Forfait-jours Syntec : quelles dérogations possibles ?

Par Anne Cohen, Avocate.

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Explorer : # forfait-jours # conditions d'accès # accord d'entreprise # droit à la déconnexion

Ce que vous allez lire ici :

La convention Syntec-Cinov prévoit un forfait en jours pour les salariés cadres autonomes. Ils travaillent un certain nombre de jours par an (218 maximum) au lieu d'heures par semaine. Les entreprises peuvent aménager ce dispositif selon leurs moyens. La négociation de l'accord d'entreprise doit garantir la protection des salariés.
Description rédigée par l'IA du Village

La Convention collective des Bureaux d’Études Techniques, des Cabinets d’Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils (Betic), appelée également Syntec-Cinov (du nom des fédérations signataires de l’accord) prévoit un dispositif spécifique pour les salariés soumis à un forfait-jours. Le problème est que le cadre juridique posé par la convention est contraignant et inadapté aux capacités des jeunes startups et des petites entreprises. Il existe toutefois une solution pour adapter le dispositif en interne : l’accord d’entreprise dérogatoire.

-

Le forfait en jours tel qu’il est prévu par la convention.

La convention Syntec-Cinov prévoit son propre système de forfait en jours. Il est appelé modalité de « réalisation de mission avec autonomie complète » ou modalité 3.

Il s’agit d’un dispositif d’organisation de la durée du travail, dans lequel le temps de travail n’est pas décompté en heures sur la semaine (les "35 heures" traditionnelles) mais en jours sur l’année.

Le nombre de jours travaillés sur l’année est fixé à 218 maximum, journée de solidarité incluse.

En pratique, sur une année de 365 jours, on soustrait 25 jours de congés payés, environ 104 week-ends et quelques jours fériés chômés, ce qui donne le nombre de jours non travaillés (parfois appelés jours de repos ou RTT) dont les salariés bénéficient sur chaque année civile. Par exemple 9 jours non travaillés en 2024.

Le concept est assez similaire aux autres systèmes de forfait-jours existants. En revanche, les conditions d’accès et d’encadrement du système sont très exigeantes.

Conditions d’accès.

  • Classification : seuls les salariés cadres, disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur temps de travail et ayant une classification correspondant a minima à la position 3.1 de la grille conventionnelle peuvent bénéficier du forfait jours.
  • Salaire : une majoration de 20% doit être appliquée au salaire minimum conventionnel fixe. Pour une position 3.1, le salaire majoré en 2024 est de 4 292.40 euros mensuel soit 51 508,80 euros annuels.

Conditions d’encadrement.

La mise en place du forfait-jours doit s’accompagner de :

  • L’établissement d’un document de suivi des jours travaillés/non travaillés qui doit être rempli par le salarié ;
  • La mise en place d’une procédure d’alerte en cas de surcharge de travail ou
  • de problème d’organisation ou d’isolement ;
  • La mise en place de 2 entretiens annuels de suivi spécifiques au forfait jours, dont l’objet est d’évoquer la charge individuelle de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie privée, et la rémunération du salarié ;
  • La formalisation du droit à la déconnexion, qui doit notamment se matérialiser par la mise en place de plages horaires de déconnexion obligatoires le soir et le week-end, et la mise en place d’un outil de suivi des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.

Quelles sont les marges de manœuvre des entreprises employeurs ?

Les entreprises qui ne disposent pas des moyens financiers et/ou humains pour respecter la totalité des conditions posées par la convention collective Syntec-Cinov peuvent mettre en place un accord d’entreprise pour aménager le dispositif.

Les points qui pourront faire l’objet d’une adaptation sont notamment les suivants :

  • Ouvrir l’accès au forfait-jours aux salariés dont la classification est inférieure à la 3.1. Par exemple : l’ouvrir aux classifications 2.3.

A noter : un accord conclu le 13 décembre 2022 dans la branche Syntec-Cinov prévoit la possibilité d’appliquer le forfait-jours aux cadres autonomes dès la position 2.3 moyennant une majoration du salaire minimum conventionnel de 22% (contre 20% pour les positions 3.1 et plus.) Mais cet accord n’a pas encore fait l’objet d’un arrêté d’extension, ce qui signifie que cette disposition n’est pas encore applicable, sauf accord d’entreprise dérogatoire.

  • Moduler la majoration du salaire minimum conventionnel. Par exemple, fixer la majoration à 15% (contre les 20% exigés par la convention).
  • Aménager les mesures de suivi du forfait-jours. Par exemple, tenir l’un des deux entretiens annuels de suivi en asynchrone.

De manière plus générale, les points à évoquer lors de la négociation de l’accord d’entreprise sont les suivants :

  • Possibilité de rachat des jours de repos (majoration)
  • Période de référence pour les jours de repos (année civile ou période congés payés) Modalités de prise des jours de repos (initiative salarié/employeur, possibilité de les prendre par demi-journée, accolés aux CP, délais de prévenance, etc.)
  • Possibilité de forfait "jours réduits"
  • Dispositif "urgence" surcharge de travail à mettre en place
  • Modalités droit à la déconnexion
  • Périodicité et modalités des entretiens annuels de suivi.

Les limites.

L’objectif de la négociation de cet accord d’entreprise dérogatoire ne peut pas être de diminuer les garanties et protections offertes aux salariés par la convention collective Syntec-Cinov. Chaque mesure négociée doit s’accompagner de garanties permettant d’assurer un niveau de protection de la santé des salariés équivalent à celui prévu par le dispositif initial.

Au-delà du respect de cette obligation d’équilibre, il est tout simplement interdit de déroger à certaines règles, même par accord d’entreprise. Il en est ainsi de la grille de classification conventionnelle et des salaires minimum conventionnels associés.

Illustrations.

Voici quelques suggestions de mesures à négocier permettant de conserver un certain équilibre dans l’accord d’entreprise :

  • Fixer la majoration du salaire minimum conventionnel à 15% et accorder un jour de repos annuel supplémentaire (donc fixer la durée du forfait à 217 jours travaillés).
  • Ouvrir l’accès aux forfaits jours aux cadres dès la classification 2.1 s’ils sont autonomes dès ce niveau de classification, et leur garantir une majoration du salaire minimum conventionnel de 25%.
  • Tenir l’un des deux entretiens annuels de suivi en asynchrone mais déclencher un entretien physique avec le manager sur simple demande du salarié.

Et comment faire pour négocier un accord d’entreprise ?

Dans les entreprises de moins de 20 salariés, sans Comité Social et Economique (CSE), l’accord peut être négocié directement avec les salariés, dans le cadre d’un référendum d’entreprise.

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, qui disposent d’un CSE, l’accord peut être négocié directement avec les élus titulaires, sans référendum.

Quel est le calendrier ?

Si le climat social est favorable, l’accord d’entreprise peut être conclu en quelques semaines. La nécessité de conclure ensuite des avenants individuels aux contrats de travail de chaque salarié concerné dépendra de la situation préexistante.

L’autre avantage.

Au-delà de l’aspect juridique dérogatoire, l’accord d’entreprise sur la durée du travail peut être un outil qui permet à l’entreprise de mieux communiquer sur ses pratiques en matière d’équilibre vie personnelle/vie professionnelle et donc d’alimenter sa marque employeur.

Anne Cohen
Avocate en droit du travail
Barreau de Paris
https://www.cohenavocate.fr/

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Discussions en cours :

  • Bonjour,
    En lisant votre article, j’ai découvert que ma position cadre 2.2 n’est pas compatible avec le fait d’être au forfait jours, mais c’est mon cas depuis 26 ans.
    Comment régulariser ma situation ?
    Vous remerciant

    • par Mikael , Le 1er avril à 14:14

      Bonjour,

      J’appartiens à une structure associative (domaine ESS). Un accord d’entreprise sur le forfait jour autorise le recours au FJ à partir des cadres dès l’indice 1.1 Syntec. Au réel la majorité des cadres sont en 2.1 et en forfait jour chez nous.

      Ici le forfait-jour semble être un moyen pour l’employeur de s’éviter le paiement des heures supplémentaires et de mieux considérer la charge que représentent les déplacements professionnels (plus flexible, pas payé en HS).
      Et un moyen de moins nous payer qu’il ne devrait aussi par ailleurs et de nous faire porter la charge de cette autonomie d’organisation de notre temps de travail, alors que la charge de travail est importante.

      Est-ce que cet accord d’entreprise est valable en étant si éloigné de la convention Syntec ?
      Quelle pourrait être la revalorisation de la rémunération liée au fait d’etre en forfait-jour (si elle est de 20% quand on est 3.1 FJ, de 22% quand on est 2.3 FJ...) ?

  • par France3 , Le 28 mars à 14:27

    Bonjour,

    "L’objectif de la négociation de cet accord d’entreprise dérogatoire ne peut pas être de diminuer les garanties et protections offertes aux salariés par la convention collective Syntec-Cinov"

    Or dans votre exemple d’illustration vous indiquez

    "Fixer la majoration du salaire minimum conventionnel à 15% et accorder un jour de repos annuel supplémentaire (donc fixer la durée du forfait à 217 jours travaillés)."

    1 jour annuel de repos n’est absolument pas ’équivalent’ à 5% de majoration de salaire minimum mensuel, si on considère 20 jour /mois, 20% fait 1/5 soit 4 jours. l’équivalent est donc
    20 % - 0 j/mois
    15 % - 1 j/mois
    10 % - 2j/mois
    5 % - 3j/mois
    0 % - 4j/mois

    Dans les matières énumérées au 1° à 13°, les stipulations de la convention de branche ou de l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur la convention d’entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date de leur entrée en vigueur, sauf lorsque la convention d’entreprise assure des garanties au moins équivalentes. Cette équivalence des garanties s’apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière."

    Cdlt

    ,

  • Dernière réponse : 6 juin 2024 à 12:04
    par mbenguigui , Le 3 juin 2024 à 16:34

    Bonjour,

    Depuis un accord (non étendu) signé fin 2022, la modalité 3 est ouverte aux cadres en position 2.3 avec un salaire d’au moins 122 % du minimum conventionnel.

    • par Anne Cohen , Le 6 juin 2024 à 12:04

      Bonjour, oui effectivement mais cet accord n’était pas étendu, il n’est, à ce jour, pas applicable. Bien à vous.

  • Dernière réponse : 2 avril 2024 à 15:34
    par Hervé , Le 2 avril 2024 à 14:01

    Bonjour,

    Dans votre illustration, vous écrivez qu’il est possible de moduler la majoration du salaire minimum conventionnel à 15% alors qu’il est de 20% pour les cadres en position au moins à 3.1. L’accord d’entreprise baisse alors le salaire minimum conventionnel même en abaissant le nombre de jours travaillé à 217.

    D’ou vient la majoration de 25% des cadres en position 2.1 ?

    Je vous remercie

    • par Anne Cohen , Le 2 avril 2024 à 15:34

      Bonjour Hervé,

      J’évoque effectivement la possibilité de moduler la majoration du salaire minimum conventionnel par accord d’entreprise. Il s’agit bien de la majoration et non du salaire minimum conventionnel en lui-même, auquel on ne peut pas déroger même par accord d’entreprise.

      Je propose également un exemple de dérogation possible en fixant une majoration du salaire minimum conventionnel de 25% : il s’agit d’une illustration de ce qu’il est possible de faire par accord d’entreprise. Le chiffrage à 25% n’est pas prévu par un texte légal ou règlementaire, il s’agit uniquement d’un exemple chiffré.

      Bien à vous

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