L’entretien d’évaluation des salariés : mise en place, portée, contestation.

Par Franck Le Louedec, Consultant.

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Explorer : # entretien d'évaluation # entretien professionnel # droits des salariés # contestation

Si certains salariés l’envisagent comme une chance de défendre leurs prétentions d’évolutions professionnelle et salariale, d’autres craignent d’être mis « sur la sellette » exposés à la critique, aux reproches, avec parfois le sentiment que cette formalité n’est qu’une épreuve à surmonter et dont ils espèrent juste sortir indemnes.

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Il ne faut pas confondre « l’entretien d’évaluation » avec « l’entretien professionnel ».

L’entretien professionnel est légalement imposé tous les 2 ans avec un « état des lieux récapitulatif » tous les 6 ans ; il est également proposé au retour de certaines absences (congés maternité, parental, sabbatique, longue maladie, etc.) « Cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié » mais sur les perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi [1]. Il n’est pas question d’objectifs ou de prime de performance.

L’entretien d’évaluation n’est pas obligatoire sauf si une convention, un accord collectif ou l’employeur le décide après avis du CSE. Il a pour objet d’apprécier les qualités professionnelles du salarié dont peuvent dépendre des augmentations individuelles, des primes, les objectifs. Les sujets traités doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. Les objectifs, les souhaits de formation et d’évolution, la capacité à travailler en équipe, l’adaptabilité, etc., peuvent être abordés à l’exclusion de la vie privée dont chacun a droit au respect [2].

Un passage obligé. L’employeur a le droit d’évaluer les salariés [3]. Dès lors que l’entretien d’évaluation a été régulièrement mis en place, le salarié ne peut le refuser [4]. Il peut avoir lieu avec l’employeur ou son représentant, un supérieur hiérarchique, l’assistance d’un représentant du personnel n’est pas prévue [5].

Le Code du travail se limite à prévoir que le salarié doit être informé des méthodes et techniques d’évaluation dont les résultats sont confidentiels et que les méthodes et techniques d’évaluation doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie [6]. Aucune information concernant personnellement un salarié ne pouvant être collectée par un dispositif n’ayant n’a pas été porté préalablement à sa connaissance [7].

L’absence d’information du salarié sur les méthodes d’évaluation peut donner lieu au versement de dommages et intérêts pour le préjudice subi [8].

Mise en place des entretiens d’évaluation.

La mise en place d’un dispositif d’entretiens d’évaluation est soumise à l’information préalable des salariés [9] et à l’avis consultatif du CSE [10] qui peut bénéficier à cette occasion de l’assistance d’un expert habilité [11].

En outre, le système étant informatisée, la Cnil impose une information renforcée notamment quant à l’identité du responsable du traitement et le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique à la collecte des données effectuée dans le cadre des entretiens d’évaluation. Le salarié bénéficiant d’un droit d’accès aux données le concernant. Attention aux annotations et autres commentaires maladroits visant la personne du salarié [12].

Rôle du CSE.

La consultation du CSE est obligatoire, notamment sur tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail [13]. A cet égard, il est communément admis que la jurisprudence rendue antérieurement à propos du CE et du CHSCT soit transposable au CSE.

Il a été jugé que le comité doit être consulté sur un projet d’évaluations annuelles des salariés dès lors qu’il est constaté que ces évaluations devaient permettre une meilleure cohérence entre les décisions salariales et l’accomplissement des objectifs, qu’elles pouvaient avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération, et que les modalités et les enjeux de l’entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail [14].

Le défaut d’information et de consultation du CSE relève du délit d’entrave au fonctionnement régulier de l’instance [15] et constitue un trouble manifestement illicite justifiant la suspension des entretiens annuel d’évaluation [16] et la destruction des évaluations déjà réalisées peut être demandée par les salariés [17].

Les critères envisagés doivent pouvoir être analysés par le CSE. L’appréciation des aptitudes professionnelles doit se faire sur la base de « critères objectifs et présentant un lien direct et nécessaire avec l’emploi occupé » [18].

Des critères flous, « qui ne permettent pas de savoir si ce sont des compétences et des objectifs concrets qui sont jugés ou des comportements qui sont évalués, avec le risque de subjectivité », a été jugé illicite [19].

L’assistance d’un expert pour le CSE.

Le Code du travail donne au CSE le droit de recourir à un expert habilité, notamment en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail [20]. La désignation de l’expert habilité peut intervenir dès la première réunion du comité où le projet en question est mis à l’ordre du jour [21]. Ce faisant, à défaut d’accord, le CSE se donne un délai de deux mois (au lieu d’un) pour examiner le projet afin de rendre un avis éclairé par l’expertise [22].

Contenu de l’évaluation.

L’entretien d’évaluation ne peut avoir comme finalité que d’apprécier les aptitudes professionnelles et donc présenter un lien direct et nécessaire avec cet objectif [23]. Un questionnement sur la vie privée est exclu (art. 9 c. civ.). Des critères d’évaluation subjectifs ou discriminatoires sont prohibés [24].

Un éventuel classement des salariés n’est licite que s’il repose sur des éléments objectifs préétablis, connus, contrôlables, et étrangers à toute discrimination, et sans conséquence disciplinaire [25].

La portée de l’entretien d’évaluation.

Le compte rendu de l’entretien est important car il peut parfois revêtir la forme d’une sanction disciplinaire ou faire état d’une insuffisance professionnelle.

Chaque salarié a le droit d’obtenir copie des résultats de son évaluation puisqu’il s’agit de données personnelles [26].

Désaccord et contestation : Le refus du salarié de signer un compte rendu d’entretien annuel d’évaluation et son désaccord avec les observations qui lui ont été faites ne constituent pas une faute et ne peuvent donner lieu à une sanction disciplinaire [27] ou à un licenciement [28].

Evaluation et sanction : Il a été jugé qu’un compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation comportant des griefs précis sanctionnait un comportement considéré comme fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier un licenciement ultérieur en vertu du principe « non bis in idem » selon lequel on ne peut sanctionner deux fois une même faute [29].

Or, une sanction disciplinaire pouvant être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction durant trois ans [30], le salarié peut avoir intérêt à contester par écrit un compte rendu d’entretien qui lui paraît défavorable et constituer une sanction injustifiée. Il en restera au moins la preuve de son désaccord et rien ne l’empêchera de saisir le conseil de Prud’hommes pour demander l’annulation d’une telle sanction [31].

Evaluation et insuffisance professionnelle : l’évaluation peut constituer un élément à l’appui d’un licenciement pour insuffisance professionnelle mais un entretien d’évaluation favorable peut contredire l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié : « le dernier entretien d’évaluation établi moins de deux mois seulement avant le licenciement avait conclu à "un vrai travail et des compétences certaines entachées par certaines libertés rien d’irrémédiable" » [32].

La contestation d’un entretien d’évaluation faisant état d’insuffisance, de non atteinte des objectifs, etc., peut aussi être contesté notamment par le manque de moyen mis à la disposition du salarié ou encore si les objectifs fixés sont irréalistes [33].

L’évaluation et égalité salariale : Un salarié peut aussi se référer à une évaluation favorable pour revendiquer l’augmentation octroyée à des collègues au regard du principe « à travail égal, salaire égal » malgré les critiques de l’employeur en contradiction avec le compte rendu d’évaluation [34].

Evaluation et discrimination : Des observations négatives visant les activités de représentant du personnel dans un compte rendu d’entretien d’évaluation, au vu desquels l’employeur arrête ses choix de promotions, peuvent laisser supposer l’existence d’une discrimination [35]. L’activité syndicale d’un salarié ne peut être pris en considération dans son évaluation professionnelle [36].

Absence d’évaluation : Un salarié privé pendant deux ans de l’entretien individuel prévu par les dispositions conventionnelles, pouvait prétendre à la réparation du préjudice résultant de la perte de chance d’obtenir une augmentation [37].

Franck Le Louedec
Ancien conseiller prud’homal, consultant

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Notes de l'article:

[1Art. L6315-1 et L6315-2 c. trav.

[2Art. 9 c. civ.

[3Cass. soc. 10 juillet 2002 n° 00-42368.

[4Cass. soc. 10 juill. 2002 n° 00-42368.

[5Cass. crim. 11 février 2003 n° 01-88014.

[6Art. L1222-3 c. trav.

[7Art. L1222-4 c. trav.

[8Cass. soc. 11 avril 2008 n° 06-45805.

[9Art. L1222-3 c. trav.

[10Art. L2312-8 c. trav.

[11Art. L2315-94 c. trav.

[13Art. L2312-8 c. trav.

[14Cass. soc. 28 novembre 2007, n° 06-21964.

[15Art. L2317-1 c. trav.

[16Cass. soc. 28 novembre 2007 n° 06-21964, cass. soc. 10 avril 2008, nº 06-45741.

[17Cass. soc. 14 décembre 2015 nº 14-17152.

[18Délib. Cnil nº 2005-002 du 13 janvier 2005.

[19TGI Nanterre 5 septembre 2008, nº 08-05737.

[20Art. L.2315-94, 2° c. trav.

[21Cass. soc. 22 janvier 2008, n° 06-18979, cass. soc. 13 novembre 2007, n° 06-13205.

[22Art. R.2312-6 c. trav.

[23Art. L.1222-2 c. trav., cass. soc. 14 décembre 2015 n° 14-17152.

[24Art. L.1132-1 et L.2141-5 c. trav. ; cass. soc. 17 octobre 2006, n° 05-40393.

[25CA Grenoble 13 novembre 2002, ch. soc., n° 02-02794.

[27CA Chambéry 19 janvier 2010 n° 09-1180.

[28CA Versailles 9 octobre 2008 n° 07-3427.

[29Cass. soc. 2 février 2022 n°20-13833.

[30Art L.1332-5 c. trav.

[31Art. L.1333-2 c. trav.

[32Cass soc 22 mars 2011, n° 09–68693.

[33Cass. soc. 18 janvier 2012 n° 10-19569.

[34Cass. soc. 20 février 2008 n° 06-40085.

[35Cass. soc. 1er juillet 2009, n° 08-40988 ; cass. soc. 23 octobre 2019, n° 18-14976.

[36Cass. soc. 1 février 2017 n°15-20799.

[37Cass. soc. 2 déc. 2009 n° 08-40360.

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