Un préalable important : signaler les difficultés rencontrées par des alertes écrites.
Tout d’abord, avant votre départ de l’entreprise, il est nécessaire de conserver l’ensemble des preuves écrites démontrant l’existence de ces manquements (documents de travail, courriers, emails, sms, messageries instantanées, attestations…). En votre qualité de salarié, vous avez le droit de conserver les documents strictement nécessaires à l’exercice des droits de votre défense et auxquels vous avez eu accès dans le cadre de l’exercice normal de vos fonctions.
Il est également important de signaler, par écrit, ces manquements. Vos alertes écrites vous protègent et obligent, en principe, l’employeur à réagir en prenant toutes les mesures nécessaires pour remédier aux difficultés soulevées. Si vous ne le faites pas, votre employeur ne manquera pas, en cas de contentieux ultérieur, de faire valoir que vous ne l’avez jamais expressément alerté sur la situation subie et que vous ne rapportez pas la preuve de faits anormaux.
Compte tenu du lien de subordination, s’exprimer sur les dysfonctionnements constatés par des alertes écrites n’est hélas pas chose facile et peut même conflictualiser davantage votre situation. En effet, si votre employeur a en principe l’obligation de rechercher des solutions, il pourrait aussi ne pas apprécier que vous osiez dénoncer par écrit les manquements subis. Il arrive alors que certains employeurs, certes mal avisés, sanctionnent en représailles les salariés ayant osé s’exprimer, en allant même parfois jusqu’au licenciement.
Il faut donc rester vigilant sur la manière de rédiger et de transmettre ces alertes (bien vérifier vos droits, rester factuel, précis, et conserver un ton professionnel).
Dans l’hypothèse d’un licenciement punitif, la rupture du contrat de travail pourrait être jugée nulle, en mettant en valeur la chronologie des événements (le lien temporel entre vos alertes antérieures et la survenance d’un licenciement ou autre sanction dans un délai proche) et l’absence de véritable motif de licenciement. Le licenciement résulte en réalité de l’usage de votre liberté d’expression et de la dénonciation de faits anormaux (harcèlement moral, discrimination…).
Voici les principaux modes de rupture envisageables :
1/ La rupture conventionnelle avec une indemnisation supplémentaire.
La rupture conventionnelle est une rupture du contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié.
La rupture conventionnelle vous permet de bénéficier des allocations chômage.
A compter de la signature du formulaire de rupture conventionnelle, votre sortie de l’entreprise prend en moyenne 5 semaines (délai de rétractation de 15 jours calendaires, puis délai d’homologation par l’administration du travail de 15 jours ouvrables).
Pour que la rupture conventionnelle soit valable, l’employeur doit vous verser au minimum l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
Lorsque la rupture conventionnelle résulte des manquements de l’employeur, il est possible de négocier une indemnisation supplémentaire. Cela vous permet d’obtenir la réparation de votre préjudice. De son côté, l’intérêt pour l’employeur est d’éviter une éventuelle condamnation judiciaire plus conséquente.
Lorsque l’employeur est disposé à négocier la rupture de votre contrat de travail, cette option peut être mise en œuvre rapidement.
2/ Le licenciement pour inaptitude.
Le licenciement pour inaptitude résulte d’un avis d’inaptitude pris par le médecin du travail (cf. article « la procédure d’inaptitude médicale et ses conséquences sur la relation de travail »).
Lorsque les manquements graves de l’employeur ont fortement détérioré votre santé, le médecin du travail peut vous déclarer inapte à votre poste, généralement au terme d’une période prolongée d’arrêt maladie.
Dans ce cas, en cas d’impossibilité de reclassement, vous pourrez être licencié pour inaptitude à votre poste.
Ce licenciement vous permet de percevoir l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et de bénéficier des allocations chômage. L’inaptitude n’a d’effet qu’au sein de votre entreprise et ne vous empêche évidemment pas de reprendre un nouvel emploi dans une autre entreprise.
Il est ensuite possible de demander au juge de requalifier le licenciement pour inaptitude en un licenciement nul ou injustifié, en démontrant que l’inaptitude à votre poste résulte des manquements préexistants de l’employeur à votre encontre.
3/ La prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
La prise d’acte consiste à mettre fin à votre contrat de travail par l’envoi à votre employeur d’une lettre indiquant que vous mettez vous-même un terme au contrat de travail, en raison de l’ensemble des manquements subis. Il est important de bien préciser ces manquements dans la lettre de prise d’acte.
Vous pouvez décider de mettre immédiatement un terme au contrat dès l’envoi de la lettre de prise d’acte ou à l’issue du délai de préavis contractuel.
Attention : les manquements doivent être suffisamment graves. Ce sont ceux qui empêchent la poursuite du contrat de travail (exemple : modification unilatérale du contrat par l’employeur, harcèlement, discrimination, mise à l’écart, absence de fourniture de travail, non-paiement du salaire…).
Le salarié doit ensuite saisir le Conseil des prud’hommes qui décidera, en fonction de la gravité des manquements, si la prise d’acte doit être requalifiée en un licenciement nul ou injustifié aux torts de l’employeur, ou, à l’inverse, en une simple démission si les juges considèrent que les manquements invoqués ne sont pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Il est donc nécessaire de saisir le juge pour donner à cette prise d’acte les effets d’un licenciement nul ou injustifié.
Si la prise d’acte est requalifiée en un licenciement nul ou injustifié, vous avez le droit à différentes indemnités de rupture (notamment l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, l’indemnité de préavis et l’indemnité pour licenciement nul ou injustifié).
Si la prise d’acte est requalifiée en une simple démission, il existe alors toujours un risque que vous soyez condamné à payer le préavis de démission, si vous ne l’avez pas effectué.
En principe, la demande de requalification de votre prise d’acte en un licenciement nul ou injustifié est une procédure rapide : l’audience pour plaider votre affaire doit être prévue dans un délai d’un mois suivant la saisine du conseil de prud’hommes. En pratique, cette procédure est souvent bien plus longue (environ 1 an) d’une part en raison de l’engorgement des tribunaux, et d’autre part, en raison du droit pour l’employeur de bénéficier d’un temps suffisant pour préparer sa défense.
En règle générale, la prise d’acte n’ouvre pas droit aux allocations chômage, avant que le juge n’ait statué sur votre demande de requalification (sauf à obtenir, dans l’intervalle, un jugement en référé qui constate le non-paiement des salaires).
Cette option est donc à privilégier lorsque vous avez l’assurance d’être embauché par un autre employeur immédiatement après la rupture de votre contrat. A défaut, vous risquez de rester sans revenus après la prise d’acte.
Avant de prendre acte de la rupture de votre contrat de travail, il faut également bien s’assurer que les manquements reprochés à votre employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
4/ La résiliation judiciaire du contrat de travail.
La résiliation judiciaire est une variante de la prise d’acte.
En raison de manquements suffisamment graves commis par l’employeur, vous saisissez le conseil de prud’hommes pour qu’il ordonne la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Dans ce cas de figure, c’est donc le juge (et non vous-même) qui met fin au contrat de travail.
Si le juge vous donne raison, le contrat de travail prend fin au jour du jugement du conseil de prud’hommes et l’employeur est notamment condamné à vous payer les indemnités de rupture du contrat (cf. indemnités visées ci-dessus).
Si le juge estime que les manquements ne sont pas suffisamment graves, vous restez alors en poste et le contrat n’est pas rompu.
Tant que le tribunal n’a pas statué sur votre demande de résiliation judiciaire, vous restez en poste.
Cette procédure peut durer 1 an en première instance aux prud’hommes, voire 3 à 4 ans en cas d’appel.
Cette option n’est donc pas optimale car le temps de la procédure judiciaire est long et il est évidemment très inconfortable de poursuivre votre employeur en justice, tout en restant à votre poste.
Cette option est donc à privilégier si vous n’avez pas d’autre perspective d’embauche, que votre santé est très détériorée du fait de la dégradation de vos conditions de travail, que vous êtes placé en arrêt de travail pour une longue durée et que vous bénéficiez d’une bonne couverture prévoyance.
5/ La démission.
La démission peut être une solution en dernier recours pour vous extirper rapidement d’un environnement de travail néfaste mais n’est évidemment pas la meilleure option.
Au-delà du préavis à effectuer (de 1 à 3 mois en général), la démission ne vous donne droit à aucune indemnité, à l’exception des congés payés acquis non pris, et ne vous permet pas de bénéficier des allocations chômage (sauf projet de reconversion professionnelle à faire préalablement valider par France Travail).
Si votre lettre de démission impute clairement votre départ aux manquements de l’employeur, il sera alors possible de demander la requalification de votre démission en un licenciement nul ou injustifié (même mécanisme que celui de la prise d’acte).
6/ L’abandon de poste.
A éviter. D’une part, ce mode de rupture est déloyal. D’autre part, depuis une récente réforme de 2023, l’abandon de poste ne se solde généralement plus par un licenciement pour faute grave mais vaut désormais démission, après mise en demeure par l’employeur de justifier vos absences.
Cette solution ne préserve donc pas vos intérêts et ne vous donne pas droit aux allocations chômage.
En conclusion, en cas de manquements graves de l’employeur à votre encontre, l’option de sortie à privilégier (rupture conventionnelle, négociation amiable, inaptitude, prise d’acte, résiliation judiciaire, démission) dépend notamment du temps dont vous disposez, des preuves disponibles, de vos moyens financiers, de votre état de santé, de votre possibilité ou non d’établir un rapport de force avec votre employeur, de rester plus ou moins longtemps à votre poste de travail, de vos perspectives d’embauche dans une autre entreprise ou de reconversion, et de votre protection en matière de frais de santé et de prévoyance.