La Consultation Citoyenne vers un Principe de Redevabilité.

Par Angélique Chassy, Docteure en Sciences Economiques et Arnaud Touati, Avocat.

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Explorer : # consultation citoyenne # participation démocratique # redevabilité # transparence politique

Ce fameux « effet miroir » où les citoyens vivant le quotidien peuvent aider les élus autour du « principe de Redevabilité » à mieux connaître les attentes et les besoins des citoyens afin de créer des politiques publiques efficaces.

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La défiance des citoyens envers les élus.

La Loi du 13 août 2004 a créé dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) une section qui s’intitule « consultation pour avis des électeurs » (art. L1112-15). Cette section indique que « les électeurs de la commune peuvent être consultés sur les décisions que les autorités municipales sont appelées à prendre pour régler les affaires de la commune (…) sur toute affaire relevant de la compétence » de la Collectivité Territoriale. Pour autant, on constate une gouvernance des politiques publiques par les élus le plus souvent dans un schéma conceptuel centraliste, qui laisse peu de place aux citoyens dans le processus décisionnel.

Pour les décideurs publics, la pertinence de la décision citoyenne résiderait dans « le vote » qui reste pour ces décideurs « le seul moment et/ou le seul outil » où les citoyens peuvent décider. Cette situation génère de la défiance dans notre système démocratique. L’exemple de la montée de l’abstentionnisme lors des élections montre la fin de ce système qu’il faut renouveler pour redonner de la confiance entre les citoyens et les élus. L’élu n’y est plus unique et la prise de décision publique doit s’opérer sur la base de positions communes qui devraient s’établir, en lien beaucoup plus étroit avec les citoyens concernés par les politiques publiques mises en œuvre. Comment remédier cependant à ce qu’on appellera la « crise contemporaine de la décision publique » ?

En effet, celle-ci incombe souvent à l’élu au cours de son mandat politique ce qui n’enclenche pas nécessairement la volonté de transparence des choix pris par l’Homme politique. Or un élu n’est pas enclin à mettre en place une concertation qui ne figure sur aucun programme électoral antérieur et les citoyens ont déjà des attentes sur le projet soumis à leur évaluation. Mais l’élu peut ne pas disposer de toutes les informations permettant de prendre les bonnes décisions.

Les outils de la participation citoyenne.

Les citoyens, en observant et analysant l’action publique, en prodiguant des conseils et des recommandations aux autorités ayant une influence effective sur la décision publique œuvrent à la prise en compte des intérêts et des besoins des citoyens dans la gestion des politiques publiques. En contrepartie, ils sont informés, consultés et donc partie prenante de la décision publique.

Cette place citoyenne devient de plus en plus une nécessité pour les élus pour instaurer une gestion plus performante et plus démocratique au bénéfice des citoyens à l’exemple, de la convention citoyenne, les jurys citoyens, les conseils de citoyens, les conseils consultatifs de citoyens, les conseils de quartiers, le référendum dans les instances démocratiques locales. Dans cette perspective, les citoyens doivent pouvoir s’exprimer librement et pleinement dans le processus décisionnel, débattre en exerçant leur droit à la controverse dans l’évaluation des politiques publiques, et sans qu’il y ait de point de vue arbitrairement privilégié. Ce processus renvoie à des pratiques de participation.

Ce sont dès lors des outils utilisés et complémentaires ou envisagés par six collectivités territoriales ayant des strates territoriales et compétences différentes mais très impliquées dans la consultation citoyenne : le Conseil Régional de la Réunion, le Conseil Départemental du Lot et Garonne, la ville de Rouen, la ville Elne, la ville Fontenay-Le-Marmion et la ville de Saint-Anastasié. Ces rencontres avec les élus locaux que sont deux vice-présidentes en charge de la démocratie participative - Conseil Régional de la Réunion, Conseil Départemental du Lot et Garonne) et trois maires (Rouen, Fontenay-Le-Marmion, Sainte-Anastasie) et une élue déléguée à la démocratie participative (Elne) ont apporté un retour d’information pour savoir si les décisions envisagées sont susceptibles d’avoir d’importantes répercussions politiques et si les résultats obtenus à partir des outils de consultation citoyenne conservent leur actualité après l’évaluation.

Pour la Vice-Présidente du Conseil Régional de la Réunion « il est important de ne pas opposer les outils les uns aux autres (…), de ne pas les multiplier au risque de les affaiblir, le choix de l’outil sera en fonction de l’objectif souhaité, du sujet abordé et de l’enjeu ». Mais pour cela, comme l’expriment les élus interrogés, quel que soit le format de consultation, le dialogue citoyen-élu repose sur une volonté politique affirmée.

Le « Pacte de Collaboration Citoyen et Elu » est-il possible ?

Cinq thématiques ont structuré nos échanges avec les six élus :

1. La Consultation Citoyenne c’est quoi ?

La consultation citoyenne est un outil déterminant dans la prise de décision publique pour l’ensemble de ces communes : pour la Vice-Présidente du Conseil Régional de la Réunion « La consultation citoyenne doit être perçue et conçue comme un outil d’aide à la prise de décision pour l’élu », pour la Vice-Présidente du Conseil Départemental du Lot et Garonne « elle a pour but d’associer nos citoyens à nos politiques, d’aider, d’aider à orienter les décisions publiques », pour le Maire de la ville de Rouen « il faut aller vers une co-construction de méthode de démocratie permanente », pour l’élu déléguée à la ville d’Elne « elle est l’élargissement du partage de la décision », pour le Maire de la ville de Fontenay-Le-Marmion « elle rapproche les décideurs publics et les citoyens » et enfin pour le Maire de la ville de Sainte-Anastasie « elle est un procédé qui autorise l’intégration de la population dans la gestion courante ». L’ensemble de ces propos conclu à « un Pacte de Collaboration Citoyen et Elu ».

Focus sur les initiatives citoyennes dans les six collectivités territoriales :
- Conseil Régional de la Réunion : un Conseil de Démocratie Participative, un - Conseil Régional des Jeunes, un Budget Participatif pour les lycées ;
- Conseil Départemental du Lot et Garonne : un Conseil Consultatif de Citoyens, un Conseil Départemental des Jeunes, un Budget Participatif, un Droit d’Initiative Citoyenne ;
- Ville de Rouen : un Budget Participatif, Une convention Citoyenne tous les deux ans, une plateforme Citoyenne « Rouen, Citoyenne », Rouen Direct, des Conseils de Quartiers, des Balades Urbaines ;
- Ville d’Elne : les Marches Exploratoires de Quartier, des Ateliers Participatifs, L’Assemblée des Habitants ;
- Ville de Fontenay-le-Marmion : des Consultations Citoyennes à l’exemple du projet des éoliennes ;
- Ville de Sainte-Anastasie : la mise en place d’un Référendum pour sonder les habitants sur le choix du Maire dans le parrainage présidentiel (celui-ci a été retoqué par le Préfet) - (Parole du Maire « Le Préfet a considéré que ce vote appartient qu’au maire mais pas à celui de la population. Pour autant, le référendum est légiféré et mené dans d’autres communes. Il y a donc jurisprudence ! Il y a eu un déni de la démocratie, la population a été déçue »).

2. Mais celui-ci est-il un vrai outil démocratique ou de communication ?

Pour ces collectivités territoriales, la consultation citoyenne ce n’est pas une mode, elle doit être instituée dans le temps. En effet, le maire de la commune de Sainte-Anastasie précise « qu’il ne faut pas abuser de la consultation citoyenne (…), il faut qu’elle soit utile et efficace ». Si l’on décide de mettre en œuvre une démarche citoyenne, il faut comme l’exprime le maire de Fontenay-Le-Marmion « aller jusqu’au bout de la démarche ».

3. Un devoir de respect de la parole citoyenne !

Il y a un engagement moral précise la Vice-Présidente du Conseil Départemental du Lot et Garonne. Pour l’ensemble des élus, il ne faut pas décevoir les citoyens, restés vigilants et respecter les engagements pris. Pour le Maire de Rouen « il est important de prendre en compte la parole citoyenne, sinon cela peut être contre-productif ».

Mais cet engagement moral sous-entend de définir des règles, de faire de la pédagogie donc fixer un cadre juridique ?

4. Se pose alors la question si celle-ci a une valeur juridique !

Pour le Conseil Régional de la Réunion « la législation, ne fixe que les lignes directrices de l’approche participative mais reste floue sur ses objectifs et les moyens mis en œuvre », pour le Conseil Départemental du Lot et Garonne « les citoyens ne sont utiles qu’au moment du vote, mais il est important de border les choses juridiquement pour faire de la consultation citoyenne une utilité », pour la ville de Rouen « cela doit être un principe systématique de la société si on veut casser cette défiance que les citoyens ont envers leurs institutions », pour la ville d’Elne « le référendum est institué dans la constitution », pour la ville de Fontenay-Le-Marmion « elle a une base juridique à condition que les sujets traités font partis des compétences de la commune » et enfin pour la ville de Sainte-Anastasie « tout va dépendre des projets menés dans le cadre de la consultation citoyenne ». Aussi, la Vice-Présidente du Conseil Régional de la Réunion alerte sur le recours à trop de réglementation juridique qui pourrait nuire à la liberté de marge de manœuvre des citoyens dans la co-décision, de co-construction voire à la créativité et l’innovation. Les élus craignent-ils de perdre leur légitimité politique dans la prise de décision en s’appuyant de la consultation citoyenne ?

5. Les élus gardent la décision finale.

La perte de légitimité politique n’est pas exprimée par la majorité des élus interrogés.

Chacun sait que l’élu gardera la décision finale, il a mandat. Mais chacun a conscience de l’importance de la transparence de la vie publique. Pour la Vice-Présidente du Conseil Régional de la Réunion « il ne faut jamais oublier que les élus tirent leur légitimité de l’élection, donc du peuple », pour la Vice-Présidente du Conseil Départemental du Lot et Garonne « la consultation citoyenne appuie la légitimité des décisions politiques prises », pour le Maire de la ville de Rouen « la consultation citoyenne c’est une addition de la démocratie participative », pour le Maire de la ville de Fontenay-Le Marmion « non, c’est aux élus de prouver que leurs projets tiennent la route », comme le réitère le Maire de Sainte-Anastasie « si on engage une consultation citoyenne, il y a un engagement moral, une sincérité ». Dans ces différents propos, il est intéressant de se focaliser sur le retour de l’élu déléguée à la ville d’Elne « oui c’est un débat que nous avons en permanence entre élus ».

Pour autant, La consultation citoyenne aiderait à mieux considérer les élus et permettrait d’éviter des situations difficiles, telles les lacunes en matière d’information. La Vice-Présidente du Conseil Régional de la Réunion dresse ainsi une perspective « s’engager dans un processus de consultation, s’il est bien mené et porter politiquement, changera la relation entre élus et citoyens car elle s’inscrira dans une logique collaborative et de proximité ». Le Maire de la Ville de Rouen parle de la nécessité de mettre en place dans l’espace juridique le Principe de Redevabilité pour rétablir la confiance entre les élus et les citoyens.

6. Vers le Principe de Redevabilité dans Le « Pacte de Collaboration Citoyen et Elu ».

Le principe de redevabilité est une notion qui n’est pas définie par la loi. Si l’on se réfère à la définition anglo-saxonne d’« accountability », ce principe consiste en l’obligation pour une organisation de devoir « rendre des comptes ». La norme ISO 26000 le définit comme un « état consistant, pour une organisation, à être en mesure de répondre de ses décisions et activités à ses organes directeurs, ses autorités constituées et, plus largement, à ses parties prenantes ». La démocratie incombe à l’État d’être redevable. Les emplois du secteur public dépendent, finalement, du vote populaire. Le seul moyen permettant aux citoyens de sanctionner une mauvaise politique est de changer leur vote aux prochaines élections. Il est donc dans l’intérêt des élus d’informer la population et de se justifier quant aux choix stratégiques de la collectivité.

La redevabilité n’est, toutefois, pas infinie. Ce principe ne retire pas à l’Administration son pouvoir discrétionnaire. Il n’est limité qu’à la participation des citoyens, les élus n’étant redevables du vote de la population que dans un cadre démocratique.

Cependant, cela est d’autant plus déterminant que le partage d’informations et la transparence de la collectivité, n’est pas suffisant. En effet, l’utilisation faite par le gouvernement des retours des citoyens sur les résultats de sa politique, ne doivent pas être vus comme potentiellement inquisitrice mais au contraire, comme une composante indispensable de la démocratie participative.

De ce fait, l’État et les citoyens seront mis sur un même plan et constitueront des partenaires solides dont il est temps de réaligner les intérêts, et ce avant que le divorce ne soit totalement consommé.

Affaire à suivre…

Arnaud Touati,
Avocat Associé HASHTAG AVOCATS

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