Village de la Justice : Quelles ont été les motivations à la création du pôle dédié aux violences intrafamiliales de la juridiction de Versailles ?
Jean-François Beynel : « Dès 2022, avec le procureur général, Marc Cimamonti, nous avons mené une réflexion sur cette question. Nous avons constaté l’augmentation des contentieux impliquant des violences intrafamiliales et en particulier les violences conjugales dans les quatre tribunaux judiciaires du ressort : Chartres, Nanterre, Pontoise, Versailles.
Les dossiers remontaient de plus en plus nombreux en appel à la cour. Nous avons pris la décision de mener une politique judiciaire d’amélioration du traitement de ces affaires en cohérence avec la politique publique portée par le ministre de la Justice. Nous avons conçu un « Plan VIF » et créé un Pôle Violences intrafamiliales (VIF) consacré aux violences conjugales et aux violences des parents sur leurs enfants mineurs, entré en application dès septembre 2023. Notre pôle était donc déjà actif lorsque les textes créant les pôles VIF au sein de chaque juridiction ont été publiés le 23 novembre 2023.
Ce pôle regroupe une trentaine de magistrats et de fonctionnaires des chambres de la cour qui ont en charge de juger les dossiers de violences intrafamiliales : deux chambres correctionnelles et de l’application des peines, deux chambres des affaires familiales, une chambre de l’instruction et la chambre des tutelles pour mineurs sont ainsi concernées.
Pour mener cette politique judiciaire, nous avons chargé deux magistrates [1], assistées chacune par une attachée de justice, de la coordination du pôle.
Cette politique judiciaire nouvelle n’aurait pu être menée sans ces moyens dédiés que nous avons priorisés au sein de la cour d’appel de Versailles ».
Comment fonctionne ce pôle ? Qui en sont les acteurs ? Bénéficient-ils de formation spécifique ?
Fabienne Le Roy : « Je suis l’une des pionnières de la conception du Plan VIF et donc du Pôle VIF, projet devenu réalité [2]. Depuis mai 2024, j’en assure le pilotage pour le siège avec Soisic Iroz, ma collègue du parquet général.
Ce pôle regroupe tous les contentieux concernés par les VIF : du jugement des violences à l’application des peines prononcées contre les auteurs, des décisions concernant les droits des parents sur les enfants, aux mesures de tutelle prises en faveur des enfants dont un parent a tué l’autre et s’est ensuite donné la mort, par exemple.
Ce sont au total plus de 40 personnes, magistrats, personnels de greffe, attachés de justice et assistants de justice, qui œuvrent au sein de ce pôle.
Le volet formation est très important : il faut maitriser les concepts et l’état des connaissances actuelles pour comprendre les enjeux des situations qui nous sont déférées et y apporter les bonnes réponses.
Cette formation est conçue comme le socle d’une culture judiciaire que doivent partager tous les acteurs, à qui nous avons largement ouvert l’accès à nos diverses actions de formation : magistrats, greffiers, attachés de justice, assistants de justice, mais aussi avocats, élèves-avocats, médecins, psychologues, universitaires, travailleurs sociaux, associations, etc. [3].
Convaincue de l’impérieuse nécessité pour la justice de répondre efficacement à cette dérive massive de notre société, je me suis résolument engagée dans le travail mené par la cour d’appel de Versailles ».
Jean-François Beynel : « L’objectif est de créer une culture judiciaire commune, enrichie par des acteurs ayant à connaitre de nos préoccupations. Nous favorisons la diffusion interne d’informations (rapports, décisions jurisprudentielles novatrices, articles…) grâce à un espace intranet dédié au traitement des VIF, que nous avons créé et dont nous veillons à la mise à jour régulière.
Nous avons organisé l’enrichissement des dossiers soumis aux juges : les éléments figurant dans d’autres dossiers sont recherchés et joints aux dossiers dont est saisie la cour pour que le juge ait connaissance de l’ensemble de la situation et apporte une réponse éclairée et complète au litige qui lui est soumis. C’est ainsi que l’on rend une justice qui règle une situation et pas seulement une justice qui répond à une difficulté ».
Un bilan peut-il déjà être tiré de son action depuis sa création ?
Jean-François Beynel : « Le Pôle fonctionne ! Les dossiers soumis au juge d’appel correctionnel ou chargés des ordonnances de protection sont enrichis d’éléments extraits d’autres procédures civiles ou pénales.
Les échanges entre les pôles de la cour, les pôles des tribunaux judiciaires et les interlocuteurs de la justice sont favorisés. Les magistrats et greffiers s’emparent des formations offertes.
Nous avons tissé un jumelage avec la cour d’appel de Poitiers, également très innovante en matière de VIF [4].
Nous avons favorisé la communication et l’accès aux informations grâce à notre page dédiée sur l’intranet de la cour accessible à l’ensemble des magistrats et personnels du ministère de la Justice, qui travaillent dans toutes les juridictions, mais aussi à la Chancellerie, dans l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse ».
Comment l’action de ce pôle participe-t-elle à favoriser les droits des femmes ?
Jean-François Beynel : « 1789, c’est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Deux ans plus tard en 1791, Olympe de Gouges publie, en miroir, la Déclaration de la Femme et de la Citoyenne, qui proclame dans son article 1 : « La femme nait libre et demeure égale à l’homme en droit ».
Les combats portés par Gisèle Halimi ou Simone Veil et tant d’autres ont amené le législateur à inscrire dans la loi la reconnaissance de droits pérennes pour les femmes [5]. Ce mouvement s’est accompagné de la disparition des puissances paternelle et maritale.
Améliorer le traitement judiciaire des VIF était une évidence et une priorité partagées par les 4 tribunaux judiciaires du ressort. Entendre le besoin de justice des victimes, des mis en cause, des auteurs, s’est imposé à nous et mettre en place la meilleure réponse sont les deux impératifs qui nous ont guidé.
L’action judiciaire en reconnaissant les femmes comme victimes, les restitue dans leurs droits et leur existence sociale. Nos relations avec le milieu associatif permettent de travailler sur la réinsertion sociale (soin, parentalité, emploi, logement, indépendance financière) mais aussi de les accompagner tout au long de la procédure. C’est un vrai travail pluridisciplinaire dans lequel la justice joue un rôle déterminant ».
Fabienne Le Roy : « Le droit est complexe. Le rendre accessible et profitable pour toutes et tous est une de nos grandes préoccupations.
L’une des missions de la justice est de diffuser l’information des droits aux citoyens, en particulier les plus défavorisés et les plus éloignés. Nous le faisons avec les CDAD présidés par les présidents des tribunaux judiciaires. Notre mission est alors d’organiser le maillage du territoire en termes de permanences d’information sur les droits [6]. Ces permanences profitent aux femmes victimes de violences conjugales, mais aussi, aux jeunes victimes de violences parentales [7].
Tous les tribunaux judiciaires organisent des actions en faveur de la jeunesse comme les forums des métiers, les Festivals du film judiciaires, les concours d’éloquence, les jeux de rôle recréant des procès, des interventions devant les collégiens, les lycéens ou les universitaires.
Nous savons l’importance de cet accompagnement pour une société où le mieux vivre ensemble est une valeur fondamentale d’égalité que porte le droit ».
Textes de référence à la création des pôles VIF :
Décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel
Circulaire du 24 nov. 2023, n° JUSB2332178C.