Employeurs : sachez distinguer votre pouvoir de direction de votre pouvoir disciplinaire.

Par Karine Vartanian, Professeure de Droit.

10005 lectures 1re Parution: 2 commentaires 4.86  /5

Explorer : # pouvoir de direction # pouvoir disciplinaire # recadrage # sanction

Lorsque l’employeur constate le comportement inadapté ou fautif du salarié et qu’il est parvenu à réunir les éléments de preuve permettant d’étayer ses propos, il lui reste à décider, selon la gravité des faits et selon sa propre politique managériale, s’il souhaite faire usage de son pouvoir disciplinaire qui impose le respect d’un formalisme ou agir dans le cadre de son pouvoir de direction pour lequel aucune règle ne lui est imposée.

-

C’est en effet à l’employeur qu’il revient de déterminer la nature des mesures qu’il envisage de prendre : tout est donc une question de posture.

Mais celle-ci n’est pas si aisée à choisir et à maintenir : hors les cas tranchés, les griefs à l’encontre des salariés - manque de résultats ou attitude inappropriée - naviguent en eaux troubles et justifient soit une mesure disciplinaire, soit une mesure managériale.

1/ Le pouvoir de direction de l’employeur comporte le droit de recadrer le salarié.

a) L’entretien de recadrage : mesure managériale…

Le pouvoir de direction de l’employeur lui octroie le droit d’évaluer la qualité du travail du salarié placé sous son autorité et de constater, le cas échéant, ses manquements ou ses insuffisances.

Partant, l’employeur est en droit de mener un entretien de recadrage lequel s’analyse comme un échange formalisé ou non, consécutif à un comportement inadéquat ou à des objectifs non réalisés.

Le but d’un tel processus est de recentrer le collaborateur sur ses missions, de parvenir à trouver des solutions pérennes afin de faire évoluer les relations contractuelles vers de meilleures performances tout en rétablissant ou renforçant le lien de confiance.

Cet entretien n’a d’efficacité que s’il obtient l’adhésion du salarié, tant sur les faits et comportements visés que sur la recherche d’une solution satisfaisante et constructive pour les deux parties.

L’entretien de recadrage n’est donc pas considéré comme une sanction disciplinaire et ne doit en respecter ni le formalisme, ni les conséquences.

Même si les échanges prennent la forme d’observations verbales qui iraient éventuellement jusqu’à des reproches, des rappels à l’ordre ou des injonctions, il ne s’agirait pas de sanctions [1].

Ce qu’il faut retenir :

  • L’entretien de recadrage permet d’élaborer un accord afin de remédier au dysfonctionnement constaté ;
  • L’entretien de recadrage nécessite fermeté, bienveillance et courtoisie de la part de l’employeur ;
  • Le recueil des explications du salarié doit permettre à l’employeur d’écouter et de comprendre le salarié, d’identifier ses difficultés et de lui proposer des solutions sans les lui imposer ;
  • L’entretien de recadrage est une posture managériale qui prospère grâce à la motivation ou la remotivation qu’il insuffle au salarié ;
  • L’entretien de recadrage doit aboutir à des engagements réciproques ;
  • L’entretien de recadrage doit représenter une première étape nécessairement suivie d’entretiens ultérieurs et/ou de formations permettant de mesurer les efforts fournis et les résultats obtenus.

b)…. Parfois suivi d’un compte rendu écrit qui n’est pas une sanction.

Les écrits rédigés à l’issue de ces entretiens de recadrage voire sans entretien préalable, ne sont pas considérés comme des sanctions sous forme d’avertissements ou de blâmes, même s’il s’agit pour l’employeur de demander des explications, d’énoncer des directives ou de rappeler des règles.

A cet égard, la Cour de cassation confirme cette position à intervalles réguliers.
Ainsi, un document rédigé par l’employeur constitue un simple compte rendu d’un entretien au cours duquel ont été énumérés divers griefs et insuffisances imputables à la salariée, sans traduire une volonté de les sanctionner [2].

De même, ne peuvent être assimilés à une sanction disciplinaire les courriers par lesquels l’employeur se borne à demander à la salariée de se ressaisir tout en lui faisant des propositions [3].

Enfin, ne constitue pas davantage un avertissement disciplinaire, le compte-rendu d’un entretien à l’issue duquel un supérieur hiérarchique indique à la salariée qu’il va demander une sanction à son encontre auprès de la direction et du responsable des ressources humaines, seuls compétents pour en déterminer la nature et en prendre la responsabilité [4].

Ce qu’il faut retenir :

  • Il est essentiel pour l’employeur de mesurer avec soin les propos contenus dans un compte rendu d’entretien de recadrage s’il ne veut pas lui donner un caractère disciplinaire. A défaut, il s’expose à en subir les conséquences judiciaires ;
  • Si l’écrit était requalifié en un avertissement, le pouvoir disciplinaire de l’employeur serait alors épuisé selon la règle non bis in idem qui interdit de sanctionner une deuxième fois un même comportement fautif et qui interdit également à l’employeur de sanctionner d’autres faits fautifs antérieurs ou concomitants dont il aurait eu connaissance [5].

2/ Le pouvoir disciplinaire de l’employeur comporte le droit de sanctionner le salarié.

a) L’entretien disciplinaire : formalité préalable à sanction….

Rappelons que l’article L1331-1 du Code du travail dispose que :

« Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

A cet effet, l’employeur d’une entreprise se doit de déterminer en amont un ensemble de sanctions disciplinaires en corrélation directe avec des comportements fautifs dont l’existence doit être avérée et dans le respect d’une procédure disciplinaire formalisée.

Cette procédure se concrétise par un entretien disciplinaire qui est le préalable indispensable à la majorité des sanctions : mise à pied disciplinaire, mutation, rétrogradation et licenciement disciplinaire.

La lettre de convocation à l’entretien préalable à sanction doit mentionner l’objet de la convocation généralement ainsi libellé : « Entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement ».

Cette formulation est sans conteste intéressante pour l’employeur à double titre : d’une part, elle est suffisamment large pour que l’employeur se ménage une gamme étendue de sanctions envisageables et d’autre part, le terme « licenciement » donne à cette convocation l’aspect solennel recherché.

Elle doit également indiquer le lieu, la date et l’heure de l’entretien et doit impérativement préciser la possibilité accordée au salarié de se faire assister par un représentant du personnel ou un salarié appartenant à l’entreprise et si l’entreprise n’a pas de représentant du personnel, l’assistance revient à un conseiller du salarié externe à l’entreprise inscrit sur une liste dressée par arrêté préfectoral.

La convocation doit être envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre décharge dans un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur ou à défaut le supérieur hiérarchique du salarié, a eu connaissance du fait fautif.

Ce qu’il faut retenir :

  • L’entretien disciplinaire est mis en place dans le but d’infliger une sanction si les éléments factuels sont concluants ;
  • L’entretien disciplinaire permet certes de recueillir les explications du salarié, mais son issue sera imposée unilatéralement par l’employeur ;
  • L’entretien disciplinaire met en place un rapport de force dont l’objectif affiché est de rappeler fermement le lien de subordination qui unit l’employeur à son salarié ;
  • L’entretien disciplinaire est une posture managériale qui se réalise dans le cadre d’un formalisme destiné à solenniser la procédure.

b) …. Mais pas systématique.

L’avertissement, le rappel à l’ordre ou le blâme constituent indéniablement des sanctions.

Pour autant, la loi n’impose pas d’entretien disciplinaire préalable eu égard à la nature de ces sanctions dites « mineures ».

Il s’agit dans la plupart des hypothèses d’une lettre expressément rédigée à cet effet et remise en main propre contre décharge ou envoyée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, contenant des reproches et lui enjoignant de se conformer dans les plus brefs délais aux directives, au règlement intérieur ou aux termes du contrat de travail.

Parallèlement, la jurisprudence a jugé à plusieurs reprises qu’un écrit comportant une mise en garde, des reproches, des rappels au respect des règles en vigueur ou des demandes d’explications écrites, était constitutif d’une sanction disciplinaire sous forme d’avertissement, sans qu’il ne soit besoin de respecter un formalisme particulier et surtout, sans nécessairement comporter expressément le terme « avertissement » dans le corps du courrier [6].

Par extension, la Cour de cassation a considéré qu’un e-mail pouvait être juridiquement qualifié d’avertissement si son contenu avait pour objectif de sanctionner, à travers des critiques, une mise au point ou un rappel des règles, le comportement fautif d’un salarié [7].

En revanche, un entretien préalable redevient obligatoire lorsque la convention collective, le règlement intérieur ou l’usage professionnel le prévoit pour les sanctions de moindre importance.

Dans ce cas, l’employeur doit respecter bien évidemment les délais impartis, mais également toutes les étapes de la procédure disciplinaire [8].

Ce qu’il faut retenir :

  • Un écrit, quels que soient sa forme et son mode de transmission, peut constituer un avertissement - donc une sanction - dès lors qu’il contient des reproches, mises ou point ou rappels à l’ordre ;
  • Un écrit peut constituer un avertissement même s’il n’est pas présenté formellement sous cette terminologie ;
  • Un écrit peut constituer un avertissement même s’il n’émane pas de l’employeur à proprement parlé ou de la direction des ressources humaines, dès lors qu’il a été rédigé par un supérieur hiérarchique du salarié visé.

3/ Le pouvoir de direction versus le pouvoir disciplinaire : choisir opportunément pour ne pas en subir les conséquences préjudiciables.

a) Quelles conséquences en cas d’abus dans l’exercice de son pouvoir de direction par l’employeur ?

La liberté du consentement du salarié pourrait être remise en cause dans le cadre d’une démission.

La démission est l’acte par lequel le salarié décide de rompre de manière unilatérale son contrat de travail à durée indéterminée.

Indépendamment du formalisme qui dépend largement de la convention collective, la démission ne se présume pas et n’est valide que si elle répond à une manifestation claire, non équivoque et libre de rompre le contrat de travail [9].

Ainsi, ne sont pas considérées comme des démissions éclairées celles intervenues dans les contextes suivants :

  • Un salarié ayant quitté l’entreprise sous l’empire de l’émotion et tenu des propos précipités dans un mouvement de colère tout en prolongeant son absence au travail par un arrêt de travail pour maladie, n’a pas manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner [10] ;
  • La lettre de démission remise à l’employeur au domicile du salarié lequel l’avait rédigée alors qu’il était sujet à un état dépressif de nature à altérer son jugement n’a pas manifesté une volonté réelle et non équivoque de démissionner [11] ;
  • Une démission donnée par un salarié lors d’un entretien avec son employeur et son supérieur sous la menace d’un licenciement pour faute lourde et du dépôt d’une plainte pénale et qui s’était par la suite rétracté, ce dont il résultait que l’intéressé n’avait pas exprimé une volonté claire et non équivoque de démissionner [12] ;
  • Le salarié ayant donné sa démission suivant un modèle remis par son employeur lors d’un entretien avec celui-ci en présence de collaborateurs et de l’avocat de l’entreprise au cours duquel il lui a été reproché des malversations et qui s’était rétracté dès le lendemain, n’avait pas manifesté une volonté libre et non équivoque de démissionner [13] ;
  • S’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines à la démission, qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque en raison de faits ou manquements imputables à l’employeur, elle doit s’analyser en une prise d’acte de la rupture du contrat qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse [14] ;
    - L’acte de démission rédigé par une salariée en même temps qu’un écrit de reconnaissance des faits qui lui étaient reprochés, en présence du directeur, dans un contexte de grande fatigue, après que le directeur ait indiqué qu’il allait appeler les gendarmes et porter plainte, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse [15].

Ce qu’il faut retenir :

  • L’humiliation, l’intimidation, les menaces, la pression, le chantage au licenciement et à la plainte pénale sont autant de situations qui conduisent fréquemment le juge à requalifier une démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • L’employeur doit donc être vigilant et appliquer la procédure en adéquation avec le contexte. Un salarié qui commet des fautes suffisamment importantes pour justifier une rupture de son contrat devra donc être soumis à une procédure de licenciement : aux bons maux les bons remèdes.

La liberté du consentement du salarié pourrait être remise en cause dans le cadre d’une rupture conventionnelle.

En application de l’article L1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle est une procédure qui permet à l’employeur et au salarié de convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée qui les lie.
La rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission et ne peut en conséquence être imposée par l’une ou l’autre des parties.

Cette rupture résulte d’une convention signée par l’employeur et le salarié et doit respecter les dispositions impératives fixées par le Code du travail, destinées à garantir la liberté du consentement des deux parties.

Pour autant, la Cour de cassation rappelle avec constance que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue. En revanche, elle exerce un contrôle rigoureux sur l’existence d’un consentement libre et éclairé du salarié en s’en remettant à l’appréciation souveraine des juges du fond pour retenir ou non l’existence de pression ou contrainte exercée sur les salariés afin de les inciter à choisir la voie de la rupture de conventionnelle [16].

La Cour de cassation a eu l’occasion d’élargir sa position à d’autres manquements de la part de l’employeur qu’elle n’a sanctionnés que s’ils viciaient le consentement du salarié :

  • Ainsi, le fait pour un employeur de ne pas informer le salarié de son droit à assistance pendant le ou les entretiens préalables à la signature de la convention de rupture, n’entraîne pas en soi la nullité de la convention de rupture ; il appartient au salarié d’apporter la preuve que son consentement n’était pas libre et éclairé précisément en raison de ce défaut d’information [17] ;
  • De même, des faits de harcèlement moral n’affectent pas en eux-mêmes la validité de la convention de rupture dès lors que le salarié n’invoque aucun vice du consentement [18] ;
  • En revanche, le vice du consentement est caractérisé si à la date de la signature de la convention de rupture, le salarié apporte la preuve qu’il était dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en sont découlés [19] ;
  • Pareillement, l’employeur qui dissimule au salarié l’existence, à la date de conclusion de la convention de rupture, d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation prévoyant la suppression de son poste, caractérise une manœuvre dolosive déterminante du consentement du salarié [20] ;
  • En conséquence, c’est à la partie qui invoque l’existence d’un vice du consentement de nature à justifier l’annulation de la rupture conventionnelle d’en rapporter la preuve et en particulier de démontrer en quoi ce vice a déterminé le consentement à la rupture conventionnelle [21].

Ce qu’il faut retenir :

  • Lorsqu’il s’agit de juger de la validité d’une rupture conventionnelle, la Cour de cassation exige la preuve d’un vice du consentement, lequel ne peut se présumer en raison d’un contexte conflictuel ou litigieux ;
  • Cette position peut apparaitre tranchée, éloignée de la réalité du terrain et en contradiction avec sa propre jurisprudence en cas de démission ;
    A y réfléchir, ce contrôle strictement cantonné à la validité du consentement prend son sens si l’on considère les conséquences de l’une et l’autre des ruptures du CDI :
  • Dans le cas de la démission, aucune indemnité légale ou conventionnelle n’est versée au salarié et son droit à l’allocation chômage n’est ouvert que dans des cas limitativement prévus ; ses conditions de validité méritent donc d’être examinées plus globalement en les contextualisant ;
  • La rupture conventionnelle, quant à elle, permet de cumuler les indemnités de rupture du contrat de travail et le droit à l’allocation chômage ; elle ne doit donc être invalidée que si le salarié apporte la preuve qu’il n’y a pas consenti.

b) Quelles conséquences en cas d’approximation dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire par l’employeur ?

Les risques d’un entretien disciplinaire non suivi d’une sanction.

Un entretien disciplinaire qui se solde par une absence de sanction est parfaitement licite, pour autant il n’est pas sans conséquence.

En effet, si d’aucuns saluent l’honnêteté de l’employeur qui reconnait ne pas avoir suffisamment d’éléments pour sanctionner le salarié, d’autres et notamment les salariés concernés, peuvent interpréter cette absence de sanction comme une manœuvre d’intimidation voire une pression destinée à recadrer le salarié tout en échappant à tout formalisme et par voie de conséquence à tout contrôle judiciaire.

Or, la décision du salarié de rompre son contrat de travail ou d’accepter une rupture conventionnelle suite à ce ou ces entretiens disciplinaires non suivis d’effets pourrait être entachée d’un vice du consentement conduisant à sa nullité ou à sa requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce qu’il faut retenir :

  • Il est juridiquement possible de ne pas prendre de sanction à l’issue d’un entretien disciplinaire ;
  • Il ne faut cependant pas que l’employeur se serve de ces entretiens comme un moyen de pression sur le salarié destiné à le faire démissionner ou à accepter une rupture conventionnelle.

Les risques d’un entretien disciplinaire suivi d’une sanction qui peut être refusée par le salarié

A l’issue d’un entretien disciplinaire, l’employeur dispose d’une échelle de sanctions en fonction de la faute commise par le salarié [22].

Mais l’employeur doit garder à l’esprit que la mutation et la rétrogradation disciplinaires impliquent une modification d’un élément essentiel du contrat de travail, à ce titre, elles peuvent être refusées et l’employeur a l’obligation d’informer le salarié de son droit d’accepter ou de refuser la modification de son contrat de travail engendrée par la sanction.

Il doit également indiquer au salarié qu’il dispose d’un délai de réflexion « raisonnable » pour prendre sa décision d’accepter ou non la modification du contrat [23].

L’envoi de cette proposition de modification du contrat de travail fait courir un délai de 2 mois durant lequel l’employeur doit recueillir la décision du salarié [24].

  • En cas d’acceptation expresse de sa sanction par le salarié, un avenant au contrat devra être rédigé et signé, indiquant de manière précise la nouvelle classification et les fonctions qui s’y attachent ainsi que la rémunération modifiée en cas de rétrogradation, ou le nouveau lieu d’affectation du salarié en cas de mutation.
    Précisons cependant que si la rétrogradation ne s’accompagne pas d’une affectation du salarié à une fonction ou à un poste différent et de niveau inférieur à celui qu’il occupait ou d’une diminution effective de ses responsabilités, la baisse de rémunération consécutive s’analyserait en une sanction pécuniaire illicite.
    En outre, et il est important de le souligner, l’acceptation par le salarié d’une mutation ou d’une rétrogradation n’empêche pas la saisine ultérieure de la juridiction prud’homale aux fins de contester ladite sanction.
    Il appartiendra alors au juge de se prononcer sur la régularité, la légitimité et la proportionnalité de la sanction prise par l’employeur [25].
  • En cas de refus du salarié, l’employeur pourra envisager une autre sanction disciplinaire venant se substituer à la sanction refusée [26].
    Si la sanction de substitution envisagée est un licenciement, l’employeur devra convoquer le salarié à un entretien préalable dans un nouveau délai de 2 mois et à son issue, disposera d’un délai d’1 mois pour notifier le licenciement [27].
    Le licenciement prononcé, y compris pour faute grave, ne pourra être fondé sur le refus du salarié de la sanction initiale, mais sur la faute disciplinaire ayant donné lieu à la sanction refusée qui doit être précisément rappelée dans le cadre de cette sanction de substitution [28].
    Si la sanction de substitution envisagée n’est pas un licenciement, l’employeur n’aura pas à convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable [29].
    Il en irait autrement si, au regard des dispositions d’un règlement intérieur, le licenciement d’un salarié était subordonné à l’existence de deux sanctions antérieures pouvant être constituées notamment par des avertissements [30].
  • En cas de silence du salarié à la proposition de sanction dans le délai qui lui est imparti, l’employeur ne doit pas interpréter cette absence de réponse comme une acceptation [31].
    Il doit réagir avec la plus grande célérité de manière à respecter le délai de prescription.
    Il lui est donc conseillé de considérer ce silence comme un refus implicite et de procéder à une nouvelle convocation pour un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement si les faits fautifs commis par l’intéressé le justifient.
    Si l’employeur imposait une mutation ou une rétrogradation au salarié, malgré l’absence d’accord du salarié, ce dernier pourrait prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur [32], dès lors que l’employeur a effectivement procédé à la modification du contrat [33] ; il pourrait également demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur [34] ; il pourrait, en outre, être fondé à se prévaloir du maintien de son statut antérieur à la sanction de rétrogradation incriminée [35].
    Enfin et surtout, aucun fait fautif ne pouvant donner lieu à une double sanction, l’employeur qui appliquerait immédiatement une mesure de rétrogradation épuiserait son pouvoir disciplinaire et ne pourrait prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait [36].

Ce qu’il faut retenir :

  • La sanction de substitution choisie par l’employeur peut être moins sévère ou plus sévère que la sanction initiale dès lors qu’elle est proportionnée aux faits reprochés et qu’elle respecte ce que le règlement intérieur prévoit ;
  • Cependant, pour une question de crédibilité, il est vivement conseillé à l’employeur d’envisager la mutation ou la rétrogradation comme une mesure de faveur à l’égard du salarié lorsqu’il juge que le salarié conserve toute sa place dans l’entreprise, même s’il a commis une faute qui autoriserait l’employeur à le licencier. Car l’employeur verrait son autorité fragilisée s’il était contraint, en cas de refus du salarié de la sanction de mutation ou de rétrogradation, de devoir se rabattre in fine sur un simple avertissement ;
  • S’agissant de la légitimité de la sanction infligée par l’employeur, il serait risqué de sanctionner une première fois par une mutation ou une rétrogradation si la sanction de substitution ne peut être qu’inférieure à la sanction initiale compte tenu du comportement fautif du salarié ; il y aurait là un terrain plus favorable à faire reconnaître le caractère disproportionné de la mesure de mutation ou de rétrogradation si elle devait être contestée devant la juridiction prud’homale.

Nous l’avons compris, le pouvoir disciplinaire et le pouvoir de direction de l’employeur diffèrent tant sur le formalisme qui les encadrent que dans la teneur et l’objectif visé.

Pourtant, force est de constater que dans nombre d’entreprises, de manière délibérée ou non, la tendance est à superposer les deux pouvoirs pour échapper au formalisme de l’un tout en conservant la liberté rédactionnelle et organisationnelle de l’autre.

Gageons cependant que l’employeur qui abuserait de l’un de ses pouvoirs ou le détournerait de sa fonction originelle ne serait pas à l’abri d’une requalification juridique conforme à la réalité de la situation.

Karine Vartanian
Professeure de Droit
Rédactrice juridique

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

72 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cour de cassation, chambre sociale 19 septembre 2018, n°17-20.193.

[2Cour de cassation, chambre sociale 12 novembre 2015, n° 14-17.615.

[3Cour de cassation, chambre sociale 13 décembre 2011, n° 10-20.135.

[4Cour de cassation, chambre sociale 27 mai 2021, n° 19-15.507.

[5Cour de cassation, chambre sociale 16 mars 2010, n° 08-43.057.

[6Cour de cassation, chambre sociale 22 avril 1997, n° 94-42.430 Cour de cassation, chambre sociale 19 mai 2015, n° 13-26.916 Cour de cassation, chambre sociale 10 février 2021, n° 19-18.903.

[7Cour de cassation, chambre sociale 6 mars 2007, n° 05-43.698 Cour de cassation, chambre sociale 26 mai 2010 n° 08-42.893 Cour de cassation, chambre sociale 9 avril 2014, n° 13-10.939.

[8Cour de cassation, chambre sociale 16 avril 2008, n° 06-41.999 Cour de cassation, chambre sociale 9 octobre 2019, n° 18-15.029.

[9Cour de cassation, chambre sociale 21 octobre 2020, n°19-10.635.

[10Cour de cassation, chambre sociale 7 avril 1999, n° 97-40.689.

[11Cour de cassation, chambre sociale 1er février 2000, n° 98-40.244.

[12Cour de cassation, chambre sociale 25 juin 2003, n° 01-43.760.

[13Cour de cassation, chambre sociale 30 septembre 2003, n° 01-44.949.

[14Cour de cassation, chambre sociale 19 décembre 2007, n° 06-42.550.

[15Cour de cassation, chambre sociale 23 janvier 2019, n° 17-26.794.

[16Cour de cassation, chambre sociale 26 juin 2013, n° 12-15.208 Cour de cassation, chambre sociale 3 juillet 2013, n° 12-19.268 Cour de cassation, chambre sociale 30 septembre 2013, n°12-19.711 Cour de cassation, chambre sociale 15 janvier 2014, n° 12-23.942.

[17Cour de cassation, chambre sociale 29 janvier 2014, n°12-27.594.

[18Cour de cassation, chambre sociale 23 janvier 2019, n° 17-21.550.

[19Cour de cassation, chambre sociale 29 janvier 2020, n° 18-24.296

[20Cour de cassation, chambre sociale 6 janvier 2021, n° 19-18.549

[21Cour de cassation, chambre sociale 23 janvier 2019, n° 20-15.909.

[22Les entreprises qui comptent au moins 50 salariés sont tenues d’élaborer un règlement intérieur et toute sanction autre qu’un licenciement, y compris un avertissement, n’est licite qu’en présence d’un règlement intérieur. Cour de cassation, chambre sociale 23 mars 2017, n° 15-23.090.

[23Cour de cassation, chambre sociale 28 avril 2011, n° 09-70.619.

[24Cour de cassation, chambre sociale 15 janvier 2013, n°11-28.109.

[25Cour de cassation, chambre sociale 14 avril 2021, n° 19-12.180.

[26Cour de cassation, chambre sociale 16 juin 1998, n 95-45.033.

[27Cour de cassation, chambre sociale 27 mars 2007, n 05-41.921.

[28Cour de cassation, chambre sociale 1er avril 2003, n 00-41428 Cour de cassation, chambre sociale 11 février 2009, n 06-45.897 Cour de cassation, chambre sociale 28 avril 2011, n 10-13.979 Cour de cassation, chambre sociale 10 février 2021, n° 19-20.918.

[29Cour de cassation, chambre sociale 25 mars 2020, n°18-11.433.

[30Cour de cassation, chambre sociale 3 mai 201 1, n° 10-14.104.

[31Cour de cassation, chambre sociale 15 novembre 2006, n° 05-41.772.

[32Cour de cassation, chambre sociale 28 avril 2011, n°09-70.619.

[33Cour de cassation, chambre sociale 23 mai 2013, n°12-15.539.

[34Cour de cassation, chambre sociale 26 octobre 2011, n° 10-19.001.

[35Cour de cassation, chambre sociale 15 juin 2000, n°98-43.400.

[36Cour de cassation, chambre sociale 17 juin 2009, n°07-44.570.

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Bonjour Madame Vartanian,

    merci pour votre excellent article. J’ai une question concernant la sanction disciplinaire. Mon employeur santionne un salarié d’une mise à pied disciplinaire de deux jours. Salarié conducteur routier, il est sanctionné pour un dépassement du temps de service. L’employeur refuse de sanctionné les autres salariés qui commettent exactement la même "faute". Le comportement de l’employeur est-il licite ?

    Bien cordialement CREME Benjamin, représentant du personnel.

    • par Vartanian , Le 18 mars 2024 à 20:55

      Bonjour,

      Il existe une possibilité pour l’employeur d’individualiser une sanction.
      Ainsi deux salariés commettant la même faute sont susceptibles de recevoir une sanction différente compte tenu de leur ancienneté dans l’entreprise, de la répétition du comportement ou de la position hiérarchique de chacun.
      En conséquence le comportement de l’employeur n’est pas discriminatoire si et seulement si une telle différence de sanction se justifie par l’un des éléments précités.

      Karine Vartanian

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs