Par dérogation à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’article L. 231-4, 3° du même code dispose que le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut effectivement décision de rejet si la demande présente un caractère financier.
La contestation de ces décisions devant le Juge administratif constitue une part importante du contentieux de pleine juridiction, qui confère au juge des pouvoirs plus importants.
Sont ainsi concernés les sociétés, les administrés ou encore les agents qui peuvent formuler une demande indemnitaire dès lors que la responsabilité administrative peut être engagée dans le cadre d’un contentieux résultant d’un marché public, d’un litige indemnitaire ou encore en matière d’urbanisme.
Le décret du 2 novembre 2016, dit « décret JADE » (pour « Justice administrative de demain »), entré en vigueur au 1er janvier 2017, a modifié l’article R. 421-3 du code de justice administrative, qui précise dorénavant qu’un requérant est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet :
dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;
dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative.
Le décret a abrogé l’expression « en matière de plein contentieux », faisant naître un doute sur l’opposabilité du délai de recours contentieux contre les décisions implicites, nées du silence d’une personne publique, rejetant une demande indemnitaire préalable.
Par principe, née du silence de l’administration, une décision implicite ne comporte pas la mention des voies et délai de recours.
Cette évolution réglementaire était d’autant moins compréhensible que l’article R. 421-5 du code de justice administrative continue toujours d’indiquer que : « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. »
Sollicité par le Tribunal administratif de Pau dans le cadre de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat apporte des précisions utiles sur l’application du délai de recours aux décisions implicites intervenue en plein contentieux.
A. L’opposabilité des délais de recours des décisions implicites en matière de plein contentieux prises avant le 1er janvier 2017.
Le Conseil d’Etat évoque l’application de la nouvelle rédaction de l’article R. 421-3 du code de justice administrative aux refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 et relevant du plein contentieux.
Il rappelle qu’avant l’entrée en vigueur du décret JADE, la rédaction de l’article R. 421-3 du code de justice administrative permettait aux requérants de se voir opposer les voies et délais de recours à partir du moment où le refus était explicitement et régulièrement porté à leur connaissance.
Le juge administratif exigeait effectivement que le requérant se voit notifier une décision expresse pour faire courir le délai de recours en matière de plein contentieux. Ce délai pouvait être interrompu, le cas échéant, par la présentation d’un recours gracieux et ne pouvait courir à nouveau qu’à compter de la notification d’une décision expresse rejetant ce recours [2].
L’avis commenté du Conseil d’Etat précise que, combinées avec la nouvelle rédaction de l’article R. 421-3 du Code de justice administrative, les décisions implicites en matière de plein contentieux, nées avant le 1er janvier 2017, voient le délai de recours de deux mois courir à compter de la date d’entrée en vigueur du décret, soit à compter du 1er janvier 2017.
Les décisions implicites nées avant le 1er janvier 2017 pouvaient donc être contestées jusqu’au 2 mars 2017.
Cela étant, le Conseil d’Etat indique également que l’article L. 112-6 du Code des relations entre le public et l’administration s’applique à ces décisions.
Cette disposition du Code des relations entre le public et l’administration est venue codifier la jurisprudence constante selon laquelle, en l’absence d’un accusé de réception de la demande d’un usager, la naissance d’une décision implicite de rejet, née du défaut de réponse à cette demande, ne fait pas fait courir, à son égard, les délais du recours contentieux [3].
Par suite, les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande, ayant fait l’objet d’une décision implicite de rejet, lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par l’article R. 112-5 du code des relations entre le public et l’administration telles que :
la date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ;
la désignation, l’adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de téléphone du service chargé du dossier ;
éventuellement, les pièces et les informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, ainsi que la mention du délai pour la réception de ces pièces et informations [4] ;
la mention selon laquelle la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite d’acceptation ou une décision implicite de rejet. Dans ce dernier cas, l’accusé de réception mentionne alors les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision implicite de rejet.
Précisons, là encore, que, selon l’article L. 112-2 du code des relations entre le public et l’administration, l’accusé de réception n’est pas applicable aux relations entre l’administration et ses agents.
A la différence d’un usager d’une administration, les agents se voient appliquer un régime moins protecteur, ne pouvant bénéficier de la règle de l’accusé de réception permettant de rendre opposable les délais de recours contentieux.
La notion d’agent public est entendue assez largement par le juge administratif [5].
Le Conseil d’Etat juge effectivement qu’en cas de décision implicite de rejet, résultant du silence gardé par l’administration pendant la période de deux mois suivant la réception d’une demande, le délai de deux mois pour se pourvoir contre une telle décision implicite court dès sa naissance à l’encontre d’un agent public, alors même que l’administration n’a pas accusé réception de la demande de cet agent (pour une illustration récente : CE, 3 décembre 2018, commune de Saint-Pierre, req. n° 417292).
Ce régime, appliqué aux agents de la fonction publique, vient fortement atténuer la portée de l’obligation, pour l’administration, de mentionner les voies et délais de recours dans ses décisions.
Soulignons également que le Conseil d’Etat a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité, posée par un fonctionnaire, qui contestait la privation de cette garantie de procédure contentieuse.
Pour le Conseil d’Etat, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
Or, pour le juge administratif, la nature des relations qu’un agent entretient, en sa qualité de personne employée par une personne publique, avec la personne publique qui l’emploie, est différente de celle qu’il est susceptible d’entretenir en sa qualité de citoyen ou d’usager avec cette personne publique en tant qu’autorité administrative.
Ainsi, l’exclusion des fonctionnaires du mécanisme de l’accusé de réception ne procède pas, pour le Palais Royal, de distinctions injustifiées et assurent aux justiciables des garanties propres à chacune des différentes natures de litiges qu’ils sont susceptibles d’avoir avec l’administration [6].
Il n’en demeure pas moins que, comme un citoyen ou un usager, le fonctionnaire n’a pas forcément la connaissance des délais de recours et de leur computation.
Enfin, par l’arrêt d’assemblée Czabaj du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat a édicté la règle selon laquelle le destinataire d’une décision expresse, n’apportant aucune précision sur les voies et les délais de recours, ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, n’excédant pas, sauf circonstances particulières, un an à compter de la notification de la décision express [7].
Par un arrêt en date du 9 mars 2018, le Conseil d’Etat a étendu cette règle aux décisions explicites de rejet en matière indemnitaire [8].
Alors que, dans un premier temps, le juge semblait refuser d’étendre cette solution aux décisions implicites [9], le Conseil d’Etat est venu récemment confirmer, au contraire, qu’elle était bien opposable à ces décisions, lorsqu’il est établi que le demandeur en a eu connaissance, soit que l’intéressé ait été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l’administration, notamment à l’occasion d’un recours gracieux dirigé contre cette décision [9].
Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, il apparaît donc qu’en l’absence d’accusé de réception adressé au demandeur et d’échanges ultérieurs avec l’administration, s’il n’est pas un agent public, celui-ci peut contester, sans délai, la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire née avant le 1er janvier 2017.
B. L’opposabilité des délais de recours des décisions implicites en matière de plein contentieux prises après le 1er janvier 2017.
L’avis du Conseil d’Etat évoque également l’hypothèse d’une décision implicite prise après le 1er janvier 2017 et, par conséquent, soumise aux nouvelles dispositions du décret JADE.
Il précise que, sauf dispositions législatives ou réglementaires particulières, le délai de recours de deux mois court bien à compter de la date où ces décisions sont nées.
Il convient donc d’être particulièrement vigilant, le requérant étant réputé avoir connaissance des voies et délai de recours lorsqu’il procède à une demande indemnitaire préalable, rejetée par le silence de l’administration.
Afin de parfaire son raisonnement, on aurait, toutefois, apprécié que le Conseil d’Etat soit plus explicite sur l’application de l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration aux décisions implicites nées après le 1er janvier 2017.
La lecture attentive de l’avis permet d’en douter puisque le considérant n° 12 de l’avis n’évoque l’application de l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration que pour les décisions implicites de rejet née avant le 1er janvier 2017 sans affirmer de principe général.
Pour autant, à moins de créer un conflit entre le Code des relations entre le public et l’administration et le code de justice administrative et de rendre caduque la garantie de l’accusé de réception en matière de plein contentieux, la logique voudrait que celle-ci continue de s’appliquer aux décisions implicites nées après le 1er janvier 2017, à moins que le Conseil d’Etat admette, sans le dire encore clairement, que l’accusé de réception est limité aux litiges relevant de l’excès de pouvoir.
A cet égard, on peut regretter que le recours des institutions représentatives de la profession de magistrats administratifs et d’avocats n’ait pas permis au Conseil d’Etat de motiver davantage l’esprit du nouvel article R. 421-3 du code de justice administrative, qui peine à être compris.
Alors que les organisations professionnelles invoquaient la méconnaissance du droit d’accès à un tribunal et du droit à un recours juridictionnel effectif, la Haute juridiction rejette le moyen, motif pris d’une absence de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé [10].
Aussi, si, par l’avis commenté, le Conseil d’Etat vient apporter certaines précisions attendues sur la nouvelle rédaction de l’article R. 421-3 du code de justice administrative, il en demeure surtout que, dorénavant, l’obligation de porter, à la connaissance du demandeur, les voies et délais de recours devient malheureusement une exception.
Discussions en cours :
Merci pour cette explication mais assez difficile à comprendre.
voici un cas concret me concernant pour les délais.
Demande de révision de pension le 19 décembre 2019 - réponse officielle malgré plusieurs relances de l’ administration le 19 09 2020 [10 mois plus tard !].
Ensuite une requête est déposée au tribunal administratif le 29 11 2020 et communiquée au défendeur ( accusé de réception le 9 12 2020) ; l’administration communique un mémoire en défense ( le 21 06 2021) après une mise en demeure de la part du TA ( le 21 05 2021) ; est il possible de contester ce délai de 5,5 mois environ et cela peut il valoir un rejet du mémoire en défense de la part du requérant ?
Par ailleurs le défendeur, dans sa décision initiale de rejet fait référence et applique un décret datant de 2004, décret qui a été modifié en 2015 => Obligation pour l’administration de prendre le texte d’application d’un loi ou d’un décret dans un délai raisonnable, même si le texte en soi à très peux changé ?
merci
Merci pour cet article très détaillé et de qualité, mais franchement il y a de quoi s’interroger sur notre système juridique. C’est franchement compliqué quand même ces histoires de délais en fonction du caractère implicite ou explicite mais surtout de l’application de la loi dans le temps. Sincèrement, il faut se mettre à la place de l’administré ( et de l’administration..), on ne s’y retrouve plus !!
Bjr, après le refus de communication d’un document public, après la saisine de la Cada et du rendu par la commission d’un avis favorable à la communication d’un document administratif le délai de 2 mois pour saisir le TA en cas de refus implicite persistant de communication par l’administration ( silence de l’administration ) est il opposable au particulier ? Si oui comment computer le délai de 2 mois pour saisir le TA ? Merci !