Cautionnement disproportionné dans un contrat d’affacturage.

Par Houssam Hassani, Juriste.

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Explorer : # cautionnement disproportionné # droit des sûretés # liquidation judiciaire # principe de proportionnalité

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Un dirigeant a garanti des prêts pour deux sociétés en difficulté. Assigné par un créancier, la cour d'appel a d'abord jugé qu'il ne pouvait pas assumer ses dettes. Cependant, la Cour de cassation a annulé cette décision, affirmant que tous les engagements devaient être pris en compte pour évaluer sa capacité.
Description rédigée par l'IA du Village

La capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, peu important que la caution n’ait pas été appelée pour autant que ces cautionnements ne soient pas, en tout ou partie, éteints.

C’est ce qu’a décidé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 06 novembre 2024, s’agissant de deux cautionnements souscrits par le dirigeant d’un groupe de sociétés afin de garantir deux contrats d’affacturage.

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Genèse de l’affaire.

Le dirigeant d’un groupe de sociétés s’est porté caution solidaire pour deux d’entre elles au profit de la société FactoFrance, des sommes dues par ces dernières, au titre de deux contrats d’affacturage régularisés le même jour (dans la limite de 300 000 euros chacun).

Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte visant l’ensemble des sociétés constituant le groupe. En sa qualité de créancière, la société FactoFrance a dès lors assigné le dirigeant des deux sociétés débitrices, en exécution de ses engagements en tant que caution.

Devant les juges du fond, la société FactoFrance a obtenu gain de cause. Les juges du fond devaient se prononcer sur les capacités de la caution à faire face à ses engagements à la date où elle a été appelée. Ce à quoi les conseillers de la Cour d’appel de Poitiers ont donné une réponse bicéphale (voire même incompréhensible), en décidant dans un premier temps que ni le patrimoine net, ni les revenus nets de la caution ne lui permettaient pas de faire face à l’ensemble des engagements querellés sans le priver du minimum vital nécessaire à ses besoins et à ceux des personnes qui sont à sa charge. Puis, dans un second temps, ils ont décidé que, malgré les autres engagements de la caution envers d’autres établissements de crédit, il n’avait pas été établi que ces derniers aient été appelés. Qu’en conséquence, les revenus de la caution lui permettaient d’honorer ses engagements au profit de la société Factofrance à la date où elle a été assignée (en l’occurrence le 19 juillet 2019), sans lui priver du nécessaire vital.

Cette dernière position n’a pas séduit la Haute juridiction, qui a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 13 décembre 2022. En effet, selon la Haute Cour, la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, peu important que la caution n’ait pas été appelée pour autant que ces cautionnements ne soient pas, en tout ou partie, éteints.

Pour une bonne analyse du présent arrêt, il conviendrait de faire un court rappel de la notion de proportionnalité (I), avant de s’intéresser aux capacités de la caution à faire face à ses engagements à la date de l’assignation (II). Par ailleurs, il serait judicieux de s’intéresser à la décision à l’aune de l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés [1] (III).

I- La notion de proportionnalité de la caution.

La mise en œuvre d’un contrat de cautionnement peut être une source de ruine pour la caution. Si l’engagement de cette dernière est illimité ou s’il dépasse ses difficultés de remboursement, il peut même l’endetter éternellement [2].

En effet, dans un souci de protéger la caution personne physique, le législateur a introduit le principe de proportionnalité à travers la loi du 31 décembre 1989 dite Loi Neiertz [3].

Avant l’ordonnance du 15 septembre 2021, c’est l’article L314-18 du Code de la consommation qui reconnaissait le principe de proportionnalité en matière de cautionnement consenti par une caution personne physique au profit d’un établissement de crédit, d’une société de financement, d’un établissement de paiement, etc.. dans le cadre d’un crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier.

Ensuite, il y a eu une évolution du principe de proportionnalité à travers un arrêt de principe du 17 juin 1997, baptisé arrêt Macron [4]. A travers cet arrêt, la Cour de cassation posa un principe selon lequel un créancier pouvait engager sa responsabilité lorsqu’il demandait un cautionnement manifestement disproportionné par rapport au patrimoine et aux revenus de la caution. Il s’agissait en effet d’une responsabilité civile, fondée sur les dispositions de l’ancien article 1382 du Code civil [5]. Toutefois, la Cour de cassation est revenue sur sa décision à travers l’arrêt Nahoum du 08 octobre 2002 [6].

Enfin, il y a eu une généralisation du principe de proportionnalité à travers la loi Dutreuil du 1 août 2003 [7]. C’est donc cette loi qui a introduit dans le Code de la consommation l’article L332-4. Toutefois, il convient de souligner que cet article a été abrogé par l’ordonnance du 14 mars 2016, qui a consacré ce principe de proportionnalité à l’article L332-1 du Code de la consommation. Cet article disposait qu’« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette pas de faire face à son obligation ».

Par ailleurs, l’ordonnance du 15 septembre 2021 susmentionnée a profondément modifié ce principe de proportionnalité, notamment en abrogeant l’article L332-1 du Code de la consommation cité ci-avant.

II- Sur les capacités de la caution à faire face à ses engagements.

Traditionnellement, l’appréciation de la disproportionnalité du contrat de cautionnement par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution s’effectue au moment de la conclusion du contrat. En d’autres termes, c’est à la date où les deux parties (la caution et le créancier) ont décidé mutuellement d’entrer en affaires. Le nouvel article 2300 du Code civil, qui est une consécration de l’ordonnance du 15 septembre 2021, n’est pas revenu sur ce principe. Il appartient donc aux juges du fond d’apprécier souverainement la disproportion de l’engagement de la caution au regard de ses revenus et de son patrimoine.

Dans l’arrêt d’espèce, les deux contrats de cautionnements litigieux ont été conclus le 21 octobre 2015, soit à une date antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 14 mars 2016 susmentionnée. La cour devait se prononcer sur les capacités de la caution à faire face à ses engagements au moment où elle a été assignée. C’est naturellement au visa de l’ancien article L341-1 du Code de la consommation qu’elle a tenu à fonder sa décision.

Dans un premier temps, la cour affirme que l’endettement de la caution au moment où elle est appelée, c’est-à-dire à la date de l’assignation, s’entend de la somme restant due au titre du prêt à cette date.

Dès lors, on peut en déduire qu’il ne faut pas non seulement que le cautionnement soit manifestement disproportionné au moment de sa conclusion pour que la caution échappe à ses engagements, il faut également tenir compte du reliquat du prêt au moment où la caution est actionnée par son créancier. La cour, à travers ce premier élément de réponse, réaffirme sa position jurisprudentielle. C’est le cas par exemple d’un arrêt rendu par la 1ʳᵉ Chambre civile le 15 janvier 2015 [8].

Cette position de la cour laisserait comprendre l’application éventuelle d’une clause de "retour à la meilleure fortune". Dit-autrement, si, au moment de l’assignation de la caution, les juges estiment que l’engagement était disproportionné lors de sa conclusion, mais, a contrario, les revenus et le patrimoine de la caution ont évolué au cours de l’engagement, on tiendra compte de cette évolution pour faire payer la caution. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la Cour d’appel de Poitiers dans l’arrêt attaqué.

Puis, dans un second temps, toujours dans le même ordre d’idée, la cour rajoute qu’au-delà de la prise en considération de l’endettement global de la caution pour apprécier ses capacités à faire face à ses obligations, il faut tenir compte des autres engagements qu’elle a souscrits, peu important que cette dernière n’ait pas été appelée pour autant que ces cautionnements ne soient pas, en tout ou partie, éteints.

Dans le présent cas, la caution avait souscrit d’autres cautionnements auprès du Crédit Mutuel (à hauteur de 285.000 euros) et auprès de la Caisse d’Epargne (à hauteur de 200.000 euros). La cour d’appel avait refusé d’intégrer ces engagements dans le passif de la caution au motif qu’au moment où celle-ci ait été appelée pour les cautionnements litigieux, les deux autres cautionnements sus-cités n’étaient pas appelés.

Pour la Cour de cassation, dès lors que ces cautionnements ne sont pas éteints, il conviendrait de les inclure dans le passif de la caution afin d’établir son endettement global. Cette décision s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence.

III- La décision à l’aune de l’ordonnance du 15 septembre 2021.

L’ordonnance du 15 septembre 2021 a, de manière significative, modifié le droit des sûretés tant sur la forme que sur le fond. Plusieurs grands principes ont été modifiés à cette occasion. C’est le cas par exemple du principe de proportionnalité, ou bien celui du formalisme.

Sur la forme, le grand apport de cette ordonnance, c’est l’incorporation du droit des sûretés dans le Code civil. Dorénavant, c’est l’article 2300 dudit code qui régit le principe de la proportionnalité. Cet article prévoit que « Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ».

En effet, contrairement aux anciens textes [9], l’article 2300 du Code civil modifie la sanction en cas de disproportionnalité du cautionnement. Désormais, en cas de disproportion du cautionnement, il n’y a pas une déchéance totale du contrat, mais une réduction du montant de l’engagement de la caution qui est appréciée au jour de l’engagement et non au jour des poursuites. Le texte ne prend pas en considération l’évolution des revenus et du patrimoine de la caution au moment où celle-ci est appelée en garantie. Il supprime également la clause de retour à la meilleure fortune.

Ainsi, dans notre cas d’espèce, il a été établi qu’à la date de la conclusion des cautionnements litigieux, ceux-ci étaient manifestement disproportionnés par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution. Toutefois, au moment où la caution a été actionnée, ses capacités à faire face à ses engagements ne lui permettaient pas. Par conclusion, si on devait appliquer le nouvel article 2300 du Code civil au cas d’espèce, et bien que les engagements de la caution étaient disproportionnés au moment de leur ratification, la caution n’aurait pas eu une décharge totale de ses engagements, mais au prorata de ses capacités lors de la conclusion desdits contrats.

Houssam Hassani,
Diplômé d’un master en droit bancaire

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Notes de l'article:

[1Ordonnance n° 2021-1192.

[2Dominique Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 13e Edition.

[3Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.

[4Cass. Com., 17 juin 1997, 95-14.105, Publié au bulletin.

[5Article 1240 nouveau.

[6Cass. Com., 08 octobre 2002, 99-18.619, Publié au bulletin.

[7Loi n° 2003-721 du 1 août 2003 pour l’initiative économique.

[8Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, 15 janvier 2015, 13-23.489.

[9Articles L341-4 et L332-1 anciens du Code de la consommation.

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