Être juré de cour d’assises : guide pratique.

Par David Curiel, Avocat.

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Explorer : # juré de cour d'assises # prise de notes # intime conviction # indépendance d'esprit

Être tiré au sort pour être juré à une cour d’assises est une aventure particulièrement marquante dans la vie d’un citoyen.
En tant que juré, vous allez juger ce que la société considère comme étant les crimes les plus graves : les meurtres, les viols, les braquages, etc.
Votre voix comptera autant que celle de chacun des trois juges professionnels. Vous participerez à un moment de véritable démocratie et rendrez la justice au nom du peuple français. Toutefois, cette responsabilité incombe de connaître les principes essentiels pour juger.
Je vous donne quelques conseils pratiques en tant qu’avocat pénaliste habitué des cours d’assises.

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Jugez sans haine et sans crainte.

Après avoir été tiré au sort et pris place aux côtés des magistrats, le Président vous lira l’article 304 du Code de procédure pénale :
« Le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions".

Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répond en levant la main : "Je le jure". »

Il vous faudra peser chaque mot de ce discours qui renferme votre rôle de juré. Ce qui ressort notamment de cet article est de parvenir à mettre de côté vos émotions, non pas de les ignorer, mais d’avoir conscience qu’elles peuvent biaiser votre raison et alors votre jugement.

Prenez des notes.

En tant qu’avocat pénaliste et partie prenante à l’audience devant la cour d’assises, je vous conseille fortement de prendre des notes. Ces audiences durent souvent plusieurs jours et vous serez confrontés à énormément d’informations factuelles, techniques et juridiques.

Les débats commencent par un résumé succinct des charges reprochées à l’accusé puis s’ensuit une succession de dépositions de témoins et d’experts. Il arrive fréquemment que des témoins se contredisent, que des experts s’opposent et il est peu aisé de faire le tri de tant d’informations.

Vos notes vous permettront ainsi de ne pas vous noyer dans le flot d’informations, de parvenir à les hiérarchiser et de construire progressivement votre conviction sur les infractions reprochées.

Posez des questions.

Je constate souvent que les jurés posent trop peu de questions ; je pense qu’ils n’osent pas, étant certainement impressionnés par la solennité de la cour d’assises. Pourtant, vous avez le droit d’en poser et vos questions peuvent vous permettre de clarifier des zones d’ombres du dossier. Encore une fois, vous avez cette lourde tâche de juger un homme, que ce soit pour le condamner ou pour l’acquitter ; il est donc nécessaire que vous ayez une compréhension parfaite de l’affaire. C’est seulement à cette condition que vous jugerez bien.

Soyez libres pour juger : forgez votre intime conviction.

À la fin des débats, c’est-à-dire après la plaidoirie de l’avocat de la défense, le Président vous donnera lecture d’un article fondamental. Il s’agit de l’article 353 du Code de procédure pénale qui prévoit ceci :

« Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :

" Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ?". »

L’intime conviction est un concept fondamental. Tout ce que vous entendrez durant les débats de cour d’assises vous permettra de vous forger une opinion. Attention, votre intime conviction n’est pas une intime intuition. Elle devra reposer sur des preuves, des éléments tangibles, incontestables. Autrement, le doute devra profiter à l’accusé.

La notion d’intime conviction pose la question de la nécessaire indépendance d’esprit du juré. En effet, vous pourrez poser des questions juridiques aux magistrats professionnels afin de comprendre un certain nombre de données techniques. Néanmoins, toute la difficulté réside dans le fait de se forger sa propre opinion, de construire son propre raisonnement, indépendamment de celui du sachant, c’est-à-dire du juge professionnel, qu’on considérerait comme étant le bon raisonnement.

Avant vous, un célèbre écrivain a été juré de cour d’assises et il en a fait un livre pour décrire cette expérience qui l’a durablement marqué. Il s’agit d’André Gide qui a écrit en 1913 « Les souvenirs de cour d’assises ». Il y relatait notamment à quel point « il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du président ».

Alors, Mesdames, Messieurs les jurés, soyez libres.

David Curiel, Avocat au Barreau de Paris

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