La décision de démissionner émanant du salarié n’a pas été définie par le Code du travail marocain. Cependant, il est possible de retenir la définition qui a été retenue par la doctrine qui considère qu’elle est « l’acte juridique par lequel un salarié décide de mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée le liant à son employeur » [1]. Il y a lieu de retenir que d’une part, elle représente une décision unilatérale prise par le salarié et d’autre part, qu’elle ne porte que sur le contrat à durée indéterminée dans la mesure où le salarié demeure tenu par le terme fixé dans le contrat à durée déterminée. À cet effet, le second alinéa de l’article 34 du Code de travail qui indique clairement que « le contrat de travail à durée indéterminée peut cesser par la volonté du salarié au moyen d’une démission portant la signature légalisée par l’autorité compétente ».
La démission exprime un acte de liberté pris par le salarié dans la mesure où celui-ci n’est pas tenu de rester contre son gré dans une relation de travail. Le même esprit gouverne également l’acte pris par l’employeur afin de mettre fin à cette relation avec une grande nuance précisée dans le Code de travail qui considère que la rupture du contrat de travail, qu’elle émane de l’employeur ou du salarié, donne lieu à des dommages intérêts lorsque cette rupture est jugée abusive [2]. À ce niveau, le juge joue un rôle prépondérant dans l’appréciation de l’opportunité et de la légitimité de la décision prise par le salarié de démissionner de son poste de travail et de celle de l’employeur de rompre unilatéralement la relation de travail.
I. Les conditions de validité de la démission.
Pour qu’elle puisse produire ses effets, la décision de démission doit satisfaire des conditions de fond (A) ainsi que des conditions de forme (B).
A. Les conditions de fond.
Tout d’abord, l’acte de démission doit être libre et réfléchi. En d’autres termes, il doit répondre à la liberté du consentement, élément indispensable imposé par les dispositions du deuxième article du Dahir des obligations et contrats [3] même s’il s’agit d’un acte unilatéral émanant du salarié. La démission, de ce fait, ne peut produire d’effets juridiques que si elle n’a pas été prise sous l’effet de la colère ou de l’émotion.
À ce stade, les juges doivent s’assurer de l’intégrité de la décision prise par le salarié de démissionner de son poste de travail. En effet, le juge joue un rôle capital dans la détermination de l’intention du salarié qui prend la décision de démissionner de son poste de travail ; s’agit-il d’un acte unilatéral réfléchi et donné en toute liberté ou d’une décision prise sous l’effet de l’émotion ?
Dans tous les cas et en droit marocain, les juges sont tenus de justifier et motiver suffisamment leurs décisions conformément aux articles 50 [4] et 359 [5] du Code de procédure civile. Une décision judiciaire dénuée de motivation ou entachée d’une motivation insuffisante sera susceptible d’être annulée.
Il s’ensuit que la démission donnée librement par le salarié produira tous ses effets juridiques et entrainera la rupture de la relation de travail. Il en est sera autrement lorsqu’elle est imposée ou provoquée par l’employeur qui exerce des pressions pour amener le salarié à prendre une décision préjudiciable à ses intérêts. En ce sens, s’il est établi que l’employeur a commis une faute en exerçant une contrainte physique ou morale sur le salarié, la démission présentée par celui-ci deviendra inopérante et par conséquent, la responsabilité de la rupture de la relation de travail sera imputée à l’employeur qui se devra supporter toutes les conséquences de son agissement.
- Le cas de l’abandon de poste.
L’abandon de poste est l’une des situations les plus fréquentes dans la pratique judiciaire. Le salarié qui s’absente sans juste motif et abandonne son poste sans exprimer ses véritables intentions envers son employeur sera considéré comme démissionnaire sans qu’il soit nécessaire que ce dernier présente un document manifestant sa volonté de quitter ses fonctions.
Toutefois, le deuxième alinéa de l’article 63 du Code du travail prévoit que « Il (L’employeur) doit prouver, lorsqu’il le prétend, que le salarié a abandonné son poste ». Pour ce faire, l’employeur peut adresser au salarié une mise en demeure l’incitant à réintégrer ses fonctions sous peine d’être considéré comme démissionnaire. Le risque pour l’employeur s’il n’accomplit pas cette procédure est de se retrouver dans une situation délicate permettant au salarié de prétendre qu’il a été injustement licencié.
En somme, la qualification de la situation de l’abandon de poste relève du pouvoir appréciateur du juge qui doit néanmoins motiver et justifier cette qualification conformément aux textes de lois et aux règles établies par la jurisprudence en la matière.
B. Les conditions de forme.
Contrairement au droit français qui ne prescrit aucune forme ou procédure pour la rupture du contrat de travail au moyen de la démission, l’article 34 du Code du travail marocain prévoit en son deuxième alinéa que la démission doit être établie par un écrit portant la signature légalisée par l’autorité compétente.
La formalité de la légalisation de la signature apposée sur l’acte de démission suscite quelques observations. L’utilité juridique de la légalisation de la signature apposée par le salarié sur l’acte de démission n’est pas mise en évidence dans la mesure où cette formalité n’est pas une authentification du contenu de l’acte. La légalisation de la signature n’a d’utilité que pour la véracité de l’engagement du salarié ayant signé l’acte de démission et en tout état de cause, cet acte demeure un acte sous seing privé soumis aux règles établies par le Dahir des obligations et contrats.
En imposant la légalisation de la signature apposée sur l’acte de démission, le législateur entend garantir une volonté libre du salarié qui prend une telle décision. L’accomplissement de la formalité de la légalisation sous-entend un acte murement réfléchi et une décision de démissionner de son poste de travail prise en l’absence de toute contrainte.
Il y a lieu de rappeler que la Cour de cassation avant l’adoption du Code du travail marocain n’exigeait pas la légalisation de la signature comme condition pour la validité de l’acte de démission. Dans un arrêt rendu en date du 5 août 2010 à propos d’un différend né avant l’année d’adoption du texte, il a été décidé que la démission dont la signature n’est pas légalisée produit tous ses effets juridiques et engage par conséquent le salarié démissionnaire qui reprochait au juge du fond la violation des articles 21 et 34 du Code de travail - argument qui demeure infondé dans la mesure où pour un différend né avant l’entrée en vigueur du Code du travail, seule la législation du travail antérieure à cette date peut recevoir application [6].
Dans un autre arrêt rendu par la Haute juridiction marocaine en date du 25 avril 2013, il a été décidé que la démission peut être établie par un autre document autre que l’acte de démission lui-même ayant été égaré dans des circonstances indéterminées. Dans l’espèce, l’employeur était contraint de mandater un huissier de justice pour constater la signature du salarié sur le registre des légalisations des signatures tenu par les services communaux locaux [7].
La Cour de cassation, par le biais d’un arrêt rendu le 31 janvier 2013, alors que le nouveau Code de travail était applicable dans le cas d’espèce, a considéré qu’il n’est nul besoin d’exiger la légalisation de la signature de l’acte de démission du moment que le salarié lui-même ne nie pas avoir démissionné de son poste de travail [8].
La Haute juridiction marocaine a également estimé que la demande formulée par le salarié de démissionner de son poste de travail s’il obtient les indemnités de départ ne constitue pas une véritable démission du moment que la condition, par lui exigée, ne s’est pas réalisée [9]. La même position fut reprise par la même juridiction concernant une démission émanant du salarié sous la contrainte et la pression [10].
II. Les effets juridiques de la démission.
Le salarié qui démissionne de son poste de travail est tenu de respecter deux obligations essentielles. Tout d’abord, il est tenu de respecter la durée de préavis (A) et ensuite, la démission ne doit pas être caractérisée d’abus (B).
A. Le respect du délai de préavis.
L’article 34 du Code du travail impose au salarié d’observer un délai de préavis lorsque celui-ci décide de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée au moyen d’une démission.
Rappelons que le préavis est la durée s’écoulant entre le jour suivant le dépôt de la lettre de démission et le jour du départ définitif du salarié de l’entreprise. L’observation de cette période par le salarié démissionnaire confère à l’employeur la possibilité d’opérer une prospection afin de recruter un nouveau salarié à même d’occuper le poste du salarié démissionnaire. Aussi, durant cette période, le salarié bénéficie de tous ses droits acquis au sein de l’entreprise avant sa démission.
Il s’ensuit que le salarié démissionnaire est dans l’obligation de respecter un préavis pouvant résulter soit du texte de loi soit du contrat ou encore de toute autre source applicable telle que par exemple, la convention collective ou un usage d’entreprise.
Le salarié qui démissionne sans en aviser son employeur et sans observer de préavis est responsable de tout préjudice causé à l’employeur à la suite de l’inobservation de cette obligation et doit par conséquent réparer ledit préjudice.
Rappelons que l’article premier du décret du 29 décembre 2004 relatif au délai de préavis pour la rupture unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée fixe les délais de préavis comme suit :
Pour les cadres et assimilés, selon leur ancienneté :
Moins d’un an : un mois ;
Un an à cinq ans : deux mois ;
Plus de cinq ans : trois mois.
Pour les employés et les ouvriers, selon leur ancienneté :
Moins d’un an : huit jours ;
Un an à cinq ans : un mois ;
Plus de cinq : deux mois.
B. La responsabilité du salarié pour démission abusive.
Le départ brutal du salarié peut causer un dommage notoire à son employeur si le délai de préavis n’est pas respecté et si la démission intervient dans un moment inopportun pour l’entreprise. De surcroît, la faute du salarié devient caractérisée si elle animée par la mauvaise foi.
- Les conditions de la responsabilité pour abus de droit.
La théorie de l’abus de droit est très ancienne. Déjà, en droit romain Ulpien prônait la règle « neminem leadit qui suo jure utit » [11], règle qui n’était pas absolue et souffrait de beaucoup d’exceptions. C’est dire que tout droit doit comporter nécessairement des limites intellectuelles, les droits s’appréciant de par leur finalité.
Le Code du travail sanctionne l’abus de droit commis non seulement par l’employeur mais également par celui exercé par le salarié. En ce sens, l’article 41 du Code de travail prévoit qu’« en cas de rupture abusive du contrat de travail par l’une des parties, la partie lésée a le droit de demander des dommages-intérêts ».
De plus, le salarié et le nouvel employeur peuvent être sanctionnés dans le cadre de l’article 42 du Code de travail lorsque le salarié
« ayant rompu abusivement son contrat de travail, engage à nouveau ses services, le nouvel employeur est solidairement responsable du dommage causé à l’employeur précédent dans les cas suivants : 1. quand il est établi qu’il est intervenu dans le débauchage ; 2. quand il a embauché un salarié qu’il savait déjà lié par un contrat de travail ; 3. quand il a continué à occuper un salarié après avoir appris que ce salarié était encore lié à un autre employeur par un contrat de travail. Dans ce dernier cas, la responsabilité du nouvel employeur cesse d’exister si, au moment où il a été averti, le contrat de travail abusivement rompu par le salarié était venu à expiration par l’arrivée du terme pour un contrat à durée déterminée ou par l’expiration du délai de préavis pour un contrat à durée indéterminée ».
Pour que la responsabilité du salarié puisse être engagée pour démission abusive, trois conditions doivent être réunies à savoir : l’existence d’une faute, d’un dommage puis d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.
- L’existence d’une faute.
La règle morale veut que tout acte soit imprégné de bonne foi, de loyauté et d’honnêteté. Inversement, il est inadmissible qu’un agissement, même exercé dans le cadre d’un droit, puisse être entaché de malveillance, méchanceté et surtout motivé par une intention de nuire. Cependant, la difficulté naît de l’impossibilité de démonter, de mettre à nu la malveillance de l’auteur du dommage.
En principe, il suffit que le juge perçoive même « une légèreté » pour condamner. Cette attitude est celle adoptée par le tribunal de première instance de Rabat dans un jugement du 11 décembre 1918, dans lequel il a été décidé qu’une plainte en dénonciation portée non seulement de manière abusive sans que son auteur ne se soit assuré de la vraisemblance de ses allégations, peut donner ouverture à une action en dommages-intérêts.
La jurisprudence marocaine utilise plusieurs expressions pour désigner ‘l’intention de nuire’. Le tribunal de première instance de Casablanca parle du ‘mobile malicieux’ ; la Cour suprême (Cour de cassation actuellement) pour sa part utilise l’expression d’acte ou d’agissement ‘contraire au comportement normal des personnes’ et met l’accent sur la bonne foi de l’auteur du dommage [12]. A contrario, il sera question de la mauvaise foi, expression également utilisée par un jugement du tribunal de première instance de Casablanca [13].
À notre sens, quelles que soient les expressions utilisées, ces derniers doivent s’assurer de l’existence de cet élément moral qu’est « l’intention de nuire » car l’engagement de la responsabilité pour abus de droit implique l’application des dispositions de l’article 94 du Dahir des obligations et des contrats qui met en exergue la liberté d’exercer des droits dans leurs limites respectives. En ce sens, l’exercice de ses droits ne devient abusif que dans le cas où celui-ci est motivé par une mauvaise foi manifeste. C’est cette condition qui permet de relever la faute dans l’exercice des droits.
- L’existence d’un dommage.
Pour que la démission abusive puisse donner droit à des dommages-intérêts, l’employeur doit établir l’existence d’un dommage qui est une condition essentielle de la responsabilité civile. D’ailleurs, la majorité de la doctrine considère cette condition comme indispensable pour le déclenchement de l’action en réparation.
En matière contractuelle, le créancier peut demander une indemnisation au débiteur sans prouver le préjudice si cette indemnisation est prévue par le contrat au moyen d’une clause pénale. Cependant, dans le cadre de la responsabilité pour abus de droit, l’article 94 du dahir des obligations et des contrats exige bel et bien l’existence d’un « dommage notable ». En l’absence de cet élément, il n’y a pas lieu à responsabilité.
Il reste à définir et à délimiter le terme « notable ». À ce stade, il est possible de se demander s’il est nécessaire d’apprécier l’importance du dommage subi par rapport à l’intérêt de l’auteur du dommage [14] ou encore si l’article 94 du Dahir des obligations et des contrats laisse au juge le soin d’apprécier la gravité du dommage pour condamner à des dommages et intérêts celui, qui par son fait, a dépassé la finalité et le but attaché à l’exercice de son droit.
De notre point de vue et puisque la responsabilité pour abus de droit est une responsabilité qui est exceptionnelle, l’exigence d’un dommage notable est fortement recommandée. Ce ne serait évidemment pas n’importe quel dommage qui déclencherait cette responsabilité mais il faudrait plutôt qu’il s’agisse d’un dommage résultant en un préjudice d’une certaine importance.
- L’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.
La nécessité d’un lien de causalité est une condition indispensable pour le déclenchement de l’action en responsabilité civile.
Les articles du dahir des obligations et des contrats exigent dans le cadre de la responsabilité délictuelle une relation causale entre le fait et le dommage. En effet, l’article 77 dudit dahir prévoit l’élément de « cause directe », la même expression est reprise par l’article 78 du même texte. En d’autres mots, le rapport de causalité doit être un rapport direct, mais aussi un rapport certain.
Il y a lieu de noter qu’il est très rare de trouver, dans la pratique judiciaire marocaine, des cas concrets de responsabilité pour démission abusive, c’est pourquoi, il serait intéressant de faire référence à la jurisprudence française pour apporter un éclairage sur la position de la Cour de cassation française concernant la question de la responsabilité du salarié en cas de démission abusive du salarié causant un préjudice notoire à l’employeur.
Un arrêt très célèbre rendu par la Cour de cassation française en date du 19 juin 1959 concrétise le cas de la démission abusive ; il s’agit de la situation dans laquelle une salariée mannequin de haute-couture démissionne le jour même de la présentation de la collection alors que de « nombreux modèles ont été conçus et confectionnés sur elle » ; Dans l’espèce, la Haute juridiction marocaine en a déduit une intention malveillante de causer un préjudice à l’employeur et a sanctionné en conséquence la salariée démissionnaire [15].
Conclusion.
Assurément, nulle personne n’est obligée d’entretenir indéfiniment des relations contractuelles contre son gré. Pour cela et dans le contexte du droit du travail, le législateur a prévu des mécanismes de résiliation permettant à chacune des parties au contrat de s’extirper du régime des obligations y étant prévues. Néanmoins, ces mécanismes doivent être enclenchés en considération de certains paramètres devant être pris en considération aussi bien par l’employeur que le salarié.
Du côté patronal, l’employeur doit s’assurer que la décision de licenciement est suffisamment justifiée et qu’elle intervient à la suite d’un agissement fautif du salarié justifiant l’enclenchement de la procédure de licenciement disciplinaire à son encontre. Pour sa part, le salarié doit veiller à ce que sa décision de démissionner de ses fonctions ne porte pas préjudice aux intérêts de son employeur tout en observant un délai de préavis à même de permettre à ce dernier d’entreprendre les prospections nécessaires pour remplacer le salarié sortant.
La décision de démissionner de ses fonctions n’est pas toujours évidente à prendre. En déposant sa démission, le salarié décide de rompre une relation contractuelle de travail à laquelle l’employeur ne peut y mettre fin que par le biais d’un licenciement, à moins qu’il n’y ait survenance d’un cas de force majeure.
Il n’est pas à négliger que certains employeurs malintentionnés ont recours au jeu de la démission afin de contourner l’aspect rigide et contraignant de la procédure du licenciement disciplinaire, dont les suites peuvent s’avérer couteuses en cas de prononciation d’une mesure disciplinaire abusive, en exigeant du salarié de déposer sa démission et ce, en abusant de pratiques vexatoires ou encore d’une coercition psychologique exercée à l’égard du salarié.
Cependant, le salarié démissionnaire a parfaitement le droit de contester la légitimité de sa démission en se prévalant de tous les moyens de preuve permettant d’établir que sa décision de quitter ses fonctions n’était pas libre et réfléchie, alors même qu’il ait présenté un document portant sa signature légalisée par l’autorité compétente.
À ce titre, le salarié peut avoir recours aux témoins pour étayer ses prétentions comme il peut également produire en justice toutes les pièces, écrits, e-mails et même tous les messages téléphoniques reçus par son supérieur pour contester la régularité de la démission au vu d’une requalification de la démission en licenciement abusif.