Fonds de commerce électronique : tout ce qu’il faut savoir.

Par Adèle Kolesnyk, Avocate.

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Explorer : # commerce électronique # fonds de commerce # législation numérique # propriété intellectuelle

Ce que vous allez lire ici :

Un fonds de commerce numérique se définit par une clientèle réelle, l'absence de bail physique, et des éléments incorporels comme le nom de domaine. La jurisprudence évolue, reconnaissant ces fonds comme des entités légales, bénéficiant de protections similaires aux commerces traditionnels, incluant des modalités de cession adaptables.
Description rédigée par l'IA du Village

Courant les années 2020, les périodes de confinement ont accéléré, plus que jamais, les habitudes des consommateurs quant à leurs achats quotidiens de produits et de services.
En ce sens, aujourd’hui, que ce soit en France ou sur la scène internationale, le commerce sur Internet ne cesse de se développer et prend de plus en plus d’ampleur chaque jour.
A titre d’illustration, en 2023, le chiffre d’affaires mondial du e-commerce s’est élevé à 5,78 trillions de dollars et devrait atteindre 8 trillions de dollars d’ici 2027.
Quant à la France, en 2023, le chiffre d’affaires du e-commerce s’est élevé à 160 milliards d’euros et devra augmenter d’au moins 20% d’ici 2025.
Plus généralement, depuis de nombreuses années le droit français tente de s’adapter à cette hausse constante du commerce en ligne et a notamment permis aux e-commerçants de bénéficier d’un régime protecteur similaire aux commerçants disposant des fonds de commerce dits « traditionnels ».

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En principe, un fonds de commerce traditionnel se caractérise par :

  • L’existence d’un bail commercial portant sur les locaux où l’activité commerciale est exercée et où le commerçant est susceptible de recevoir du public ;
  • La présence des éléments corporels composant le fonds de commerce, tels que notamment le matériel, les marchandises et les équipements divers ;
  • La présence des éléments incorporels composant le fonds de commerce, tels qu’une clientèle stable, des signes distinctifs et des droits de propriété intellectuelle divers applicables à l’activité exercée.

Quant aux commerçants exerçant leur activité exclusivement sur Internet, la jurisprudence a longtemps été réticente à l’idée de qualifier les sites web dont ils disposent de véritables fonds de commerce.

Notamment, il est apparu évident qu’un e-commerçant ne pouvait se voir appliquer les dispositions législatives et réglementaires relatives au bail commercial, celui-ci devant, pour se faire, disposer d’un endroit clos et couvert, susceptible de recevoir des clients [1].

Néanmoins, à l’aune du développement rapide du commerce électronique, la législation française a été dans l’obligation de s’interroger sur la transposition éventuelle du régime juridique applicable aux fonds de commerce à l’univers numérique.

Plus encore, en l’absence de dispositions législatives spécifiques, la doctrine s’est clairement positionnée pour la reconnaissance de l’existence de fonds de commerce électroniques [2].

De même, s’il existe pour le moment peu de jurisprudence sur ce sujet, la jurisprudence a d’ores et déjà pu consacrer, par le biais de certaines de ses décisions, l’existence de fonds de commerce électroniques.

Ci-après, vous trouverez un rapide tour d’horizon relatif aux éléments essentiels constituant un fonds de commerce numérique, mais également des principes généraux se rapportant au régime protecteur qui lui est applicable.

I. Les éléments constitutifs d’un fonds de commerce numérique.

Bien que la majorité des éléments constitutifs d’un fonds de commerce numérique soit issue de sa conception dite « classique », d’autres éléments présentent des spécificités propres aux activités commerciales exercées sur Internet.

A. La clientèle.

La jurisprudence et la doctrine retiennent habituellement que la présence d’une clientèle « réelle et stable » constitue un élément déterminant de tout fonds de commerce traditionnel.

Dans le monde numérique, les commerçants ne peuvent accueillir physiquement leurs clients, les utilisateurs des plateformes web ayant la possibilité de conserver leur anonymat au cours de la navigation.

Ainsi, la jurisprudence s’est tout d’abord montrée réticente à l’idée d’admettre qu’une clientèle dite « numérique » puisse être qualifiée de clientèle réelle.

Néanmoins, au vu de l’évolution récente du commerce en ligne, la présence d’une clientèle effective et réelle, bénéficiant des produits et des services proposés par des commerçants sur des sites internet, peut difficilement être démentie.

L’idée d’un achalandage propre au fonds de commerce électronique ne saurait non plus remettre en cause l’existence d’une clientèle effective. En effet, les utilisateurs se rendent sur Internet pour procéder à l’acquisition de biens ou de services qu’ils convoitent soit sur un site précis, parce qu’ils ont l’habitude de l’utiliser, soit en surfant sur Internet, à force de comparer les différentes offres en termes de prix, de rapidité de livraison, ou encore de qualité de service.

La jurisprudence relative au service Minitel atteste parfaitement de cette évolution :

  • Dans un premier temps, dans un arrêt du 6 avril 2001, la Cour d’Appel de Paris avait considéré que la cession d’un service Minitel ne constituait pas la cession d’un véritable fonds de commerce.
  • Quelques années plus tard, en date du 28 janvier 2005, la même cour d’appel a drastiquement changé de raisonnement et a notamment admis que l’exploitant d’une « messagerie conviviale » sur Minitel disposait d’une clientèle personnelle, sous-entendant ainsi que la cession réalisée était bien celle d’un fonds de commerce [3].

En conséquence, il est désormais considéré qu’un fonds de commerce numérique dispose bel et bien d’une clientèle réelle, personnelle et stable.

B. L’absence de bail commercial.

Outre la clientèle réelle et personnelle, un fonds de commerce classique doit disposer d’un droit au bail commercial.

Traditionnellement, l’article L145-1 du Code de Commerce accordait la protection des dispositions relatives aux baux commerciaux aux seuls détenteurs et/ou propriétaires des immeubles et/ou locaux dans lesquels le fonds était exploité.

Or, il va de soi qu’un site web marchand ne dispose pas d’un lieu physique, lui permettant d’accueillir les clients.

C’est ainsi que la jurisprudence a été, encore une fois, dans l’obligation de s’adapter à l’évolution du commerce électronique.

En date du 23 juin 2026, la Cour de cassation a considéré que « l’application du statut des baux commerciaux n’est pas conditionnée à l’existence d’un local clos et couvert » [4].

Dès lors, un site web qui commercialise en ligne des produits et des services peut bel et bien être qualifié de fonds de commerce et ce, nonobstant l’absence de local commercial physique où ladite activité est exercée.

Le lieu d’implantation physique du cybermarchand n’a désormais pratiquement aucun impact pour le succès de son activité commerciale.

C. Les éléments incorporels d’un fonds de commerce numérique.

Outre la présence d’une clientèle et d’un bail commercial, le fonds de commerce traditionnel doit également disposer de divers éléments incorporels tels que l’achalandage, les signes distinctifs et les créations intellectuelles diverses, destinés à le rendre attrayant aux yeux de la clientèle potentielle.

Dans le cadre de l’exploitation d’un fonds de commerce numérique, les éléments qui le composent sont, naturellement, quelque peu différents, dans la mesure où le e-commerce a un caractère dématérialisé.

Dans ces conditions, l’on y retrouve, outre les éléments incorporels classiques, l’ensemble des éléments relatifs à l’exploitation d’un site web, parmi lesquels figurent notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive :

  • Le nom du domaine ;
  • Les adresses électroniques ;
  • La charte graphique ;
  • Les programmes des logiciels ;
  • Les contrats d’hébergement et de création du site web ;
  • Les réseaux sociaux ou encore le fichier clients.

II. Le régime protecteur dont bénéficie un fonds de commerce électronique.

Au regard de ce qui précède, il apparait incontestable qu’aujourd’hui, un site web commercialisant auprès des utilisateurs des produits et/ou des services divers constitue un véritable fonds de commerce électronique.

En ce sens, les fonds de commerce numériques bénéficient alors d’un régime protecteur instauré à l’origine par la législation et la jurisprudence en vigueur au profit des fonds de commerce au sens des articles L141-1 et suivants du Code de commerce.

Il s’agit, principalement, de la possibilité pour un e-commerçant de céder son fonds de commerce électronique et de tirer profit de ladite cession.

La procédure et les modalités de cession d’un fonds de commerce classique divergent néanmoins de celles prévues en matière de cession d’un fonds de commerce numérique, dans la mesure où les éléments qui composent ce dernier ne sont pas les mêmes.

Lorsqu’un commerçant souhaite céder son commerce numérique, il a la possibilité :

  • Soit de céder son entreprise sous forme de cession de titres ;
  • Soit de céder son fonds de commerce numérique ainsi que l’ensemble de ses composants.

A. Cession de titres.

La cession de titres sociaux est une opération permettant à un associé de transférer à un autre associé ou à un tiers la propriété d’une partie ou de l’intégralité des titres qu’il détient au sein du capital social d’une société.

Dans le cas où les titres sont cédés à une personne tierce, le cessionnaire devient l’associé de la société à l’issue du processus de cession.

A titre de précision, les titres sociaux sont des titres de propriété émis par une société au profit de ses associés en échange de leur apport au capital de celle-ci. Lesdits titres (à savoir, les actions ou les parts sociales) conférent ainsi aux associés des droits et des obligations spécifiques et notamment, le droit de percevoir des dividendes et de participer aux assemblées générales.

Bien que le processus de cession puisse différer au regard de la nature des titres cédés, il existe toutefois un tronc commun relatif à la marche à suivre, à savoir :

La détermination préalable de la valeur des titres cédés.

Ladite démarche peut notamment s’exercer via l’analyse et l’audit de l’état global de la société sur le marché concerné, ou bien via un simple accord entre le cédant et le cessionnaire.

La rédaction d’un acte de cession de titres.

Ledit acte doit comporter une série de clauses obligatoires et notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive, celles relatives à l’identification des parties, à la quantité et au prix des titres cédés, aux obligations et responsabilités respectives des parties et aux formalités de l’enregistrement de la cession projetée.

La tenue d’une assemblée générale de la société.

Celle-ci devra avoir pour objectif principal d’agréer le cessionnaire en sa qualité de nouvel associé de la société et/ou de lui attribuer un mandat social, si nécessaire.

Un refus d’agrément de la part de l’assemblée générale des associées est néanmoins possible.

Ses conséquences dépendent de la forme sociale de la société, à savoir :

  • En cas de cession de parts sociales d’une SARL, la société à responsabilité limitée doit, dans un délai de 3 mois à compter du refus d’agrément, acquérir ou faire acquérir (par l’un ou plusieurs associés et/ou tiers) les parts sociales, sauf si le cédant renonce à la vente de ses parts. À défaut de prononciation ou de rachat dans le délai imparti, l’agrément est réputé acquis.
  • En ce qui concerne la SAS, les conséquences refus d’agrément sont, en principe, prévues dans la clause d’agrément. Il convient de noter que le refus ne peut pas empêcher l’actionnaire de réaliser la cession de ses actions. Il convient simplement de trouver une solution quant au potentiel acquéreur.

Il est également possible qu’ait été intégré aux statuts un droit de préemption désignant des personnes comme étant « prioritaires » en cas de cession. Ce ne sera seulement en cas de refus de leur part que les actions pourront être proposées à un tiers.

La modification des statuts de la société.

Dans le cas où le cessionnaire est agréé par la communauté des associés, l’actionnariat de la société aura changé. Dès lors, les statuts de la société devront être mis à jour conformément à ladite modification.

La réalisation de formalités.

La cession de titres, actions ou parts sociales entraîne des formalités d’enregistrement et de modification spécifiques qu’il faudra bien respecter afin que la cession soit effective.

Pour cela, il faudra déclarer la cession au service des impôts ainsi qu’auprès du Greffe du Tribunal de Commerce.

B. Cession de fonds de commerce électronique.

Outre la cession des titres, le e-commerçant à la possibilité de céder l’intégralité des composants matériels et immatériels de son fonds de commerce électronique :

La cession de clientèle.

Dans le secteur du e-commerce, l’ensemble des clients est rattaché à un fichier spécifique des clients.

Ledit fichier est un actif incorporel dont la valeur marchande équivaut à l’ensemble des clients qu’il contient.

Au moment de la cession dudit fichier, le cédant doit obtenir le consentement préalable de l’ensemble de clients concernés, les informant du transfert de leurs données.

A défaut, au sens des dispositions de l’article L226-18 du Code pénal, le cédant s’expose à des sanctions pénales et notamment, à une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Le fichier-clients doit également faire l’objet des déclarations obligatoires auprès de la CNIL, conformément à la loi du 6 janvier 1978 « informatique et liberté », sous peine de nullité de l’opération [5].

Dans le même sens il est impératif pour le cédant de se conformer aux exigences du Règlement UE n° 2016/679 sur la protection des données, dit « RGPD ».

Ici encore, il apparait primordial de procéder à la rédaction d’un acte de cession de clientèle, afin de se prémunir de toutes actions de contestations éventuelles de chacune des parties.

Enfin, en plus du fichier clients, le fichier-prospects peut aussi être cédé au sens des dispositions de l’article L34-5 du Code des postes et communications électroniques.

La cession des contrats indispensables au fonctionnement du fonds de commerce numérique.

Bien que les contrats soient, en principe, incessibles, certaines conventions indispensables au bon fonctionnement du fonds de commerce numérique doivent être cédées en même temps que ce dernier.

Il s’agit notamment des contrats d’hébergement et/ou des contrats de référencement du site et/ou des contrats relatifs au développement des réseaux sociaux.

L’activité d’un fonds de commerce numérique dépendant desdits contrats, une cession du site marchand non accompagnée de la cession de ces derniers sera dépourvue de toute utilité.

La cession des droits de propriété intellectuelle.

Les sites internet sont la plupart de temps composés de nombreux éléments relevant du droit de la propriété intellectuelle et notamment les photographies, les graphismes et les signes distinctifs divers.

Au sens des dispositions des articles L131-3 et L131-4 du Code de la propriété intellectuelle, tous contrats de cession d’un fonds de commerce numérique doivent prévoir la transmission au cessionnaire des droits d’auteur sur les composants du site internet concerné.

L’acquéreur du fonds de commerce doit ainsi s’assurer que le cédant est bien titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’intégralité des éléments qui composent le site, mais également vérifier que la démarche du cédant ne contrevient pas à des droits de propriété intellectuelle préexistants au profit des tiers.

La réalisation des formalités de cession du fonds de commerce numérique.

Contrairement aux formalités relatives à la vente d’un fonds de commerce traditionnel, dans le cas de la vente d’un fonds de commerce numérique, les parties disposent de quinze jours suite à la signature du contrat de cession pour publier ladite cession au BODACC afin d’avertir les créanciers de cette opération.

Les cédants sont également tenus d’informer les utilisateurs du site web concerné de la cession intervenue.

Habituellement, l’information des utilisateurs est réalisée par le biais d’une newsletter et/ou de la publication d’un communiqué sur le site.

S’agissant des droits d’enregistrement au sens de l’article 720 du Code général des impôts, les dispositions applicables à la cession d’un fonds de commerce traditionnel sont étendues à toute convention à titre onéreux ayant pour effet de permettre à une personne d’exercer une profession occupée par le précédent titulaire.

Dès lors, tout acquéreur d’un site internet sera tenu, au même titre qu’une acquisition de fonds de commerce classique, de s’acquitter des droits d’enregistrement.

Adèle Kolesnyk
Avocate au Barreau de Paris
https://www.lpa-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Cass. Civ. 3ème, 23 juin 2016, RG n° 14-26.003.

[2Cf. Verbiest, Le fonds de commerce électronique : vers une reconnaissance juridique ? : Comm. com. électr. 2008, étude 10. ; Guillaume Desgens-Pasanau, Fasc. 1080 : Notion de fonds de commerce et internet, JurisClasseur Entreprise individuelle ; Suzel Castagné, Fasc. 1932 : Fonds de commerce. - Fonds de commerce électronique. - Cession, JurisClasseur Entreprise individuelle.

[3Cour d’Appel de Paris, 4ᵉ chambre, 28 janvier 2005, n°02/14489.

[4Cass. Civ. 3ème, 23 juin 2016, RG n°14-26.003.

[5Cass.Com. 25 juin 2013, RG n° 12-17.037.

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