Droit à indemnité de l’agent commercial versus faute grave découverte après la rupture du mandat.

Par Chloé Fernström, Avocat.

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Explorer : # indemnité de fin de contrat # faute grave # relation mandant-agent

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Un agent commercial peut perdre son droit à une indemnité de fin de contrat s'il commet une faute grave. La jurisprudence française avait une interprétation souple de cela, alors que le droit européen exigeait un lien direct entre la faute et la rupture.
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Depuis un revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation au mois de novembre 2022, et largement suivi par les juges du fond, la faute grave de l’agent commercial commise avant la résiliation de son mandat, mais découverte postérieurement, ne peut être invoquée par le mandant pour échapper au paiement d’une indemnité de fin de contrat.

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Pour être privative d’indemnité, la faute grave doit désormais être non seulement connue du mandant, mais également expressément visée dans son courrier de notification de rupture.

Cette évolution répond à une certaine logique juridique, mais pourrait emporter des effets délétères dans les relations entre les agents et leurs mandants.

Aux termes de l’article L134-12 du Code de commerce, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice de fin de contrat à la cessation de son mandat.

L’article L134-13, 1° du même code précise que l’agent commercial perd le bénéfice de cette indemnité si la rupture de son mandat a été provoquée par une faute grave de sa part.

Pour que l’agent commercial soit privé d’indemnité de fin de contrat, il doit donc, en principe, exister un lien causal entre la commission de la faute grave de l’agent commercial et la rupture de son mandat.

Pendant longtemps, l’interprétation de ce lien causal a fait l’objet de divergences entre les jurisprudences européenne et française, la première ayant adopté une approche plus stricte que la seconde.

Ainsi, la jurisprudence française privilégiait une interprétation souple de ce lien causal, en considérant qu’une faute suffisamment grave de l’agent commercial, commise avant la cessation du mandat, mais découverte par le mandant postérieurement à la rupture, pouvait être privative d’indemnité compensatrice de fin de contrat [1].

Cette jurisprudence n’était pas conforme à l’interprétation, plus restrictive, du droit européen, exigeant l’existence d’une causalité directe entre le manquement imputable à l’agent commercial et la décision du mandant de mettre fin au contrat, afin de pouvoir priver l’agent commercial d’indemnité.

Cette approche européenne repose sur une application rigoureuse de l’article 18 de la directive européenne 86/653/CEE du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, prévoyant que :

« L’indemnité ou la réparation visée à l’article 17 n’est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l’agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai ».

Selon ce texte clair, la perte du droit à indemnité ne se justifie qu’en présence d’une faute de l’agent commercial, dont la gravité est directement et immédiatement à l’origine de la cessation du mandat.

La Cour de Justice européenne a entériné une interprétation rigoureuse de ce texte et du lien causal devant exister entre la faute de l’agent et la rupture du mandat.

Ainsi, elle a jugé en 2010 que les termes de l’article 18 de la directive devaient être interprétés strictement, afin de ne pas ajouter une cause de déchéance de l’indemnité de l’agent commercial non prévue par le texte. Elle a ainsi rappelé que « le fait pour le commettant de pouvoir se libérer de l’obligation de payer une indemnité à l’agent commercial, par une interprétation large de l’article 18, sous a), de la directive, aurait pour conséquence une distorsion de la concurrence ».

La cour a donc considéré, dans son arrêt Volvo du 28 octobre 2010 [2], qu’une faute grave de l’agent, commise pendant le préavis de rupture de son mandat (dont la cause était donc forcément étrangère à cette faute survenue postérieurement), ne pouvait conduire à priver l’agent du bénéfice de son droit à indemnité.

La cour a estimé qu’il ne pouvait logiquement exister de lien causal direct entre la faute, commise par l’agent commercial après la notification de rupture, et la décision de rupture de son mandant.

Aux termes d’un arrêt du 16 novembre 2022 [3], la Cour de cassation a opéré un spectaculaire revirement de jurisprudence, en faisant sienne l’interprétation stricte de la Cour de justice européenne du lien causal entre la faute de l’agent de la rupture de son mandat.

Dans cette affaire, elle a en effet exclu toute possibilité pour le mandant de se prévaloir d’une faute de l’agent commercial, commise antérieurement à la rupture, mais découverte postérieurement, jugeant que cette faute ne pouvait avoir été directement à l’origine de la rupture.

La Cour de cassation a également précisé que pour être privative d’indemnité, la faute grave doit être non seulement connue du mandant au moment de la rupture, mais également clairement et expressément invoquée par celui-ci dans sa lettre de notification de rupture.

Les juges du fond n’ont pas tardé à se conformer à cette nouvelle position de la Cour de cassation.

Ainsi, dans un décision du 8 novembre 2023 (CA Poitiers, 2ème ch. 7 novembre 2023, n°22/01754), la Cour d’appel de Poitiers a par exemple jugé que

« la cour indique que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, en ce qui n’a pas provoqué la rupture, ne veut le priver de son droit indemnités ».

Cette évolution jurisprudentielle pourrait avoir des effets ambivalents sur l’obligation de loyauté devant gouverner la relation d’agence.

D’un côté, la nouvelle position de la Cour de cassation s’inscrit dans la logique de cette obligation essentielle de loyauté et doit donc être saluée, en ce qu’elle impose au mandant de dévoiler de manière transparente ses griefs à l’égard de l’agent dès les premiers stades du processus de rupture.

D’un autre côté, elle pourrait avoir des effets délétères en encourageant certains agents à redoubler d’inventivité pour dissimuler leurs agissements à leur mandant, ce qui irait indéniablement à l’encontre de l’obligation de loyauté.

Chloé Fernström
Avocat en droit de la distribution et contrats commerciaux
www.chloe-fernstrom.com

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[1Cf. par exemples : Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.115 ; Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727.

[2CJUE 28-10-2010, aff. 203/09.

[3Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-17.423.

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