Cet arrêt illustre la balance des intérêts à prendre en compte dans ce cas de litige, entre le moteur Google, la personne concernée, et le public.
Dans cette affaire, l’expert-comptable soutenait à l’appui de sa demande de déréférencement, le fait que sa condamnation était relative à sa vie privée, et non à sa vie professionnelle.
La Cour d’appel avait rejeté sa demande de déréférencement au motif que le référencement des liens litigieux conservait un caractère pertinent en raison du fait qu’en sa qualité d’expert-comptable, il donnait des conseils fiscaux à ses clients, et qu’il jouait un rôle particulier dans la vie publique.
La Cour d’appel en avait déduit que devait prévaloir l’intérêt des internautes à avoir accès à cette information, sur le droit à la protection des données à caractère personnel.
Mais d’après la Cour de cassation, la Cour d’appel n’a pas effectué correctement la balance des intérêts en cause.
Dans son arrêt, la Cour de cassation cite le tout récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 24 septembre 2019 suivant lequel :
Le moteur doit en principe déréférencer les liens traitant des données sensibles de la personne telles que ses condamnations ;
Il doit néanmoins vérifier sur la base des éléments d’espèce, si l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats du moteur s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes.
En application de cette jurisprudence, la Cour de cassation juge que la balance des intérêts effectuée par la Cour d’appel n’est pas suffisante eu égard au critère fixé par la CJUE, laquelle exige de vérifier que les liens litigieux sont strictement nécessaires pour protéger la liberté d’information des internautes.
Pour faire prévaloir la liberté d’information sur la protection des données personnelles, il n’est pas suffisant de considérer que la personne joue un rôle dans la vie publique, ou qu’un lien peut exister entre sa condamnation à titre privée, et sa vie professionnelle, et que le référencement présente un caractère pertinent.
Il faut vérifier si, « compte tenu de la sensibilité des données en cause, et par suite, de la particulière gravité de l’ingérence dans les droits de M. Etienne au respect de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles, l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats est strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes. »
La Cour d’appel de renvoi devra ainsi tenir compte non seulement des données en cause mais aussi de l’impact de leur référencement dans le moteur Google, lequel, comme on le sait, est particulièrement puissant.
Enfin il faudra qu’elle examine si ce référencement est strictement nécessaire à l’information du public.
Sachant que le déréférencement ne signifie pas la suppression du contenu, lequel reste accessible sur le site source, il n’est pas évident que ledit référencement soit considéré par la Cour d’appel comme strictement nécessaire à l’information du public.
D’autant qu’il ne faut pas présumer que le comportement d’une personne dans sa vie privée, équivaut à celui de sa vie professionnelle.
N’oublions pas la présomption de bonne foi, et d’innocence.
Cette affaire pose la question plus générale de la frontière entre vie privée et professionnelle, mais surtout entre droit à l’effacement de ses données, et droit à la liberté d’expression et d’information.
Désormais, l’article 17.3 du Règlement Général pour la Protection des Données personnelles (RGPD) prévoit que le droit à l’effacement ne s’applique pas lorsque le traitement des données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information.
En employant l’expression « strictement nécessaire », la Cour de justice de l’Union Européenne, et la Cour de cassation soulignent le caractère exceptionnel d’une telle dérogation.
Si le droit à la protection des données personnelles, et le droit à l’information ont une même valeur juridique, dans certains cas, comme en l’espèce, une hiérarchie s’opère entre les deux.
En présence de traitement de données sensibles, le droit à l’effacement prévaut, en principe sur le droit à l’information.
Le droit à l’information ne peut déroger au principe de l’effacement que si le traitement est nécessaire. L’adverbe "strictement" permet ici de souligner le caractère exceptionnel de cette dérogation.
Précisons que le droit à l’effacement prévaut, en principe, sur le droit à l’information, non seulement dans le cas de données dites sensibles mais également dans les autres cas visés par l’article 17 du RGPD : absence de nécessité au regard des finalités, droit d’opposition, traitement illicite, obligation légale, et offre à un enfant d’un service de la société de l’information.
Cette hiérarchisation n’est donc pas limitée aux seules données sensibles.
Rajoutons que ce droit à l’effacement, même s’il est également intitulé (« droit à l’oubli ») à l’article 17 du RGPD, ne vaut pas que pour le déréférencement dans les moteurs, mais qu’il constitue un droit plus général de la personne.
Cet arrêt semble ainsi consacrer un juste équilibre entre, d’une part, la nécessaire protection des personnes contre le traitement de leurs données par les moteurs, et, d’autre part, l’information du public.