I. Conditions du cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail.
Il résulte des articles L1221-1 et suivants du Code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Un dirigeant détenant un mandat social au sein de la société peut cumuler cette fonction avec un contrat de travail au sein de cette même société sous la condition que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif et à des fonctions techniques distinctes qui marque une différenciation entre les fonctions relavant du mandat social et celles relevant du contrat de travail et qu’il existe un lien de subordination.
Il est donc possible de cumuler un contrat de travail et un mandat social mais à certaines conditions :
Exercice de fonctions techniques distinctes de celles menées dans le cadre du mandat et donnant lieu à une rémunération distincte,
Existence d’un lien de subordination vis-à-vis de la société,
Absence de fraude à la loi.
L’existence ou non d’un lien de subordination sera ainsi recherchée par les juges en cas de litige pour écarter ou non la validité du contrat de travail.
En effet, on ne peut être salarié « sous sa propre autorité ».
Ainsi, un dirigeant « salarié » ayant tous pouvoirs en tous domaines au sein de la société [1] ne se verra normalement pas reconnaître la fonction de salarié, quelle que soit d’ailleurs les positions du Pôle Emploi, de l’URSSAF ou de l’administration fiscale sur ce point.
Il convient donc d’examiner chaque point.
- Fonctions techniques distinctes.
L’exercice de fonctions techniques distinctes de fonctions de direction conditionne le cumul du mandat social avec le contrat de travail.
Ces fonctions supposent des attributions mettant en œuvre des connaissances particulières et une séparation entre celles-ci et les missions menées au titre du mandat.
Si les fonctions sont absorbées par le mandat social, le cumul est écarté.
Cette absorption relève d’une appréciation de fait où la taille de la société revêt une grande importance.
En effet, plus la société est petite, plus les fonctions de direction technique exercées sous couvert du contrat de travail et les missions du mandat social tendent à se confondre.
Le mandataire social, qui se prétend également titulaire d’un contrat de travail dans la même entreprise, doit donc démontrer le caractère réel de son contrat et en particulier l’existence d’un lien de subordination, ainsi que la possibilité d’isoler les fonctions salariées [2].
- Rémunération distincte.
Le versement d’une double rémunération constitue un indice du cumul du mandat social avec un contrat de travail.
Cependant, le mandat social pouvant être confié à titre gratuit, l’absence d’une rémunération n’exclut toutefois pas le cumul.
- Lien de subordination.
Les fonctions confiées au titre du contrat de travail doivent s’exercer dans le cadre d’un lien de subordination.
Celui-ci suppose que l’intéressé exerce ses fonctions techniques sous le contrôle d’un organe ou d’un représentant de la société auquel il rend compte de son activité.
Le cumul est écarté, faute de lien de subordination, si le mandataire social exerce ses fonctions techniques en toute indépendance ou s’il dispose du monopole des connaissances nécessaires à celles-ci.
L’appréciation du caractère subordonné ou non des fonctions techniques relève de l’appréciation souveraine des juges. La soumission du dirigeant à des instructions précises, notamment écrites, des comptes rendus d’activité très réguliers, le contrôle des horaires de travail de l’intéressé, des retenues sur salaire en cas d’absence injustifiée, ou la mise en œuvre à son encontre du droit disciplinaire (avertissements…) sont autant d’indices de la réalité du lien de subordination.
La recherche du lien de subordination juridique suppose d’isoler les fonctions de mandataire de celles que l’on voudrait voir qualifier de salariées et rechercher, pour ces dernières, si elles sont bien exercées dans un lien de dépendance.
Aussi la Cour de cassation considère que le lien de subordination ne doit pas se confondre avec les directives que peut recevoir le mandataire de la part des associés ou du conseil d’administration et qui sont la conséquence logique de son mandat [3].
- Absence de fraude à la loi.
Le contrat de travail, bien évidemment ne doit pas avoir été conclu dans le seul but de frauder ou de contourner la loi.
Est ainsi illicite, le contrat visant à détourner la règle de la libre révocabilité des dirigeants en assurant à l’intéressé la permanence de l’emploi.
En pratique, le cumul d’un contrat de travail avec la fonction de mandataire social n’est envisageable que pour certains dirigeants pour lesquels un lien de subordination envers la société est supposé pouvoir exister réellement.
En revanche, les dirigeants qui détiennent les pouvoirs les plus étendus sur leur société ne peuvent cumuler leur mandat avec un contrat de travail puisqu’ aucun lien de subordination ne peut exister entre eux et la société.
Le contrat de travail pour être valide, doit quant à lui, correspondre effectivement à des fonctions techniques spécialisées rémunérées dans la société, bien distinctes de la fonction de dirigeant : directeur commercial [4], chef des ventes [5], etc.
Cette distinction ne peut, en fait, être réelle que dans les entreprises suffisamment importantes où le dirigeant ne concentre pas l’ensemble des pouvoirs au titre de son mandat.
Pour le dirigeant, l’enjeu est considérable puisque, si son contrat de travail est reconnu valable, il aura droit à la protection accordée aux salariés, en cas de licenciement, par le Code du travail et pourra bénéficier de l’assurance chômage du régime des salariés.
La question dans le cas où il n’y aurait pas de cumul sera de savoir s’il y a suspension du contrat de travail ou novation (le mandat social remplace le contrat) ?
II. Conséquences de l’absence de cumul.
A. Le sort du contrat en cas de cumul irrégulier et les conséquences.
Dès lors que les conditions obligatoires du cumul ne sont pas remplies, le cumul est irrégulier.
Si le contrat de travail est antérieur au mandat social, il doit être rompu ou bien il est suspendu pendant la durée du mandat social.
Cela signifie que lorsque le mandat social prend fin, le contrat de travail reprend.
En revanche, si le contrat de travail en cause est postérieur au mandat social, il risque la requalification en contrat nul, les parties étant à l’origine d’une fraude à la loi.
Le cas échéant, le dirigeant est tenu de rembourser les salaires perçus au titre du contrat de travail nul et ne peut pas bénéficier du statut protecteur de salarié.
L’absence de contrat implique non seulement une absence d’affiliation à Pôle Emploi mais également une non application du Code du travail et de ses règles protectrices y compris quant au licenciement.
En effet, les mandataires sociaux n’ont bien évidemment absolument pas le même statut que les salariés.
En l’absence de fraude et /ou de novation lorsque le cumul ne répond pas à l’une des conditions requises, le contrat de travail se trouve, en l’absence de convention contraire, suspendu pendant le temps de l’exercice du mandat [6].
La nomination en qualité de mandataire n’entraîne en effet pas automatiquement novation du contrat [7].
La rupture du contrat de travail par novation est même devenue une hypothèse marginale.
En effet, aux termes de l’article 1330 du Code civil, la novation ne se présume pas. Il appartient donc à ceux qui contestent la suspension du contrat de travail de rapporter la preuve, difficile, de l’intention des parties d’apporter une novation au contrat de travail (exemple : une décision expresse du conseil d’administration) [8].
Après la révocation du mandat, le conseil de prud’hommes reste donc compétent en cas de litige, à moins de démontrer
« l’existence d’une novation permettant de considérer que le contrat de travail n’avait pas été suspendu pendant l’exercice du mandat social mais avait disparu avec tous ses effets » [9].
Par conséquent, si le contrat de travail est suspendu durant le temps du mandat, en cas de cessation des fonctions de mandataire social, le contrat de travail reprend.
B. Le rescrit auprès de Pôle Emploi.
Si en réalité le salarié ne cumule pas contrat de travail et mandat social il n’est pas éligible au régime de l’assurance chômage.
Mais le dirigeant qui présume être titulaire d’un contrat de travail, sans prendre un avis autorisé, risque une déconvenue au moment où il demandera le bénéfice du chômage, Pôle emploi étant libre de contester le bien-fondé de son affiliation.
Aussi est-il recommandé, conformément à la directive Unedic no 36-02 du 31 juillet 2002 de demander par avance l’avis de Pôle emploi.
La demande, formulée auprès de l’agence Pôle emploi compétente, est adressée soit par la société, soit par l’intéressé.
Pôle emploi renvoie au demandeur un questionnaire préétabli.
La réponse notifiée par Pôle emploi lie ce dernier.
Si, donc, l’avis est négatif et qu’il apparaît que le dirigeant a acquitté, à tort, la cotisation de chômage, celle-ci lui est remboursée dans la limite de la prescription triennale. La décision de Pôle emploi s’impose à l’Urssaf [10].
A l’inverse, si l’avis est positif et qu’il apparaît que le dirigeant n’a pas cotisé au chômage, une régularisation lui sera demandée, dans la limite des cinq dernières années.
La loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance a créé une procédure de rescrit, permettant à une entreprise de saisir Pôle Emploi sur la situation de son ou de ses mandataires sociaux à l’égard de l’assurance chômage.
Cette procédure de rescrit ne remet pas en cause l’existence de la procédure d’interrogation de Pôle emploi décrite ci-dessus.
La procédure de rescrit est précisée par les articles R5312-5-1 du Code du travail.
Il convient donc d’interroger Pôle Emploi à cet égard afin d’être éclairé.
Si le salarié n’est pas éligible à Pôle Emploi, la société peut souscrire une assurance privée qui se substituerait à l’assurance chômage publique.
La souscription à cette garantie impliquera tout d’abord une adhésion de l’employeur à un syndicat patronal.
Discussions en cours :
J’ai une question et je n’arrive pas à trouver de réponse.
Une SA souhaite céder une de ses activités à un acquéreur. Cet acquéreur souhaite reprendre un salarié qui est DGD de la SA cédante et qui cumule son mandat social avec un contrat de travail (le contrat de travail étant antérieur à ses fonctions de DGD) dans la SA. Est ce possible ?
Bonjour à tous,
J’ai une question dont la réponse est introuvable
Voici le cas ;
Un salarié devient gérant majoritaire dans une SARL. Son contrat de travail est donc suspendu.
Au bout d’un an et demi la société est en liquidation judicaire.
Ma question est la suivante, que devient le contrat suspendu ? Le gérant majoritaire pourra t-il prétendre aux allocations chômage ?
En vous remerciant pour votre réponse.
Cordialement.
Oui, c’est un bon article, et j’avais traité le même sujet il y a quelques années sur le VILLAGE DE LA JUSTICE. Vincent COLLIER, avocat.
Article éclairant et très complet, susceptible de rendre de réels services aux mandataires hésitant à déclarer l’activité salariée qu’ils exercent à titre complémentaire au sein de leur entreprise.
Bonjour,
Est ce q’un DG de sas n’ayant aucune part social dans la société , n’ayant pas de procuration bancaire, mais qui a un Président au dessus de lui ; ayant suspendu son contrat de travail au profit du mandat social , peut il entamer un procédure dans le cadre de la faute inexcusable de son employeur suite a un accident du travail (chute) (a l’encontre du Président) sachant que le lien tant économique que de subordination est clairement caractérisé (seul employeur donc dépendance économique , fiche de paie avec charges salariale et patronal ,affiliation au congé payé, ordre , courrier de sanction, horaires imposés....)
Enfin le DG est sur le Kbis
Merci a chacun pour vos réponses