Le droit de la concurrence au travers de la loi de Modernisation de l'Économie, par Aurélie Dantzikian, Avocat

Le droit de la concurrence au travers de la loi de Modernisation de l’Économie, par Aurélie Dantzikian, Avocat

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Explorer : # libre négociabilité # pratiques restrictives de concurrence # délais de paiement # coopération commerciale

Conçue pour soutenir la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat, la loi de Modernisation de l’Économie du 4 août 2008, dite « LME », consacre toute une partie de ses mesures aux relations commerciales entre fournisseurs, industriels et distributeurs.

Elle a notamment pour ambition, en modifiant les règles de négociation entre industriels et distributeurs, de dynamiser la concurrence pour faire baisser les prix.

Certaines de ses dispositions intéressent ainsi le droit de la concurrence.

-

1. Principe de la libre négociabilité

Le principe selon lequel les conditions générales de vente « constituent le socle de la négociation commerciale » est maintenu. Toutefois, la LME a pour objectif de favoriser la négociabilité desdites conditions générales de vente, et notamment des tarifs.

- Suppression de la prohibition de discrimination tarifaire

La LME a supprimé purement et simplement la prohibition de la discrimination tarifaire posée au I de l’article L. 442-6-1° du Code de Commerce ; auparavant, toute différence de traitement entre deux partenaires commerciaux équivalents devait être objectivement justifiée, sous peine d’engager la responsabilité du fournisseur.

Désormais, la LME affirme le principe de la libre négociabilité des tarifs.

- Les Conditions Générales de Vente (CGV) différenciées

La loi Dutreil du 2 août 2005 avait introduit la possibilité de différencier les CGV selon les catégories d’acheteurs de produits ou de services.

Un texte réglementaire devait établir les critères de définition des différents canaux de distribution susceptibles de bénéficier de conditions différenciées.

Conformément aux préconisations du rapport Hagelsteen et à l’avis n° 07-01 de la Commission d’examen des pratiques commerciales, ces critères sont en définitive laissés à la liberté des fournisseurs.

Il est donc désormais possible pour un fournisseur d’élaborer des CGV par types de clients, cette typologie étant définie librement par lui-même, et sous sa responsabilité, selon son secteur d’activité, sa stratégie de développement, etc.

- Des conditions particulières de vente qui ne doivent plus être justifiées par la spécificité des services rendus

Les conditions particulières de vente concernent tous les services et conditions spécifiques susceptibles d’être prévus dans le cadre d’une opération d’achat-vente : remises de quantité ou de gamme, conditions de livraison, conditions de facturation, communication par échange de données informatisées…

Elles sont exclues du champ d’application de l’obligation de communication des conditions de vente.

La LME supprime toute référence à une justification de ces conditions par la spécificité des services rendus ; les partenaires commerciaux sont désormais libres de les fixer à leur gré, sans avoir à les justifier.

Cette liberté accrue en matière de négociation est toutefois toujours encadrée, tant par la nécessité de justifier de l’existence d’une cause, condition de validité d’une obligation, que par l’interdiction de pratiques dites restrictives de concurrence, dont la liste s’est allongée.

2. Allongement de la liste des pratiques dites restrictives de concurrence et renforcement des sanctions

- Introduction de nouveaux cas de pratiques dites restrictives de concurrence

L’article L. 442-6 du Code de Commerce dresse une liste de pratiques restrictives de concurrence qui engagent la responsabilité civile de leur auteur.

Bien que la prohibition de la discrimination tarifaire ait été supprimée, de nouvelles dispositions ont été introduites concernant le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » et d’obtenir ou tenter d’obtenir sous la menace d’une rupture des relations « des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement (…) ».

La notion d’abus étant nouvelle en droit de la concurrence, l’évaluation de ce qui est « significatif » ou « manifeste » sera laissée à l’appréciation du juge ; une attention toute particulière devra donc être portée aux inévitables développements jurisprudentiels que ces notions vont entraîner.

Par ailleurs, est également susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur le refus de mentionner le nom et l’adresse du fabricant, si celui-ci en fait la demande, sur l’étiquetage d’un produit vendu sous marque de distributeur.

Enfin, d’autres pratiques entraîneront d’office la nullité de la clause :

-  l’obtention par un fournisseur, de la part d’un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 m2, que ce fournisseur approvisionne mais qui n’est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire (ce qui exclut du champ de cette disposition les contrats de franchise) :

-  un droit de préférence sur la cession ou le transfert de son activité (qu’il s’agisse de titres sociaux, du fonds de commerce…)

-  une obligation de non concurrence post-contractuelle

-  une exclusivité ou une quasi-exclusivité d’achat de ses produits ou services d’une durée supérieure à deux ans, consentie par le revendeur afin d’être approvisionné.

-  le bénéfice automatique des conditions plus favorables éventuellement consenties par le partenaire commercial à des entreprises concurrentes (clause dite du « client le plus favorisé »).

- Renforcement des sanctions

En vertu de l’article L. 442-6 du Code de Commerce, le Ministre de l’économie a la possibilité d’introduire une action devant les juridictions compétentes, au même titre que la victime, pour obtenir la cessation des pratiques illégales, la restitution de l’indu ainsi qu’une amende civile.
Tout en maintenant le plafond de l’amende à 2 millions d’euros, la LME a prévu que celle-ci pouvait être portée au triple du montant des sommes indûment versées, ce qui constitue une façon volontariste d’inciter les tribunaux à augmenter le montant de la sanction pécuniaire.

Des mesures de publication des décisions, mais aussi des astreintes, viennent compléter le dispositif.

3. Une évolution de l’encadrement de la coopération commerciale, avec l’objectif de déplacer la négociation sur les marges « avant »

La loi Châtel de janvier 2008 avait institué l’obligation, pour les partenaires commerciaux allant au-delà des Conditions Générales de Vente, de conclure et de formaliser, avant le 1er mars de chaque année, une convention « récapitulative » qui devait regrouper toutes les conditions générales et particulières de l’opération de vente, les contrats de coopération commerciale et les services distincts.

La LME a tout d’abord atténué la rigidité temporelle de la loi Châtel en autorisant que la convention puisse être conclue à un autre moment de l’année, selon la particularité du cycle de l’activité. Ainsi, elle permet de différer la date de conclusion à un délai de deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services, lorsque ceux-ci sont soumis à un cycle de commercialisation particulier (notamment lorsque l’activité est saisonnière).

En outre, elle a étendu la qualification de coopération commerciale aux services rendus à l’occasion de la revente aux professionnels (et non plus à la seule vente aux consommateurs comme précédemment), dès lors qu’ils sont de nature à favoriser la commercialisation des produits et ne relèvent pas des obligations d’achat et de vente.

Rappelons qu’un formalisme important est attaché à cette qualification de coopération commerciale.

Enfin, en prévoyant que la convention « récapitulative » doit fixer « les obligations auxquelles les parties se sont engagées en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale », il semblerait que le législateur ait souhaité dépasser le domaine des seuls « services distincts », notion qui a disparu du nouvel article L 441-7 du Code de Commerce, et ne plus imposer aux parties de détailler ligne par ligne les avantages accordés et les contreparties fixées, sauf en matière de coopération commerciale.

Combinée à l’assouplissement de la négociabilité tarifaire, cette évolution devrait inviter les acteurs économiques à déplacer la négociation « à l’avant » par une négociation des tarifs et des conditions de vente ; il leur faudra ainsi revoir leurs pratiques et documents commerciaux de façon à les adapter à la nouvelle loi et supprimer les éventuelles clauses désormais considérées comme restrictives.

4. Une réduction des délais de paiement

Aux termes de l’article 21 de la LME, le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues, pour les produits et services non visés par des textes spéciaux, ne pourra dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture.

Les professionnels d’un secteur, clients et fournisseurs, pourront décider conjointement de réduire le délai de paiement en dessous de ce nouveau seuil et de proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai, et non la date d’émission de la facture. Les accords conclus par les organisations professionnelles pourront être étendus à l’ensemble des entreprises du secteur par décret.

La loi prévoit, néanmoins, la possibilité de dérogations exceptionnelles par accord interprofessionnel pour une durée limitée, afin de tenir compte des spécificités sectorielles et de permettre une bonne application de cette réforme.

Par ailleurs, la loi prévoit de porter le taux minimal des pénalités de retard fixé par les parties de 1,5 fois le taux d’intérêt légal à 3 fois ce taux.

Tout délai de règlement supérieur au délai maximal prévu par la loi serait considéré comme abusif et entraînerait la responsabilité civile de celui qui l’aurait ainsi fixé.

Alors que les trois premières dispositions de la LME sont d’application immédiate (points 1 à 3 ci-dessus), celles relatives aux délais de paiement seront applicables aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009, et, pour les commandes ouvertes, aux appels de commande postérieurs à cette date.

Enfin, nous rappelons que, par principe et sauf clause contraire, le délai légal de paiement reste fixé à trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation et ce, depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001.

5. Autres dispositions intéressant le droit de la concurrence

La nouvelle loi a également instauré :

-  l’Autorité de la Concurrence, autorité administrative indépendante qui, en tant que résultat de la transformation du Conseil de la Concurrence, sera chargée de veiller au libre jeu de la concurrence et disposera de services d’instruction,

-  un nouveau seuil de contrôle des concentrations, spécifique aux entreprises actives dans le secteur du commerce de détail : ce seuil est inférieur aux seuils de droit commun ; il déclenche l’obligation de notifier le projet de rapprochement aux autorités de concurrence compétentes et impose d’attendre leur autorisation avant d’être mis en œuvre,

-  un assouplissement des règles d’urbanisme commercial, relevant de 300 à 1 000 m2 les seuils déclenchant l’exigence d’une autorisation d’implantation d’une surface commerciale.

Un important travail de révision de leurs outils commerciaux attend donc les entreprises ; elles vont certes devoir repenser l’organisation et la présentation de leurs documents commerciaux (conditions générales de vente ou d’achat, conventions « récapitulatives, factures…), mais également, dans certains cas, les modalités mêmes de leurs relations commerciales avec leurs partenaires, avec renégociation à la clé.

Certaines règles, théoriquement simples à instaurer pour les échanges franco-français, vont se complexifier lorsque l’un des partenaires sera étranger. Lorsqu’un client étranger achète un produit ou un service français, par exemple, les nouveaux délais de paiement prévus par la réglementation nationale seront-ils applicables ?

En outre, de nombreuses interrogations restent à ce jour en suspens. La LME semble en effet ouvrir la porte à une grande liberté de négociation et de fixation des conditions commerciales, tout en maintenant les conditions générales de vente comme socle de la négociation commerciale...
D’autant que les notions d’abus significatif ou manifeste restent à préciser, de même que les modalités de fonctionnement de la nouvelle Autorité de la Concurrence.
La marge d’appréciation personnelle est vaste, engendrant un large espace potentiel de liberté, mais aussi d’insécurité.

La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) se prépare donc à un exercice de questions réponses, qu’il conviendra de suivre avec grand intérêt.

Aurélie Dantzikian

Avocat

Lamy Lexel Avocats Associés

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