La délégation de pouvoirs : un instrument nécessaire.

Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat

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Explorer : # délégation de pouvoirs # responsabilité pénale # conditions de validité # entreprise

La délégation de pouvoirs est un gage de bonne gestion dont les conséquences sont particulièrement importantes pour le délégataire.
Si le chef d’entreprise a l’obligation de faire respecter par le personnel, sous sa responsabilité, l’ensemble des textes qui réglementent l’activité de l’entreprise, il a toutefois la possibilité de déléguer une partie de ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens requis.

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Il est très important que des délégations de pouvoirs soient effectivement instaurées si le dirigeant ne peut assumer seul toutes les obligations liées à ses fonctions et à toutes les activités de l’entreprise.

La délégation de pouvoirs est une création de la jurisprudence. Aucun texte ne l’organise. Les juges considèrent comme licite la délégation de pouvoirs en gage d’une bonne gestion destinée à parfaire la surveillance de l’application des textes qui réglementent l’activité de l’entreprise.

Ces délégations de pouvoirs doivent alors correspondre à l’organigramme de l’entreprise ou du groupe. Les délégations de pouvoirs sont susceptibles de se retrouver dans toutes les activités de l’entreprise et le plus souvent dans les ressources humaines, l’hygiène et la sécurité, la propriété intellectuelle, le droit économique et la distribution, la production-qualité, l’environnement, le marketing et la publicité.

Si tous les salariés peuvent en principe se voir proposer une délégation de pouvoirs, seuls sont, dans les faits, concernés les décisionnaires de l’entreprise, à savoir les responsables de fonctions opérationnelles et de fonctions supports (directeurs des affaires financières ou des ressources humaines, secrétaire général, chefs d’établissements, …).


1 Les conditions de validité de la délégation de pouvoirs

L’existence de la délégation de pouvoirs est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. crim. 2 mars 1977 n° 76-90.895). Elle n’est soumise à aucune condition de forme. La délégation de pouvoirs doit être certaine, précise et, par conséquent, exempte de toute ambiguïté. Il a ainsi été jugé qu’un document imprécis et rédigé dans des termes trop généraux ne pouvait exonérer un dirigeant de sa responsabilité (Cass. crim. 2 février 1993 n°92-80.672) ou qu’une mission générale de surveillance et d’organisation des mesures de sécurité des chantiers, indiquée dans le contrat d’engagement d’un directeur de travaux ne pouvait, à défaut d’instructions plus précises, constituer une délégation efficace (Cass. crim. 5 janvier 1982).

Il a également été jugé que le dirigeant d’une société exploitant un supermarché ne peut éluder sa responsabilité en invoquant une délégation de pouvoirs consentie au directeur du magasin en matière d’hygiène pour la protection des consommations, dès l’instant où l’imprécision ou l’imperfection du contrat de travail de ce dernier ne permet pas de retenir l’existence d’une telle délégation (Cass. crim. 22 mai 2002 n° 01-86.059).

Pour être valable, la délégation doit par ailleurs :

-  avoir un objet limité. Une délégation générale ne constitue pas une source d’exonération de la responsabilité du dirigeant. La délégation ne peut, en effet, porter que sur des responsabilités spécifiques et doit naturellement avoir été consentie. Ainsi, une note de service adressée à divers salariés et non acceptée expressément par ceux-ci ne saurait constituer une délégation de pouvoirs exonération (Cass. crim., 13 sept. 2005, n° 05-80.035).

-  être stable. Le caractère permanent de la délégation est souvent rappelé par la Cour de cassation. En effet, la mission confiée au délégataire est illusoire si le temps dont il dispose est trop court et si elle est trop souvent interrompue (Cass. crim. 21 novembre 1973, n° 72-93.898).

-  être attribuée à une seule personne.

-  avoir été attribuée par le dirigeant lui-même et non par un tiers (Cass. crim. 26 juin 2001).

-  avoir été consentie à un salarié. A titre d’exemple, une délégation de pouvoirs à un cabinet d’experts-comptables n’est pas valable (Cass. crim. 24 septembre 1998 n° 97-81.803). Ce salarié doit par ailleurs être qualifié. Il doit avoir des connaissances techniques, de l’autorité et des moyens matériels et financiers requis lui permettant d’accomplir sa mission. A défaut de formation adéquate, les juges écarteront la délégation de pouvoirs consentie. Ainsi, il a été jugé qu’un préposé âgé de vingt et un ans lors de la première délégation de pouvoir consentie en matière de sécurité, moins d’un an après son arrivée dans l’entreprise, ne disposait pas d’une compétence et d’une autorité suffisante pour exercer les pouvoirs délégués (Cass. crim. 17 octobre 1979 n° 78-94.267).

-  donner pleine autorité au délégataire. A défaut d’autorité effective, les juges écarteront également la délégation de pouvoirs consentie. Ainsi, la délégation relative à la sécurité des travailleurs n’est pas retenue quand le préposé doit en référer au chef d’entreprise avant toute décision importante (Cass. crim. 29 mai 1990 n° 89-84.17).

-  le salarié délégataire doit avoir été informé de la nature et des conséquences, notamment pénales, de la délégation.


2 Les conséquences de la délégation de pouvoirs

Une délégation de pouvoirs, admise par les juges, n’est pas une simple surveillance. La délégation de pouvoirs opère un transfert des pouvoirs du dirigeant au délégataire.

Attention toutefois, la délégation de pouvoirs, pour être valable, ne peut pas porter sur les pouvoirs d’administration assumés par les mandataires sociaux (Cass. crim. 15 mai 1974 n° 73-92.401).

Le transfert des pouvoirs implique nécessairement que, lorsqu’un dirigeant social accorde une délégation de pouvoirs à l’un de ses préposés, ce dernier peut à son tour en consentir une à un autre délégué. Il a, ainsi, été jugé que « l’autorisation du chef d’entreprise n’est pas nécessaire à la validité des subdélégations de pouvoirs, dès lors que celles-ci sont régulièrement consenties et que les subdélégataires sont pourvus de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de leur mission » (Cass. crim. 30 octobre 1996 n° 94-83.650).

La délégation de pouvoirs opère également un transfert de la responsabilité pénale du dirigeant au délégataire.

Elle exonère dès lors le dirigeant de sa responsabilité pénale et le met dès lors à l’abri de toutes poursuites s’il n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction.

Elle permet ainsi au dirigeant d’entreprise d’échapper à de nombreuses infractions du droit des affaires, notamment la publicité trompeuse, la violation de la législation économique (revente à perte, ententes, etc.), le délit d’initié ou la contrefaçon.

En revanche, la délégation de pouvoirs invoquée par le dirigeant d’un établissement financier poursuivi pour délit d’initié est privée d’effet dès lors que l’intéressé a pris la décision de vendre les titres litigieux sur le marché et s’est ensuite informé constamment de l’exécution de l’ordre de vente (Cass. crim. 19 octobre 1995).

Du côté des salariés délégataires, ces derniers qui ne font pas partie des dirigeants, en acceptant de se voir déléguer des pouvoirs spécifiques du dirigeant, se voient, de facto, transférer la responsabilité pénale.
Lorsque la validité de la délégation de pouvoirs n’est pas contestable, le délégataire peut s’exonérer de toute responsabilité pénale en prouvant notamment que les faits reprochés ne relèvent pas du domaine de la délégation ou qu’il n’a commis aucune faute personnelle susceptible d’entraîner une responsabilité pénale au sens de l’article L. 4741-1 du Code du travail.

Ainsi, à titre d’exemples, un directeur des ressources humaines investi d’une délégation de pouvoirs pour assurer la présidence du CHSCT de la zone bureaux et celle du comité de coordination des différents CHSCT de l’entreprise ne peut pas être tenu responsable de n’avoir pas consulté les CHSCT des autres zones de l’entreprise (Cass. crim. 12 avril 2005 n° 04-83.101). De même, un délégataire peut être exonéré de toute responsabilité s’il prouve qu’il n’a pu ni prévoir, ni empêcher un comportement dangereux de la part de l’un de ses ouvriers pourtant expérimenté (Cass. crim. 14 octobre 1986 n° 86.91.401).
Le délégataire devient par ailleurs à son tour un représentant susceptible d’engager lui-même la responsabilité pénale de la personne morale dans les termes de l’article 121-2 du Code pénal (Cass. crim. 1er décembre 1998 n° 97-80.560).

La délégation de pouvoirs n’opère pas de transfert de responsabilité civile.
Le préposé, titulaire d’une délégation de pouvoir, auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code pénal, engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction, celle-ci fût-elle commise dans l’exercice de ses fonctions (Cass. ass. plén. 14 décembre 2001).
De même, la délégation est sans conséquence sur la responsabilité pécuniaire du dirigeant.

En conclusion, le système de délégation de pouvoirs est souvent essentiel au bon fonctionnement de l’entreprise. Les délégations de pouvoirs doivent être déterminées avec une grande précision pour ne comporter aucune ambigüité et correspondre parfaitement à l’organigramme de la société. Même si ce n’est pas obligatoire, il est fortement conseillé de rédiger un écrit, précis et sans équivoque, à signer entre le délégant et le délégataire. Afin d’éviter toute contestation, nous conseillons également de prévoir une certaine publicité à la délégation. Celle-ci peut résulter notamment de l’organigramme de l’entreprise.

Jean-Baptiste Rozès
Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
www.ocean-avocats.com

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