Droit pénal et vices de procédure : le diable se cache dans les détails.

Par David Curiel et Anna-May Jacob Couderc, Avocats.

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Explorer : # vice de procédure # nullité de la procédure # droits de la défense # procédure pénale

Le droit pénal est soumis à des règles de procédure très encadrées, définies dans le Code de procédure pénale (CPP). Ces obligations légales doivent être respectées par l’ensemble des auxiliaires de justice dont les magistrats et officiers de police judiciaire.
Or, il n’est pas rare de voir dans les procédures, des violations flagrantes du Code de procédure pénale et qui sont susceptibles de faire annuler toute une procédure : c’est ce qu’on appelle un vice de procédure, aussi appelé « nullité ».
Néanmoins, tous les vices de procédure n’ont pas nécessairement vocation à faire tomber une procédure et ceux-ci ne peuvent pas être soulevés n’importe quand et n’importe comment.
Cet article a pour objectif de vous aider à déceler ces vices de procédure et en comprendre les tenants et les aboutissants.

-

1. Qu’est-ce qu’un vice de procédure ?

Le vice de procédure est un terme juridique utilisé pour désigner le manquement ou l’inobservation d’une formalité requise par la loi pour la rédaction ou la conclusion d’un acte juridique.

En matière pénale, un contrevenant, prévenu ou accusé peut se prévaloir d’un vice de procédure pour obtenir, dans certains cas, la nullité de la procédure et par conséquent, l’arrêt des poursuites.

L’objectif de cette notion est de garantir le respect des droits de la défense et l’équité du procès, en veillant à ce que toutes les parties soient traitées de manière égale et conforme aux prescriptions légales et aux principes fondamentaux de la justice.

La loi et la jurisprudence peuvent, dans certains cas, indiquer d’emblée que telle ou telle irrégularité entraînera automatiquement la nullité de la procédure.

En effet, on distingue les nullités d’ordre public (qui ne nécessitent pas la démonstration d’un quelconque grief puisqu’elles concernent des règles indispensables au fonctionnement de notre système judiciaire, telles que la publicité des débats ou le principe du contradictoire) et les nullités d’ordre privé (qui nécessitent de prouver l’existence d’un grief puisqu’il est ici question de sanctionner une irrégularité venant porter atteinte aux intérêts de la personne concernée, telles que les droits des gardés à vue).

En pratique, cela implique pour le juge, l’obligation de soulever d’office les exceptions de nullité d’ordre public. En revanche, en cas de nullité dite « d’ordre privé », il conviendra de démontrer que la méconnaissance soulevée porte nécessairement atteinte à vos intérêts.

2. Comment soulever un vice de procédure ?

Peu importe l’orientation de votre procédure, une nullité ne peut se soulever que par écrit.

i. Devant le tribunal correctionnel.

Hors instruction et dans le cadre d’une audience devant le tribunal correctionnel, c’est-à-dire en cas de comparution immédiate (CI) ou convocation par officier de police judiciaire (COPJ), les vices de procédure doivent être mis en exergue par l’intermédiaire de conclusions aux fins de nullité.

Ces conclusions, doivent être transmises par votre avocat au Ministère Public ainsi qu’à la juridiction de jugement. Elles doivent mentionner l’irrégularité visée et si besoin, le préjudice qui en découle.

Attention, les conclusions aux fins de nullité doivent être plaidées « in limine litis », autrement dit, avant toute défense au fond, c’est-à-dire, au tout début de l’audience [1].

Le Président d’audience détermine, à l’issue de cette première plaidoirie, s’il suspend l’audience pour délibérer immédiatement ou s’il « joint l’affaire au fond », c’est-à-dire qu’il va examiner le bien-fondé des nullités évoquées au moment de l’examen de la culpabilité.

Soyez rassuré, ce n’est pas parce que votre nullité est rejetée que vous ne pourrez pas obtenir la relaxe ! Même si vous estimez que le vice de procédure invoqué n’est pas assez grave, il est important de le soulever malgré tout, et cela peut éventuellement avoir un impact positif sur l’examen de votre culpabilité.

ii. En cours d’instruction.

Si vous êtes mis en examen, l’enquête se poursuit alors sous la forme d’une instruction judiciaire (voir notre article précédent sur les droits du mis en examen).

Dans ce cas, la nullité d’un acte ou d’une pièce de la procédure peut être demandé à la « Chambre de l’instruction » par l’intermédiaire d’une requête en nullité.

Les requêtes invoquant la nullité des actes intervenus durant la garde à vue ou lors de l’interrogatoire de première comparution, doivent être déposées avant l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de cet interrogatoire [2]. Il en va de même pour les moyens pris de la nullité des actes accomplis avant chacun des interrogatoires ultérieurs.

Passé ce délai de 6 mois, les nullités sont « purgées », autrement dit il ne sera pas possible de les invoquer par la suite, notamment à l’audience. Il est donc important d’être particulièrement vigilant durant l’instruction afin de ne pas passer à côté d’une irrégularité fondamentale, susceptible de chambouler toute la procédure.

Attention :
Une exception de nullité qui n’a pas été invoquée devant le tribunal correctionnel ne peut plus l’être devant la Cour d’appel !

De même, il n’est pas possible d’invoquer une nullité dans le cadre d’une comparution préalable sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) mais elle peut servir de levier de négociation de la peine (que ce soit sur la nature ou le quantum de la peine). A défaut de négociation fructueuse, il est toujours possible de renoncer à la CRPC et plaider cette fameuse nullité devant le tribunal correctionnel.

3. Quels effets en cas de vice de procédure ?

Si le tribunal correctionnel ou la Chambre de l’instruction estime que l’acte dénoncé comprend effectivement un vice de procédure, il procède à l’annulation dudit acte.

Par conséquent, l’acte est considéré comme n’ayant jamais existé.

Dans certains cas, l’annulation d’un acte est susceptible de « faire tomber » toute la procédure : c’est la théorie de la nullité des actes subséquents.

Il est de jurisprudence constante que l’irrégularité d’un acte de procédure n’entraîne l’annulation d’autres actes postérieurs « qu’à la condition que ces derniers aient pour support nécessaire l’acte annulé » [3].

Ainsi, l’annulation d’un acte emporte l’annulation de tous les actes qui en dérivent.

Exemple : si un procès-verbal d’interpellation est annulé, le placement en garde à vue du mis en cause ainsi que ses auditions seront nécessairement annulés dans la mesure où l’ensemble de ces actes reposent nécessairement sur le procès-verbal d’interpellation.

En revanche, s’il n’y a pas de lien entre l’acte irrégulier et les autres actes, ou que l’acte irrégulier ne constitue pas le support nécessaire des autres actes, alors la nullité demeure circonscrite à l’acte annulé.

4. Quelques exemples pratiques de vice de procédure.

Nombres sont les vices de procédure susceptibles d’intervenir lors de la garde à vue (GAV).

En effet, la GAV est, sinon la première, à tout le moins l’une des premières mesures restrictives de liberté que la procédure pénale est susceptible d’opposer à celui qui, à ce seul stade, n’est encore qualifié que de suspect.

A cet égard, le Code de procédure pénale garantit un certain nombre de droits au gardé à vue afin de contrebalancer le caractère coercitif de cette mesure et assurer la protection des libertés fondamentales du gardé à vue.

Ainsi, le contentieux de la GAV est toujours aussi nourri. Parmi les nullités les plus connues en la matière, on retrouve :
- * l’absence de l’interprète alors que le mis en cause n’est pas en mesure de comprendre et de lire le français ;

  • la poursuite d’une mesure de GAV malgré un avis défavorable du médecin ayant décrété que l’état de santé du gardé à vue était incompatible avec la mesure de GAV ;
  • une perquisition réalisée en l’absence du mis en cause et en l’absence de deux témoins, tel que la loi le prévoit ;
  • l’absence du gardé à vue lors de la pesée des produits stupéfiants saisis au moment de l’interpellation ou lors de la perquisition du domicile du gardé à vue ;
  • un contrôle d’alcoolémie effectué au moyen d’un éthylomètre non homologué ou en cas de défaut de vérification régulière de l’éthylomètre (en principe, les éthylomètres doivent être vérifiés tous les ans) [4].

Néanmoins, les nullités ne trouvent pas leur origine que dans la mesure de garde à vue mais sont susceptibles d’apparaître à tous les stades de la procédure ; attardons-nous un instant sur deux pans de la procédure pénale étant sources de contentieux.

i. En matière de cadre d’enquête.

La loi prévoit différents cadres d’investigations auxquels il peut être recouru durant une enquête.

En matière de flagrant délit, on parle d’enquête de « flagrance », qui peut donc être menée à la suite de la constatation d’un crime ou d’un délit qui est en train de se commettre ou qui vient de se commettre.

Ce cadre d’enquête offre aux officiers de police judiciaire des pouvoirs coercitifs exceptionnels justifiés par le constat préalable d’une infraction en flagrant délit.

Dans la mesure où l’enquête de flagrance repose sur l’idée d’urgence, cette dernière ne peut durer éternellement. Elle peut donc se poursuivre, sans discontinuer, pendant 8 jours (prolongeable une fois selon des conditions spécifiques). La découverte postérieure par les policiers d’éléments nouveaux relatifs aux mêmes faits, ne saurait avoir pour effet l’ouverture d’une nouvelle procédure de flagrance.

Par conséquent, les actes d’enquête réalisés au-delà du délai de 8 jours (en l’absence de prorogation exceptionnelle), sont irréguliers et par conséquent frappés de nullité [5].

ii. En matière de détention.

Les formalités relatives aux demandes de mise en liberté sont nombreuses et les magistrats, tout comme les avocats, y sont particulièrement vigilants en raison du risque ou plutôt de l’espoir d’une remise en liberté d’un mis en examen incarcéré pour vice de procédure.

En effet, le Code de procédure pénale est très clair sur la question : tout vice de procédure relatif au contentieux de la détention est susceptible de rendre la détention arbitraire et entraîne, de facto, la remise en liberté immédiate du détenu.

On sait notamment que lorsque la Chambre d’instruction, censée statuer dans un délai de 20 jours à compter de la réception de la demande de mise en liberté, dépasse ledit délai, ne serait-ce que d’un jour, le prévenu, s’il n’est pas détenu pour autre cause, est remis d’office en liberté.

C’est la méconnaissance de cette règle impérative du Code de procédure pénale qui a récemment permis au célèbre narcotrafiquant « Aziz la poisse » d’être remis en liberté. Sa demande de mise en liberté, adressée par son avocat à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (et non au greffe de la Chambre de l’instruction) n’a pas été traitée dans le délai de 20 jours de sorte que sa détention était devenue arbitraire.

De même, s’agissant des débats contradictoires relatifs à la prolongation de la détention, le Code de procédure pénale prévoit que les avocats doivent être convoqués au plus tard, 5 jours ouvrables avant l’audience.

Or, il est de jurisprudence constante qu’en matière de prolongation de détention provisoire, l’absence de convocation de l’avocat au débat contradictoire, ayant empêché celui-ci d’assister le prévenu, porte nécessairement atteinte aux intérêts de celui-ci, de sorte qu’il en résulte une nullité du titre de détention pour vice de forme et entraîne par conséquent la remise en liberté du prévenu (s’il n’est pas détenu pour autre cause).

Le mot de la fin.

Vous l’aurez compris, le contentieux des nullités est assez complexe et nécessite à la fois des connaissances théoriques et pratiques. Il est donc important d’être accompagné dans le cadre de vos démarches, que vous soyez convoqué devant le tribunal correctionnel et mis en examen, afin que vos droits soient bien respectés et que l’ensemble des vices de procédure existant soient soulevé.

David Curiel, Avocat au Barreau de Paris
Anna-May Jacob Couderc, Avocate au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Article 385 du CPP.

[2Article 173-1 du CPP.

[3Crim, 10 décembre 2003 n°03-83.344.

[4Conformément à l’article L234-4 al. 3 et R234-2 du Code de la route, la loi prévoit que durant les 5 ans suivant la mise en service d’un éthylomètre neuf, l’appareil de contrôle doit au moins être vérifié la première année et au moins tous les deux.

[5Crim. 18 décembre 2013, n°13-85.375.

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Discussion en cours :

  • Cher Monsieur,

    J’ai cru comprendre que, dans l’hypothèse où un prévenu est accusé de deux chefs d’inculpation en correctionnelle, si l’avocat demande la nullité des 2 chefs d’inculpations le Ministère Public pourrait requalifier les faits et convoquer à nouveau le prévenu. En l’espèce, il vaudrait donc mieux demander une seule nullité et défendre la seconde lors du débat contradictoire ?

    Merci pour vos lumières.

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