Du crédit-bail et de l’action en restitution en droit des procédures collectives.

Par Yohanne Kessa, Doctorant.

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Explorer : # crédit-bail # action en restitution # procédure collective # droit de propriété

Ce que vous allez lire ici :

La procédure collective peut avoir des effets négatifs pour de nombreux créanciers. Cependant, les créanciers qui ont réservé la propriété d'un bien du débiteur sont avantagés. La publication du contrat de crédit-bail est essentielle pour bénéficier de cette protection. La demande de restitution ne peut être faite que par le propriétaire et non par voie de revendication.
Description rédigée par l'IA du Village

À défaut de publication, sur le fondement de l’article R313-10 du Code monétaire et financier, les droits greffés aux biens du propriétaire ne sont pas opposables aux créanciers du preneur, c’est-à-dire à la procédure collective, sauf à prouver que « les intéressés avaient eu connaissance de l’existence de ces droits », preuve quasiment impossible à rapporter.

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Si la procédure collective peut produire des effets pernicieux pour de nombreux créanciers, ceux qui ont réservé la propriété d’un bien détenu pour le débiteur tirent indéniablement leur épingle du jeu. En effet, en raison de leur qualité de propriétaire, ils peuvent empêcher que leurs biens soient attraits à la procédure collective ouverte, si bien que, selon Madame la professeure Macorig-Venier, le créancier propriétaire est appréhendé par la procédure « sous une double casquette, celle de créancier et celle de propriétaire, jouant indépendamment l’un de l’autre, la propriété masquant complètement le droit de créance qu’elle vient garantir [1] ».

C’est pourquoi, à ce jeu, les crédits-bailleurs bénéficient d’une situation de faveur lorsque le crédit-preneur est soumis à une procédure collective, essentiellement parce que leur contrat fait l’objet d’une publicité, mais encore, faut-il, que cette publicité ait été régulièrement effectuée. Dans une de ses nombreuses décisions du 2 mai 2024 consacrée aux entreprises en difficulté, la chambre commerciale de la Cour de cassation [2] vient consacrer de nouveau le droit de propriété du crédit-bailleur.

En l’espèce, courant 2016, un contrat de crédit-bail prévoyant la mise à disposition de quatre véhicules fut conclu entre deux sociétés (que nous appellerons la société N-T et la société VB dans la suite de ce commentaire). La société N-T est le crédit-preneur et la société VB le crédit-bailleur. Par un jugement du 10 avril 2018, la société N-T fut mise en redressement judiciaire et les contrats de crédit-bail furent poursuivis.

Le 22 mai 2018, la société VB déclara sa créance et adressa à sa locataire une lettre rappelant son droit de propriété et l’existence de loyers impayés. Le 24 septembre 2019, la procédure fut convertie en liquidation judiciaire.

Par une requête du 16 janvier 2020, le liquidateur judiciaire de la société N-T saisit le juge-commissaire pour être autorisé à vendre aux enchères publiques les quatre véhicules pris en crédit-bail. Entre-temps, le nom du liquidateur crédit-preneur fut changé (nous lui donnerons pour nouvelle dénomination société P).

En appel, les juges du fond rejetèrent la requête du liquidateur judiciaire afin d’être autorisé à vendre aux enchères publiques les quatre véhicules pris en crédit-bail, et sa demande de versement du prix de ces biens à la liquidation et d’ordonner l’attribution définitive du produit de la vente des quatre véhicules au crédit-bailleur.

Le liquidateur se pourvoit en cassation en arguant d’une autorisation à vendre aux enchères publiques les biens litigieux et à appréhender le prix de vente au profit de la liquidation judiciaire.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation rappelle que l’action en restitution n’était qu’une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire reconnaitre son droit de propriété en application de l’article L624-10 du Code de commerce. Ce faisant, la publication du crédit-bail, condition sine qua none de la dispense de revendication est auréolée d’une protection législative et prétorienne bienvenue (I), si bien que l’effet inhérent à la dispense de revendication et au succès de la revendication ne peut être que l’action en restitution (II).

I- La publication du crédit-bail, condition sine qua none de la dispense de revendication.

En l’espèce, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi du requérant, donne des leçons utiles en matière de droit des procédures, notamment en matière de crédit-bail lorsque le crédit-preneur d’un crédit-bailleur est soumis à une procédure collective.

Il est acquis qu’en droit positif français, il y a lieu de distinguer l’hypothèse selon laquelle la clause de réserve de propriété, ou tout contrat où le propriétaire se réserve la propriété du bien fut publié, de celle où le contrat n’a fait l’objet d’aucune publicité à la date du jugement d’ouverture.

Si dans le premier cas, l’on applique les règles de l’action en revendication et celles propres à la clause de réserve de propriété [3], dans le second cas, le propriétaire est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété dès lors que le contrat de vente assorti d’une clause de réserve de propriété ou de tout autre contrat où le propriétaire se réserve la propriété du bien fut publié à la date du jugement d’ouverture dans les conditions prévues par l’article R313-4 du Code monétaire et financier. Il exerce l’action en restitution.

A défaut de publication, sur le fondement de l’article R313-10 du Code monétaire et financier [4], les droits greffés aux biens du propriétaire ne sont pas opposables aux créanciers du preneur, c’est-à-dire à la procédure collective, sauf à prouver que « les intéressés avaient eu connaissance de l’existence de ces droits » [5], preuve quasiment impossible à rapporter.

En l’occurrence, le crédit-bailleur avait bien revendiqué les biens litigieux dans son courrier du 22 mai 2018 adressé à sa locataire qui bénéficiait d’une procédure de redressement judiciaire, courrier qui était expressément et clairement intitulé « requête en revendication de propriété ». Le crédit-bailleur indiquait également dans son courrier être créancier au titre des loyers impayés et à courir, qu’il avait effectué les « mesures de publicité obligatoire », et qu’il entendait « donc faire valoir (son) droit de propriété sur les véhicules objets des contrats de crédit-bail et revendiquer lesdits biens » en sorte que, si le courrier visait incidemment à ce que soit « autoris(ée) la restitution des véhicules », la demande du crédit-bailleur consistait bien en une revendication, ce que confirmait encore l’affirmation selon laquelle « nous (i.e. le crédit-bailleur) vous précisons que cette revendication est faite pour préserver nos droits sur ces véhicules ».

Aussi, à l’emploi du terme revendiquer, pourtant mentionné à trois reprises, que le liquidateur judiciaire considère comme une « pure maladresse rédactionnelle » de la part du crédit-bailleur, la Cour rappelle que « le juge ne peut dénaturer l’écrit qui lui est soumis ».

En outre, la Cour régulatrice constate que les termes ambigus de la lettre du 22 mai 2018 avaient conduit les juges du fond à analyser la lettre litigieuse comme une demande de restitution formulée par le crédit-bailleur. Néanmoins, les diligences légales avaient été correctement respectées par le crédit-bailleur qui avait publié régulièrement les contrats de crédit-bail litigieux avant l’ouverture de la procédure collective, de sorte que le crédit-bailleur était dispensé de la procédure de revendication et était soumis à la procédure de restitution, conformément aux articles L624-10 et R624-14 du Code de commerce.

De plus, dans la continuité de la publicité des contrats de crédit-bail, une demande de restitution avait été formalisée le 4 mai 2018 par le crédit-bailleur auprès du crédit-preneur, sans qu’une réponse ait été apportée à cette demande dans le délai d’un mois, retenant ainsi que l’absence de réponse du débiteur n’équivalait pas à un refus de restitution. Il ajoute que, bien que le crédit-bailleur n’ait pas saisi le juge-commissaire d’une requête en restitution, laquelle n’est qu’une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire reconnaître son droit de propriété, les véhicules n’étant pas entrés dans le gage commun des créanciers, ils ne pouvaient être vendus aux enchères publiques avec versement du prix entre les mains du liquidateur judiciaire sur le fondement des dispositions de l’article L642-19 du Code de commerce. Ainsi, les biens litigieux ne pouvaient qu’être restitués (II).

II- L’effet inhérent à la dispense de revendication et au succès de la revendication, l’action en restitution.

Certes, le bailleur est chargé d’avertir le crédit-preneur de ces droits sur l’acquisition du bien, et puisque le crédit-bail donne au crédit-preneur un droit de jouissance des véhicules litigieux, le revendiquant qui demande restitution du bien doit quand même attester qu’il est bien le propriétaire du bien dont il réclame la restitution, la Haute juridiction prenant soin de rappeler dans l’espèce commenté que :

« l’action en restitution n’est qu’une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire reconnaitre son droit de propriété en application de l’article L624-10 du code de commerce ».

Cela suppose donc que le bien ait été préalablement individualisé. Ce qui ne soulève guère de difficulté particulière lorsque le bien en cause est un corps certain.

Il en va différemment cependant lorsqu’il s’agit d’un bien fongible et qu’il y a eu plusieurs livraisons de biens fongibles de même nature au bénéfice du débiteur et/ou lorsque celui-ci est déjà en possession de tels biens fongibles au moment de la demande en restitution. Dans cette hypothèse, la restitution devrait être exclue sauf à faire obstacle à la fongibilité en isolant le bien.

En l’espèce, les véhicules sont au nombre de quatre, si bien que l’on ne peut les isoler si aisément, et le revendiquant a bien apporté la preuve qu’il était le véritable propriétaire des biens litigieux grâce, tout particulièrement, au courrier du 22 mai 2018 adressé au crédit-preneur qui bénéficiait d’une procédure de redressement judiciaire.

La Haute juridiction exclut par ailleurs qu’une telle individualisation puisse permettre la revendication des sommes d’argent en considérant que :

« une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d’une somme d’argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur » [6].

Puisque la revendication précède la restitution et que la revendication de ces biens n’est guère possible, la restitution ne sera également pas possible. Le créancier doit en amont déclarer sa créance pour s’assurer de la reconnaissance de ses droits à la procédure collective de son débiteur. En l’occurrence, le crédit-bailleur a déclaré bien en amont sa créance le 22 mai 2018, adressant même au crédit-preneur une lettre rappelant son droit de propriété et l’existence de loyers impayés.

C’est à la lumière de tout ce cadre juridique qu’il nous apparait de bon aloi que l’arrêt commenté est un rappel utile, nécessaire, et une invitation sérieuse adressée aux liquidateurs judiciaires à être vigilants sur les correspondances et les échanges entretenus avec le crédit-bailleur d’un débiteur soumis à une procédure collective s’ils désirent protéger au mieux les intérêts du crédit-preneur.

Yohanne Kessa,
Doctorant en droit privé à l’Université Paris Cité.

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Notes de l'article:

[1F. Macorig-Venier F, L’exclusivité, LPA, 11 févr. 2011, n° 30, p. 59

[2Com. 2 mai 2024, n°21-25.720.

[3C.com., art. L.624-16, al. 2.

[4C.mon. fin., art. R.313-4 : « Si les formalités de publicité n’ont pas été accomplies dans les conditions fixées par les articles R521-1 et suivants du code de commerce, l’entreprise de crédit-bail ne peut opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété, sauf si elle établit que les intéressés avaient eu connaissance de l’existence de ces droits ».

[5Ibid.

[6Com., 4 févr. 2003, n°00-13.356 : D. 2003. 1230, obs. A.Lienhard ; RTD com. 2003. 572, obs.A.Martin-Serf ; JCP E 2003, p.1536, note D. Robine ; Defrenois 2003, p. 1163, obs. R. Libchaber ; RDBF 2003, n°154, obs. F.X. Lucas.

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