pour les entreprises, cette décision souligne l’importance de mettre en œuvre des processus rigoureux et rapides en matière de reclassement ou de licenciement, afin de respecter les droits des salariés et éviter des litiges coûteux et préjudiciables.

Source :

Cass. soc., 4 décembre 2024, n° 23-15.337.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Elise de Langlard juriste

Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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[1Articles L1222-1 et L1226-11 du Code du travail.

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