L’Assemblée nationale est dissoute ! Vive l’Assemblée nationale ! Si l’événement politique hexagonal du 9 juin 2024 devait être l’objet des commentaires médiatiques et politiques relatifs à la victoire historique [1] et retentissante du Rassemblement national (RN), anciennement dénommé Front nationale (FN), le président de la République Emmanuel Macron a décidé de « jouer à l’apprenti sorcier », en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, déplaçant ainsi habilement l’axe des analyses électorales de la victoire tonnante du RN vers la dissolution de la chambre basse du Parlement français, accaparant aussitôt l’espace politique et médiatique et, d’un coup de main de maître, pose un voile sur la défaite du camp présidentiel aux élections européennes de 2024.
Si cette audace politique est digne d’une mise en scène à la David Copperfield, il est évident que la scénographie, la lumière [2], et le son de la voix du président de la République Emmanuel Macron donnent à voir le scénario d’un blockbuster politique hollywoodien époustouflant où le chef de file du parti au pouvoir, acculé, renverse la table, et redistribue les cartes, espérant avoir en ses mains « le joker » fatal pour « tuer le jeu [3] » et remporter le jackpot. C’est l’ultime jeu où l’on joue le tout pour le tout. Seulement voilà, « le coup de théâtre [4] », « le coup de tonnerre [5] », « le coup de bluff », « le coup de poker [6] », le « pari risqué [7] » politique et institutionnel du président de la République Emmanuel Macron ne sera pas sans conséquences pour son propre héritage politique, pour son parti et, pour la France [8], en cas de défaite électorale aux élections législatives anticipées des 30 juin (1er tour) et 7 juillet (2nd tour) prochains.
Par ailleurs, d’un point vue européen et national, l’opportunité de cette décision du président de la République interroge [9], et certains acteurs politiques semblent déjà s’éloigner de son auteur afin de préserver leur capital politique en vue des élections présidentielles et législatives en 2027 pour ne plus être comptable d’un bilan mitigé du quinquennat « macronisme » qui pourrait leur nuire.
S’il faille remonter à 1997 pour la précédente dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le président de la République Jacques Chirac, nous vous proposons en l’occurrence un retour historique sur les six dissolutions intervenues sous la Vème République, régime en vigueur en France depuis le 4 octobre 1958, en faisant une analyse politique et juridique de la dissolution prononcée par le président de la République Emmanuel Macron d’un point de vue contextuel.
I. La dissolution, une arme institutionnelle et politique au service du président de la République.
Si le Conseil d’Etat [10] et le Conseil constitutionnel [11] se sont déclarés incompétents pour connaitre d’un recours contre l’acte du président de la République portant dissolution de l’Assemblée nationale, depuis 1962, la dissolution est une arme politique et institutionnelle absolue consacrée par l’article 12 de la Constitution de la Vᵉ République française au Titre II de ladite Constitution intitulé « Le président de la République », identifiée comme un pouvoir propre du président de la République, lequel article 12 dispose que : « Le président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections ».
Concrètement, en actant la sixième dissolution de la Vᵉ République, Emmanuel Macron s’est inscrit dans la droite ligne de quatre de ces prédécesseurs ayant mis en œuvre ce dispositif juridique. Il importe donc de rappeler ces différents événements qui ont marqué la vie politique et institutionnelle française, tout en précisant l’impossibilité de dissoudre le Sénat français, la dissolution prévue par la Constitution ne concernant que l’Assemblée nationale.
Tout d’abord, la dissolution de 1962 est émaillée par un conflit entre l’Assemblée nationale et le président de la République Charles de Gaulle.
À l’origine, le Président de la République française était élu au suffrage universel indirect par un collège comprenant environ 80 000 grands électeurs. Ce collège était composé des parlementaires (députés et sénateurs), de conseillers généraux et d’élus municipaux. Afin d’éviter une trop grande inégalité dans la représentation des communes, les conseillers municipaux des grandes villes désignaient des grands électeurs supplémentaires, cependant que la représentation des petites communes était limitée à leur seul maire.
Ainsi, élu premier président de la Vᵉ République française par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle disposait d’une large majorité à l’Assemblée nationale. Son premier ministre, Georges Pompidou gouvernait grâce à un contrat d’alliance entre le parti présidentiel qu’était l’Union pour la nouvelle République (UNR) et deux autres partis de droite, le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) et, le Mouvement républicain populaire (MRP).
En 1962, Charles de Gaulle eut alors la volonté d’amender la Constitution du 4 octobre 1958 pour que le président de la République soit désormais élu au suffrage universel direct, c’est-à-dire par l’ensemble des Français, au même titre que les députés. Mais, la majorité des députés qu’il croyait acquise à sa cause s’opposa à ce projet de réforme constitutionnelle, provoquant ipso facto la décision du Général de convoquer un référendum sur la question. Il se résout à la faire au moyen de l’article 11 de la Constitution relatif à l’organisation des pouvoirs publics, en lieu et place de l’article 89 portant sur la révision de la Constitution qui l’eut obligé à obtenir le consentement du Parlement avant le référendum soumis au vote des Français. En réaction à ce qui a été interprété comme un « coup de force », puis comme un « coup d’Etat permanent [12] », l’Assemblée nationale vota une motion de censure pour renverser le gouvernement Pompidou - la seule motion de censure qui a abouti dans l’histoire de la Vᵉ République.
Georges Pompidou a alors remis sa démission au président de la République, lequel la refusa, et contre-attaqua, en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 octobre 1964, et en convoquant des élections législatives après le référendum. Le 28 octobre 1962, les Français approuvèrent à 62% l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En novembre 1962, l’UNR de Charles de Gaulle remporta largement les élections législatives et Georges Pompidou fut conforté à son poste de chef du gouvernement et de Premier ministre.
Ensuite, six ans plus tard, après qu’il eut résolu une crise institutionnelle et politique par la dissolution, Charles de Gaulle retenta le coup de la dissolution pour sortir d’une crise politique et sociale majeure : celle de Mai 68. Durant ce mois de mai 1968, la contestation étudiante avait abouti à une grève générale qui paralysait le pays. Les 25 et 26 mai sont négociés les « accords » de Grenelle entre les syndicats, le patronat et le gouvernement de Georges Pompidou, aboutissant à la hausse de 35% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et à des avancées sociales inédites depuis la Libération de la France, voire depuis les réformes sociales majeures du Front populaire de 1936, telles que la réduction du temps de travail, le droit syndical dans les entreprises, l’ouverture de discussions sur les retraites, sur les allocations vieillesse, sur les allocations familiales, sur le paiement des jours de grève à 50%.
Pour autant, la grève avait cependant continué dans de nombreux secteurs. Le 29 mai, Charles de Gaulle disparaissait pendant plusieurs heures : il était allé en catimini à Baden-Baden (Allemagne) pour consulter le général Jacques Massu. Le lendemain, alors qu’entre temps une grande manifestation de droite s’était tenue sur les Champs-Élysées, le président de la République revient, et prononce la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les 23 et 30 juin se tinrent des élections législatives, à peine plus d’un an après les dernières qui avaient vu une poussée des camps socialiste et communiste. Finalement, le parti gaulliste remporta franchement l’élection. Le président de la République qui fut alors conforté par la légitimité du vote composa un nouveau gouvernement, et remplaça Georges Pompidou comme un « fusible » par Maurice Couve de Murville, au poste de Premier ministre.
En 1969, après un énième référendum qui se traduisait comme les précédents dans l’esprit du Général et des français par « Pour ou contre de Gaulle ? » lors du référendum sur la création de régions et la réforme du Sénat qui déboucha sur la victoire du « Non », Charles de Gaulle démissionna.
Quelques années plus tard, un Président suivant a également dissous l’Assemblée nationale à deux reprises. Il s’agit du premier Président socialiste de la Vᵉ République, François Mitterrand.
Chaque fois, ces dissolutions furent prononcées à la suite d’une élection présidentielle, en 1981 et en 1988. En effet, à l’époque, la durée du mandat présidentiel était un septennat, tandis que celle du mandat législatif était un quinquennat. Lorsque l’élection présidentielle consacra la victoire de François Mitterrand face à Valéry Giscard d’Estaing le 10 mai 1981, l’Assemblée nationale était en majorité à droite. Très logiquement, le nouveau chef de l’État a dissous l’Assemblée nationale afin d’obtenir une majorité parlementaire qui devait lui permettre de mener à bien son programme décliné dans ses « 110 propositions pour la France ».
En 1988, le président de la République François Mitterrand est réélu pour un second septennat. Or, entre temps, les élections législatives de 1986 avaient été remportées par la droite, obligeant François Mitterrand à une cohabitation avec le chef de file de la droite, Jacques Chirac, qui a été logiquement nommé Premier ministre.
Dès sa réélection, François Mitterrand décide de dissoudre l’Assemblée nationale dans la même logique qu’en 1981, afin de pouvoir nommer un Premier ministre de son camp politique. Les élections législatives ne lui ont cependant donné qu’une victoire partielle, et le PS ne disposera que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, obligeant les différents Premiers ministres (Michel Rocard, puis Edith Cresson et Pierre Bérégovoy) à user, et à abuser de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour l’adoption de leurs textes, Michel Rocard détenant même à ce jour le record d’utilisation de cet article 49 alinéa 3 de la Constitution qu’il utilisa à vingt-huit reprises au début du second mandat de François Mitterrand, soit entre mai 1988 et mai 1991.
Ensuite, en 1995, Jacques Chirac est élu président de la République, mais ne dissout pas l’Assemblée nationale, où la droite dispose d’une large majorité depuis les élections législatives de 1993. Or, deux ans plus tard, son Premier ministre, Alain Juppé, est devenu très impopulaire. Ce faisant, Jacques Chirac, redoutant l’échéance des élections législatives prévues pour l’année 1998, décide, par un « coup de poker », de prendre tout le monde de court en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale le 21 avril 1997. Il pariait sur le fait que l’opposition de gauche n’aura pas le temps de s’organiser pour une campagne électorale éclaire contre la droite.
Contre toute attente, ce coup de poker échoua : le PS, les Verts, le PCF, les radicaux de gauche et le Mouvement des citoyens signent un contrat d’alliance nommée « gauche plurielle » qui remporte la majorité absolue. Jacques Chirac alors contraint à la cohabitation les cinq dernières années de son mandat nomma à Matignon le socialiste Lionel Jospin contre lequel il avait débattu au Grand débat du second tour de l’élection présidentielle de 1995.
En 2002, à la surprise générale, Lionel Jospin a été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle, et Jacques Chirac a été largement réélu face au candidat Jean-Marie Le Pen pour un quinquennat. Il est essentiel de rappeler en l’occurrence que la cohabitation Chirac-Jospin est à ce jour la dernière de la Vᵉ République, puisqu’en 2000, une réforme constitutionnelle avait réduit la durée du mandat du président de la République, de sept à cinq ans et, jusqu’à la dissolution prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, les législatives avaient toujours eu lieu à peine un mois après le second tour de l’élection présidentielle. Ce qui rendait la défaite du camp présidentiel beaucoup moins probable. A cet effet, devant le caractère inédit de cette dissolution d’Emmanuel Macron, la première sous un quinquennat, il convient de mettre en lumière les quelques enjeux et difficultés sous-jacents.
II. La dissolution, une arme politique et juridique à effet boomerang contre la majorité présidentielle en cas de défaite aux législatives.
Jamais un président de la République n’était intervenu à la télévision le soir des résultats des élections européennes ; jamais un président de la République n’avait dissous l’Assemblée nationale après les résultats des élections européennes, même lorsque son parti politique a subi une défaite électorale ; jamais un président de la République n’a prononcé une dissolution de l’Assemblée nationale alors qu’il pouvait tenter de signer des alliances politiques avec d’autres partis pour mener une politique gouvernementale.
Le Président de la République Emmanuel Macron a pris une décision qui, en vérité, aurait pu, aurait dû ne pas être prise [13], à en juger par les analyses des observateurs politiques et médiatiques, et les premiers agacements dans son propre camp [14]. Il semble avoir agi en mauvais perdant qui renverse totalement la table pour renvoyer dos à dos les Français et leurs députés, cependant que protégé par la Constitution et son mandat, il pourra observer d’en haut, alors qu’il avait entre les mains d’autres cartes politiques à jouer : ne rien faire, puisqu’à ces élections européennes, les partis d’extrême-droite ont enregistré une percée dans toute l’Europe ; changer de Premiers ministres ; signer un contrat de coalition avec d’autres partis politiques pour avoir la majorité absolue à l’Assemblée nationale ; dissoudre l’Assemblée nationale à l’issue du vote d’une éventuelle motion de censure (comme le fit en 1962 le Général de Gaulle).
« Je ne saurais, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était », a-t-il dit le dimanche 9 juin 2024 lors de son allocution à la télévision, moins d’une heure après l’annonce de la victoire du RN aux élections européennes. En convoquant les Français aux urnes d’ici trois semaines, le président de la République a provoqué un séisme politique. Depuis 2022, son camp ne disposait que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui compliquait la tâche du gouvernement. Le parti présidentiel mise alors sur un sursaut des électeurs modérés effrayés par la perspective d’une cohabitation avec l’extrême-droite à la tête du gouvernement.
Le RN espère quant à lui capitaliser sur sa dynamique après avoir obtenu les voix d’un électeur sur trois aux élections européennes. A droite, la tentation d’une alliance avec le RN n’est pas radicalement exclue par certains, tandis que d’autres refusent de franchir le Rubicon RN et s’arc-boutent pour préserver ce qu’il leur reste encore de l’héritage du gaullisme. À gauche, des tentatives de reconstituer une union dans l’urgence semblent se poindre à l’horizon. Et cela alors que la NUPES, née lors des législatives de juin 2022, avait été enterrée lors de la campagne pour les européennes, au cours de laquelle les différents partis de gauche s’étaient beaucoup invectivés par médias interposés.
Pour autant, si, indubitablement, cette décision d’Emmanuel Macron est « impardonnable [15] » pour certains, et seulement « surprenante [16] » pour d’autres, elle a des allures « égoïstes » pour d’autres encore, au regard, à venir, des évènements nationaux (célébration de la 84ème anniversaire de l’Appel du Général de Gaulle , participation de l’Equipe nationale de Football français à l’Euro en juin-juillet 2024, préparation par la France des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 en France, réservations ou départs en vacances d’été des Français, etc), et européens (Sommet européen à Bruxelles les 27 et 28 juin 2024 censé déboucher sur la nomination d’un candidat au poste de Président de la Commission européenne, soit trois jours avant le premier tour des élections législatives françaises, Sommet du G7 les 13 au 15 juin 2024, continuité des discussions entre européens sur la stratégie d’aides à apporter à l’Ukraine dans le conflit l’opposant à la Russie).
La rationalité de cette décision questionne, au regard des nombreux projets et réformes amorcés par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale : projet de fin de vie [17] qui était essentiel pour le Président de la République, début des travaux des commissions parlementaires sur la protection de l’enfance, sur les violences dans le cinéma, réforme de l’Audiovisuel public. Tous ces projets sont en suspens pour un résultat incertain, et une période d’instabilité s’ouvre alors que débuteront, précisons-le à nouveau, dans cinq semaines en France les Jeux olympiques. Le jeu valait-il la chandelle ?
La durée de la campagne électorale, soit 21 jours entre le 9 juin et le 30 juin qui acte le premier tour, pose en elle-même de sérieux problèmes pour le temps nécessaire aux différents candidats pour présenter aux Français le projet de leur parti politique. Pourtant, la détermination de la date du scrutin a pour effet mécanique de fixer, en fonction des dispositions du Code électoral y relatives, un certain nombre de règles et notamment celles qui fixent le calendrier applicable pour le dépôt des candidatures, les règles encadrant la propagande des candidats et les opérations préparatoires à l’organisation du scrutin.
Il est évident que l’annonce de ces élections législatives dans un délai court et contraint interroge sur l’efficacité des partis politiques à trouver des candidats sérieux, compétents et animés de l’intérêt national, puisqu’il s’agit de cela : représenter les Français. Certains partis politiques seront contraints de conclure très rapidement des contrats d’alliance, parce qu’ils n’auront pas d’autre choix s’ils espèrent obtenir des sièges à l’Assemblée, à commencer par le parti du Président de la République déjà très affaibli par des résultats des élections européennes. There is no alternative, dirait Margaret Thatcher.
À cette difficulté relative à la durée de la campagne électorale courte s’ajoute les risques d’abstention. En effet, depuis de nombreuses années, l’abstention demeure globalement, toutes élections confondues, à des niveaux élevés en France, réserve faite de l’élection présidentielle [18].
Les raisons sont assez circonstancielles. En effet, l’abstentionnisme très fort qui avait, par exemple, marqué les élections cantonales de 1988 (51% et 53%) - le plus élevé depuis la Libération pour des élections cantonales - avait été interprété comme la manifestation d’une certaine lassitude des électeurs devant des scrutins trop souvent répétés. On en avait rapproché la faible participation aux élections législatives précédentes de juin 1988 (34% d’abstention), et fait observer qu’il y avait là une tendance profonde (déjà 46,6% d’abstention aux élections cantonales de 1973) à bien trop souvent solliciter les électeurs sur des élections qui donnaient des mandats à des élus qui appelaient bien trop souvent les Français à leur donner un « quitus » sur un projet politique dont parfois les décisions ne leur appartenaient pas.
Pour autant, il est incontestable qu’avec cette dissolution, le président de la République joue son « va-tout » dans l’espoir d’obtenir une majorité absolue, non pas relative, puisque la précédente mandature avait été marquée par des blocages institutionnels à l’Assemblée nationale ayant obligé l’utilisation à vingt-trois reprises de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la Première ministre, Elisabeth Borne.
Soit Emmanuel Macron remporte son pari risqué grâce à la confiance et au vote espéré des Français pour les candidats de la majorité présidentielle à ces élections législatives, et alors le président de la République apparaîtra tel un génie politique pour beaucoup d’observateurs ; soit le pari est raté et le président de la République aura semblé faire peu de cas des conséquences de son pari pour l’avenir de la France qu’il expose à une éventuelle cohabitation et à une instabilité parlementaire pouvant débouchant sur une crise de régime inédite ; et pour l’avenir de l’Union européenne dont il s’était fait un fervent défenseur [19] : le RN qui aura obtenu plusieurs sièges au Parlement européen, aura également la majorité des sièges à l’Assemblée nationale et son chef de file, Jordan Bardella, sera nommé Premier ministre.
Le président de la République devra alors assumer seul les conséquences politiques de ce deuxième échec électoral en un mois qui aura couté à la majorité présidentielle des députés Français élus à l’Assemblée nationale en 2022 acquis à sa cause et à son projet, accepter la cohabitation avec un parti qu’il aura échoué à empêcher la montée vers le pouvoir contrairement à ce qu’il souhaitait, travailler sur son héritage politique avant la fin de son deuxième mandat pour que les Historiens et les Constitutionnalistes ne lui soient pas trop sévères dans leurs ouvrages, et surtout, préparer la transmission de témoin à la personne qui incarnera la continuité de son mouvement politique et du macronisme. La tâche, on l’aura compris, ne sera pas aisée. Mais si l’électorat du camp présidentiel venait à se mobiliser à nouveau massivement derrière leur « champion », ce pari risqué peut être remporté.
De son côté, le RN ne semble pas encore avoir tout saisi du piège tendu par Emmanuel Macron. Car remporter ces élections législatives anticipées lui donnera certes les clés de Matignon pour deux ans et demi, mais le parti fera face aux résistances farouches d’autres partis politiques qui l’empêcheront de mener entièrement son projet avant les élections présidentielles de 2027 que Marine Le Pen espère gagner en validant une troisième finale au Grand débat, devenant ainsi, la première personne à accéder consécutivement au second tour des élections présidentielles. Un record sous la Vème République.
Mais le risque politique n’est pas moindre, puisque le parti devra défendre le bilan d’une politique gouvernementale de deux ans et demi au lieu d’un quinquennat. Certains membres du parti Renaissance tenteront indubitablement de faire oublier en 2027 le bilan de leur « champion » de 2017 et de 2022, en faisant porter au RN les échecs politiques de ce dernier qui, pourraient-ils être tentés de dire, « n’avait pas de majorité à l’Assemblée nationale, et Matignon était aux mains du RN qui gouvernait la France », conformément à l’article 20 de la Constitution. Cependant, une victoire à ces législatives anticipées mettra le parti à l’épreuve du pouvoir. Et comme l’expérience est une leçon, nul doute que les champions du parti que sont Jordan Bardella et Marine Le Pen sauront capitaliser cette éventuelle première expérience à Matignon pour conquérir dans un avenir proche l’Elysée.
Notons cependant que le jeune âge de Jordan Bardella, 28 ans, et son parcours universitaire et académique hors des grandes écoles (ENA, Science Po, notamment) de la République française où de futurs Présidents de la République tissent en général leurs solides réseaux, pourraient être un frein à la victoire du parti nationaliste : beaucoup d’électeurs et d’opposants pourraient arguer, à tort ou à raison, que ne connaissant pas les arcanes et les complexités du pouvoir sous la Vᵉ République, Matignon pourrait être une marche bien trop haute pour « le chouchou » des électeurs du RN, à moins, bien sûr, que le parti signe un contrat d’alliance avec d’autres partis politiques (Reconquête, Les Républicains), comme l’union des gauches ayant débouché sur la « gauche plurielle » de 1997, s’il espère conforter son avance dans les sondages, et remporter une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
De toute évidence, les grandes manœuvres sont lancées, et en l’absence d’une alliance stratégique, le RN ne pourra pas l’emporter si aisément, ni gouverner sur la durée ni avec une facilité, et ce n’est pas en continuant à le diaboliser que les partis de gauche comme de droite, en passant par ceux du centre, seront plus audibles auprès des Français, et ramèneront à eux la confiance des Français portée désormais sur le parti de Marine Le Pen.
En définitive, il reste à savoir si la droite républicaine incarnée par Les Républicains - dont certains membres, comme Eric Ciotti sont désormais en alliance ouverte avec le RN, cependant que d’autres, tels que Bruno Retailleau ou encore Jean-François Copé, pour préserver le peu d’héritage politique qui reste du gaullisme, s’y opposent à franchir le Rubicon RN -, et le Nouveau Front Populaire qui se dessine et qui aura vocation à rassembler les différentes forces de gauche, sur les cendres de la NUPES divisée, sauront rapidement mobiliser également leurs électeurs pour venir jouer les troubles fêtes et endiguer la marche fulgurante du RN vers la victoire à ces élections législatives du 30 juin et 7 juillet qui, à n’en pas douter, poussent à la réécriture des manuels d’Histoire, de droit constitutionnel et des institutions politiques dès cet été 2024, eu égard à leur aspect historique considérable, en actant que désormais, pour l’avenir les élections européennes pourraient être liées au sort des députés français. En cela, cette dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Emmanuel Macron est inédite : l’Assemblée nationale est dissoute ! Vive l’Assemblée nationale ! pourrait-on dire.
Discussion en cours :
Excellent article d’analyse et de mise en perspective.
Ne faudrait-il pas, comme le pensent de nombreux constitutionnalistes, songer à amender la VèRépublique pour cet excès de présidentialisme ? La perversion de certains ego peut être un risque non négligeable d’hyper pouvoir à la tête de l’Etat...
Comment conserver les éléments de stabilité et d’efficacité de cette Constitution, mais en y introduisant des éléments de démocratisation indispensables et de respect du Parlement ?