Contestation d’une décision administrative : attention au caractère préparatoire !

Par Guillaume Delarue, Avocat.

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Explorer : # acte préparatoire # décision administrative # recours administratif # contentieux administratif

La contestation d’un acte administratif peut donner lieu, pour le non-initié, à certaines surprises. Effectivement, alors que cet acte a l’apparence d’une décision faisant grief et qu’il peut même comporter les mentions des voies et délais de recours, le juge administratif peut considérer qu’il n’est finalement pas susceptible d’un recours contentieux, au motif qu’il s’agit seulement d’un acte préparatoire (I).

La vigilance du requérant doit être redoublée dans le contentieux des titres exécutoires (II).

-

I. La nature préparatoire d’un acte administratif fait obstacle à la saisine du juge.

a. Seul un acte final, définitif, peut donner lieu à une saisine du juge administratif afin qu’il se prononce sur sa légalité.

Un acte, qui est qualifié de préparatoire, n’a pas le caractère de décision et ne peut pas faire grief.

Revêtent ainsi un caractère préparatoire les documents qui constituent des éléments devant servir à la prise d’une décision administrative en cours d’élaboration. Il s’agit donc de tous les documents, avis, rapports qui concourent à la prise d’une décision, laquelle fera effectivement grief.

Dans ce cas, un requérant n’est pas recevable à attaquer par la voie du recours pour excès de pouvoir un acte préparatoire et ce, même à raison de ses vices propres [1].

La jurisprudence nous fournit plusieurs illustrations.

Par exemple, un avis d’appel public à la concurrence est une mesure préparatoire puisqu’il se borne à manifester l’intention de l’acheteur public de passer un marché [2].

Un simple lettre, informant qu’à la suite d’un avis du comité médical supérieur, le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi de la situation de l’agent, est, tout autant, un acte préparatoire à une décision ultérieure et ne peut faire l’objet, en lui-même, d’un recours pour excès de pouvoir [3].

Dans le même sens, une mise en demeure de retrouver son poste, à peine d’abandon de poste, présente également la nature d’une mesure préparatoire [4]. La décision, qui fera grief, sera la décision de radiation des cadres pour abandon de poste.

Cela ne signifie pas que le requérant est dépossédé de toute possibilité de formuler des critiques contre cet acte préparatoire. Cependant, ces critiques doivent être soulevées à l’occasion du recours dirigé contre la décision finale elle-même.

Ces critiques peuvent notamment aboutir à une annulation de la décision finale pour vice de procédure (irrégularité de la composition de l’organe ayant émis l’avis préalable, défaut de motivation de cet avis, etc).

b. On retrouve également la distinction entre « acte préparatoire » et « acte final » dans les règles relatives au droit à la communication des actes administratifs [5].

Ce droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés et ne concerne donc pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration [6].

Toutefois, il faut encore tempérer ce principe en fonction des dispositions propres à la procédure concernée.

Par exemple, l’avis émis par un conseil médical est un acte préparatoire. Toutefois, s’il ne peut donc être contesté devant le juge administratif [7], il doit néanmoins être communiqué à l’agent qui le demande, sans attendre la décision finale, puisque des dispositions particulières le prévoient [8].

c. Le juge administratif peut aussi être conduit à apprécier la nature de l’acte qui lui est déféré.

Il peut s’appuyer sur le fait que la décision prend la forme d’une lettre et peut déduire des termes dans lesquelles elle est rédigée pour aboutir au fait qu’il ne s’agit pas d’une décision faisant grief mais d’une simple déclaration d’intention [9].

Le juge a également pu juger qu’un acte, intitulé « décision  », accordant une remise gracieuse, prise par une commission permanente d’un département, agissant sur une délégation du conseil départemental pour accorder les remises gracieuses de dettes, constitue finalement un acte préparatoire insusceptible de recours, dès lors que la décision de rejet ou d’octroi de la remise gracieuse incombe, en réalité, au ministre après avis de l’ordonnateur de l’organisme public et du comptable public assignataire [10].

Le fait que la décision comprenne la mention des voies et délais de recours ne change rien à cette requalification possible par le juge [11].

La vigilance doit donc s’imposer lorsque une décision donne lieu à l’édiction de plusieurs actes par l’administration, quel que soit leur forme et leur contenu.

II. La nature préparatoire d’un acte administratif dans le contentieux des créances administratives.

La difficulté à analyser la portée juridique d’un acte administratif et, par conséquent, à apprécier la possibilité d’exercer son droit au recours contre celui-ci, s’exprime également dans le contentieux relatif aux créances détenues par l’administration.

Dans un avis du 25 juin 2018, le Conseil d’Etat a précisé la décision attaquable devant lui, lorsque le paiement d’une somme est exigée par l’administration :

- L’administration peut opter pour informer l’agent qu’il doit rembourser une somme indument payée et qu’en l’absence de paiement spontané de sa part, un titre de perception lui sera notifié.
Dans ce cas, ce courrier constitue une mesure préparatoire du titre de recette annoncé et n’est pas susceptible de recours.

- Cependant, pour les agents, l’administration peut également choisir d’informer l’agent, par un courrier, de ce qu’il doit rembourser une somme indument payée et qu’en l’absence de paiement spontané, cette somme sera retenue sur sa rémunération.
Ce courrier a, dans cette hypothèse, la nature d’une décision, qui est susceptible de faire l’objet d’un recours de plein contentieux.

L’appréciation de la bonne décision à attaquer résulte donc d’une appréciation, au cas par cas, du contenu des actes reçues.

Dans ce même avis, le Conseil d’Etat évoque également la situation où l’administration procéderait directement à une retenue sur la rémunération d’un agent sans information préalable. Dans ce cas, l’administration est réputée prendre une décision, révélée par cette opération, qui est alors susceptible de recours [12].

Mettant en œuvre cet avis, le Conseil d’Etat a jugé qu’une lettre indiquant, d’une part, le montant des rémunérations trop perçues et, d’autre part, le fait que les modalités de remboursement des autres sommes trop perçues seront précisées par un courrier ultérieur, n’est pas susceptible de recours au motif qu’elle annonce que les modalités de répétition de l’indu seront détaillés dans un courrier ultérieur [13].

Un arrêté, intitulé « arrêté municipal de liquidation d’astreinte administrative », annonçant le montant de la somme totale et qu’elle sera recouvrée « dans les conditions prévues pour les produits communaux », est également considéré par le juge comme se bornant à informer le requérant du montant de l’astreinte, sans constituer ni son fondement de l’astreinte ni l’acte de recouvrement. Il s’agit donc d’un acte préparatoire [14].

En conclusion, le destinataire d’un courrier de l’administration, en désaccord avec son contenu, doit veiller à bien étudier sa nature, sans s’arrêter à son intitulé ou à ses mentions.

Seul compte sa portée, pour qualifier s’il s’agit d’un acte préparatoire, faisant grief, et susceptible de recours.

La détermination de l’acte final permet effectivement d’éviter une irrecevabilité de la requête, dirigée contre une mauvaise décision, qui privera le demandeur de son droit au recours.

Enfin, pour être complet, le destinataire doit également veiller à vérifier l’existence de recours administratifs obligatoires, préalables à la saisine du juge.

C’est, par exemple, le cas pour les titres exécutoires émis par l’Etat [15] ou pour les militaires [16].

Guillaume Delarue
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil National des Barreaux
www.delarueavocat.com

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Notes de l'article:

[1CAA Nantes, 30 décembre 1998, n° 97NT01014.

[2CE, 17 février 2010, n° 325520, CE, 4 avril 2018, n° 414263, aux Tables.

[3CE, 14 juin 2010, n° 318712, aux Tables.

[4CAA Marseille, 5 juin 2012, n° 10MA00852.

[5Articles L. 311-1 à D. 312-11 du code des relations entre le public et l’administration.

[6Article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration.

[7CE, 12 juillet 1995, n° 154128, CAA Paris, 4 juillet 2018, n° 16PA03471.

[8CADA, 9 mars 2017, Ministère des solidarités et de la santé, avis 20170061.

[9CAA Paris, 29 juillet 2022, n° 21PA04422

[10CAA Marseille, 14 juin 2021, n° 19MA00916.

[11CAA Paris, 4 juillet 2018, n° 16PA03471.

[12CE, 25 juin 2018, Gallet, n° 419227, au recueil.

[13CE, 29 décembre 2020, Ministre de l’enseignement supérieur et Université de Savoie, n° 425728, 429165.

[14TA Montreuil, ord., 29 novembre 2022, n° 2116027.

[15Article 118 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique pour l’Etat.

[16Article L4125-1 du code de la défense.

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Discussions en cours :

  • Bonjour Maître,

    Je vous cite :

    "La détermination de l’acte final permet effectivement d’éviter une irrecevabilité de la requête, dirigée contre une mauvaise décision, qui privera le demandeur de son droit au recours."

    Voulez-vous ici dire que, au cas où le requérant dirigerait son recours à l’encontre d’un acte préparatoire (s’étant donc mépris sur la nature de l’acte), il serait irrecevable à former, ultérieurement, un nouveau recours à l’encontre de l’acte définitif ?

    Existe-t-il une jurisprudence en ce sens ; si oui, laquelle ?

    Bien cordialement.

    • par Guillaume DELARUE , Le 24 juillet 2023 à 10:06

      Bonjour Monsieur,

      Le recours contre l’acte final est toujours possible. En pratique, on constate néanmoins que les requérants, bien souvent qui attaque seul des actes administratifs, n’attaquent pas l’acte final, pensant que le recours contre l’acte préparatoire suffit.

      Cependant, chaque recours sont indépendants les uns des autres. Il revient au juge soit de prononcer une jonction soit de ne se prononcer que sur le recours dirigé contre la bonne décision.

      Cordialement

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