Le droit des sociétés comme boîte à outils des procédures collectives.

Par Alexandre Alquier, Avocat.

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Explorer : # droit des sociétés # procédures collectives # redressement judiciaire # fiducie sûreté

La réussite de certaines procédures collectives s’avère conditionnée par la connaissance et la maîtrise de mécanismes issus du droit des sociétés permettant d’anticiper ou de débloquer des situations.

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Les réformes successives aboutissant au régime actuel de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 dite « loi de sauvegarde » ont démontré la volonté affichée du législateur de responsabiliser les membres de la société en difficulté, qu’il s’agisse des dirigeants ou des associés.

Le regard sur l’ancienne loi de 1985 arrivait à un constat d’évidence : les chefs d’entreprises attendaient trop longtemps pour se placer sous la protection du tribunal ce qui laissait peu d’espoir pour une issue favorable. A ce titre les statistiques étaient sans appel.

Si la loi actuelle n’est pas exempt de tout reproches (le taux de liquidation demeurant élevé), elle présente le mérite d’être plus proche de la pratique que jamais. En plus de quinze années, cette loi inspirée du droit américain des faillites et son Chapter 11, a vu émerger des solutions, souvent proposées par des praticiens, qui vont dans le sens de l’anticipation et de la « sortie honorable de la difficulté » [1].

Cette loi, depuis plusieurs fois amendée, a vu l’émergence d’une approche moderne et concrète du droit des entreprises en difficulté au travers d’outils qui n’étaient autrefois pas ou peu utilisés.

C’est ainsi que l’utilisation de créations issues du droit des sociétés, la plupart du temps imaginés par des praticiens imaginatifs, ont fait apparaître des solutions originales conduisant le législateur à ajuster certaines règles de droits des sociétés et ce à plusieurs niveaux.

Ces ajustements, souvent dérogatoire au droit commun des sociétés, sont dignes d’intérêt et répondent à des problématiques courantes qu’il est utile de maitriser pour débloquer des situations.

  • Sur la vie sociale :

Le tribunal pourra par exemple décider d’une modification des règles de droit des sociétés relatives au vote des assemblées pour l’adoption des modifications statutaires nécessaires au sauvetage de la société, seulement sur première convocation [2].

L’administrateur judiciaire pourra également convoquer l’assemblée compétente en cas de carence de la part des dirigeants [3].

  • Sur le droit de propriété des associés :

Il est prévu qu’à défaut de fixation des modalités de cession des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de la société par le tribunal, ces parts, titres et valeurs détenus directement ou indirectement par les dirigeants [4] ou par les associés [5] sont incessibles.

Le tribunal pourra cependant, lorsque la modification du capital est nécessaire au redressement de la société mais qu’elle n’est pas votée par la collectivité des associés, ordonner la cession des participations détenues dans le capital au profit des personnes s’étant engagées à l’exécution du plan [6]. Les conditions d’application de cet article restent toutefois très encadrées, et seuls les associés détenant directement ou indirectement, la majorité du capital ou qui disposent de la majorité des droits de vote ou d’une minorité de blocage et qui ont refusé la modification de capital sont susceptibles de se voir évincer de la société.

De même, le tribunal de la procédure collective pourra ordonner la cession des parts sociales détenues par un gérant d’une société au profit de laquelle a été ouverte une procédure collective [7].

Ces opérations sont bien entendues encadrées désormais par la loi et demeure sous le contrôle de la juridiction de la procédure collective.

Du reste la question de l’entorse au droit de propriété s’est posée, un associé pouvant être contraint de céder ses parts.

Le Conseil constitutionnel a validé une telle éviction en ce que, bien qu’elle soit contraire au droit de propriété de l’associé, elle poursuit un objectif d’intérêt général supérieur [8].

Ce mécanisme a également été validé par le Conseil d’Etat en raison de « l’impérieuse nécessité de sauver l’entreprise lorsqu’il n’existe plus d’autres solution que l’arrivée d’un nouvel actionnaire majoritaire » [9].

  • Sur la garantie offerte aux créanciers : fiducie sûreté :

Un autre mécanisme d’apparence complexe mais très intéressant pour des dossiers à actifs de rendement est à appréhender : la fiducie sûreté.

L’article 2011 dispose en effet que

« La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires » [10].

La fiducie peut être utilisée pour garantir le paiement d’une dette et faciliter grandement certains dossiers.

Le mécanisme consiste pour un débiteur (le constituant) à inclure dans un patrimoine fiduciaire la propriété de certains de ses biens : la fiducie est gérée par un fiduciaire (ou un fiduciaire garant se ce n’est pas directement le créancier) et la fiducie vient garantir le paiement de la dette ou l’exécution d’une obligation contractée. Si le débiteur ne rembourse pas sa dette ou n’exécute pas ses obligations, le créancier (bénéficiaire) reçoit alors, par l’effet du contrat, la propriété des biens placés en fiducie.

L’on comprend alors tout l’intérêt du mécanisme d’aide à adoption de plan que peut constituer un tel schéma qui trouvera toute sa place notamment lorsque des actifs (souvent immobiliers) du débiteur sont à rendements réguliers.

  • Sur la sécurité attachée aux associés concernés par ces dérogations au droit commun :

En ce que la recapitalisation de l’entreprise sera souvent une condition nécessaire à la réussite d’un plan de redressement par l’arrivée de nouveaux associés et ainsi d’argent frais, les dispositions permettant au tribunal d’évincer les obstacles à celle-ci se sont multipliées.

Si une telle recapitalisation a pour conséquence une atteinte aux droits des associés, ceux-ci seront recevable à former une tierce opposition contre le jugement arrêtant le plan.

Il a en effet été récemment jugé que la tierce opposition est recevable contre le jugement arrêtant un plan prévoyant une réduction du capital à zéro puis une augmentation du capital réservée à associé devenant ainsi majoritaire. L’associé dilué par le coup d’accordéon peut se prévaloir d’un moyen qui lui est propre au sens de l’article 583 du Code de procédure civile, en ce que cette opération est de nature à porter atteinte à sa qualité d’associé [11].

Il en est de même lorsque l’un des associés se voit privé de son droit préférentiel de souscription par le plan pour permettre un coup d’accordéon à l’issue duquel le repreneur deviendrait le seul actionnaire. Ce droit préférentiel ne peut en effet pas être supprimé et demeure le seul recours pour un associé récalcitrant à la modification de capital afin de ne pas être dilué ou évincé [12].

En résumé, les praticiens du droit des procédures collectives savent que l’anticipation est une clé de la réussite du projet de sauvetage du débiteur.

Parmi les nombreuses situations pouvant conduire à une défaillance du débiteur, l’approche par le droit des sociétés mérite d’être considérée dans bien des cas.

Par exemple, il est connu que les litiges entre associés est une des causes courante de difficultés des sociétés, surtout lorsque les associés sont à 50/50 et/ou co-gérant.

De même, il arrive fréquemment que la survie de la société passe par l’entrée de capitaux frais et l’entrée d’un nouvel associé dont le gérant ne veut pas. Ce blocage pourra être levé par ces schémas dérogatoires dans un temps contraint.

Ainsi, la situation de blocage inhérente au schéma social peut conduire le praticien à réfléchir sur les mécanismes dérogatoires du droit commun offerts par le droit des procédures collectives pour arriver à débloquer rapidement une situation.

Cela est d’autant plus vrai que la temporalité attachée aux procédures collectives est plus adaptée au rythme de la vie des affaires que les contentieux au fond, dont la durée du blocage sans solution rapide aura la plupart du temps pour conséquence la liquidation judiciaire.

Alexandre Alquier
Avocat au Barreau de Saint Denis de la Réunion
www.alquieralexandre.com

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Notes de l'article:

[1Rapport d’information par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, Dossier Législatif, Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2005 : en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 16 octobre 2002 sur la réforme du droit des sociétés - traitement des entreprises en difficulté https://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2094.asp

[2C. com. Art. L626-3 applicable au redressement judiciaire.

[3C. com. art. L626-3 et R.631-34 al 2.

[4C. com., art. L631-10 al 1.

[5C. com., art. L631-10 al 2.

[6C. com., art. L631-19-2.

[7C. com. art. L631-19-1.

[8Décision n° 2015-486 QPC du 7 octobre 2015.

[9CE, 8 décembre 2014, Avis n°389-494.

[10Articles 2011 et suivant du Code Civil.

[11Cass. Com., 8 février 2023, F-B, n°21-14.189.

[12Cass. com., 31 mars 2021, n°19-14.839, n° 296 F-P.

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