1) Faits et procédure.
La société Technip France, devenue la société Technip énergies France (la société), est spécialisée dans l’ingénierie et la construction de projets pour l’industrie de l’énergie, notamment le pétrole, le gaz et la chimie.
Invoquant la survenue de plusieurs événements tragiques depuis 2015, dont de nombreux syndromes d’épuisement professionnel et plusieurs suicides, le comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail et un comité d’établissement de la société Technip France, ont, le 6 juin 2018, saisi un tribunal de grande instance pour faire juger que la société n’avait pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et lui ordonner de mettre en place des mesures d’urgence pour lutter contre les risques psychosociaux.
La Cour d’appel de Versailles avait débouté le comité, la Fédération CFDT et l’UGIC-CGT de leurs demandes.
Ils se sont pourvus en cassation.
2) Moyens.
Le comité et la Fédération CFDT faisaient grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles de les débouter de leurs demandes tendant à faire juger que la société a manqué à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et a entravé le fonctionnement du comité d’établissement, à ordonner à la société d’organiser les entretiens professionnels prévus par l’article L6315-1 du Code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d’évaluation et de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts.
L’UGIC-CGT faisait notamment grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles de la débouter de sa demande tendant à ordonner à l’employeur d’organiser les entretiens professionnels prévus à l’article L6315-1 du Code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d’évaluation, alors que
« selon l’article L6315-1 du Code du travail, le salarié bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, qui ne porte pas sur l’évaluation de son travail ; qu’il en résulte que le salarié doit bénéficier, d’un entretien distinct et à une date différente, consacré à l’évolution de son travail ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L6315-1 du Code du travail ».
3) Motivation.
Au visa de l’article L6315-1 I du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, la Cour de cassation affirme que
« le salarié bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Cet entretien, qui ne porte pas sur l’évaluation du salarié, donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié ».
Il en résulte que ce texte ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées.
Les dispositions légales n’imposent pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes.
Elle rejette le pourvoi sur ce point.
4) Analyse.
4.1) Entretien professionnel versus entretien d’évaluation.
A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié.
Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l’employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.
Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de proche aidant, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l’article L1222-12, d’une période d’activité à temps partiel au sens de l’article L1225-47 du présent code, d’un arrêt longue maladie prévu à l’article L324-1 du Code de la sécurité sociale ou à l’issue d’un mandat syndical. Cet entretien peut avoir lieu, à l’initiative du salarié, à une date antérieure à la reprise de poste [1].
L’entretien professionnel vise à faire le point sur les perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualification, d’emploi et de besoins en formation.
Ses objectifs sont donc différents de ceux de l’entretien d’évaluation.
La Cour de cassation a ainsi plusieurs fois jugé que le fait pour un salarié de ne pas avoir bénéficié à plusieurs reprises des entretiens professionnels conventionnellement prévus, constituait un élément de fait laissant supposer à son égard une discrimination directe ou indirecte à raison de son activité syndicale [2].
L’entretien annuel d’évaluation vise quant à lui à évaluer le travail accompli par le salarié sur une période donnée, à identifier les forces et les axes d’amélioration du salarié, et à mettre en place des actions visant à renforcer ses compétences et sa contribution à l’entreprise.
L’employeur bénéficie d’une certaine liberté dans les méthodes d’évaluation mises en œuvre.
La Cour de cassation exige toutefois que l’évaluation des salariés se fonde sur des critères précis et objectifs [3].
Dans un arrêt du 2 février 2022, la Cour de cassation a considéré que le compte rendu d’un entretien d’évaluation annuel par lequel l’employeur reproche des griefs au salarié et l’enjoint de modifier son comportement est un avertissement qui épuise le pouvoir disciplinaire de l’employeur [4].
4.2) L’entretien professionnel doit être distinct de l’entretien d’évaluation et les questions d’évaluation ne peuvent pas être invoquées dans l’entretien professionnel.
L’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle précise que l’entretien professionnel doit être « distinct de l’entretien d’évaluation »
Dès lors, rien n’interdit que l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation se déroulent à la même date.
En revanche, la Cour de cassation impose que les questions d’évaluation ne soient pas invoquées dans l’entretien professionnel.
Cette solution doit être approuvée.
Source.
- C. cass. 5 juillet 2023 n°21-24.122
- Article L6315-1 du Code du travail
- Article L6315-1 - Code du travail - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
- Le compte rendu d’un entretien annuel d’évaluation peut-il s’analyser en une sanction disciplinaire ?