Cadres en forfait-jours : le non-respect des obligations légales entraine la nullité de la convention.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.

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Explorer : # forfait-jours # nullité de la convention # charge de travail # entretien annuel

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Un salarié licencié pour insuffisance professionnelle a contesté la convention de forfait en jours conclue avec son employeur. La Cour d'appel a annulé cette convention, estimant que l'employeur n'avait pas respecté ses obligations légales.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans un arrêt du 10 janvier 2024 (n°22-15.782), la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé qu’en cas de manquement à l’une des obligations prévues par l’article L3121-65 du Code du travail (dispositif de rattrapage que peuvent suivre les employeurs lorsque l’accord collectif sur lequel se base les conventions individuelles de forfait ne respectent pas les conditions prévues par l’article L3121-64 du même code), la convention individuelle de forfait en jours est nulle.

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1) Faits et procédure.

Un salarié a été engagé en qualité de coordinateur salons professionnels à l’international le 1ᵉʳ octobre 2016. Le contrat contenait une convention de forfait en jours.

Le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle le 4 juillet 2018.

Le 29 janvier 2019, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel d’Angers, dans un arrêt du 10 février 2022, a annulé la convention individuelle de forfait en jours du salarié.

L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

L’employeur fait valoir que :

  • qu’applique valablement la convention de forfait en jours l’employeur qui a mis en place un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées lorsque le salarié a validé les documents de suivi mensuel
  • qu’en s’étant bornée à rappeler que le salarié alléguait « qu’il lui a été interdit de procéder à toute modification du document adressé par le service en charge des ressources humaines », sans avoir vérifié la réalité de cette allégation contestée par l’employeur, et en s’étant bornée à relever que le tableau de suivi ne reflète pas la réalité des jours travaillés de M. [L] et n’est pas renseigné correctement, sans avoir caractérisé en quoi les erreurs n’étaient pas imputables au salarié qui avait validé chaque suivi mensuel d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L3121-65 du Code du travail
  • que l’absence de preuve par l’employeur de l’exécution de l’obligation d’organiser un entretien portant sur la charge de travail du salarié, n’entraîne pas la nullité de la convention de forfait ; qu’en relevant que le document produit par l’employeur pour justifier de la tenue d’un entretien annuel n’avait pas de force probante, la cour d’appel a violé l’article L3121-65 du Code du travail.

3) Solution.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur.

Après avoir rappelé les conditions « de rattrapage » prévues par l’article L3121-65, qu’il convient de respecter lorsque l’accord collectif sur lequel est fondée la convention individuelle de forfait ne respecte pas les stipulations de l’article L3121-64 du Code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation expose que :

« En cas de manquement à l’une de ces obligations, l’employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l’article L3121-65 du Code du travail. Il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l’accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l’article L3121-64, II, 1° et 2°, du même code, est nulle ».

En l’espèce, l’accord collectif du 5 septembre 2003, qui permettait le recours au forfait en jours, n’était pas conforme aux dispositions de l’article L3121-64 du Code du travail. Il fallait donc vérifier si l’employeur avait ou non respecté les dispositions prévues par l’article L3121-65.

La cour d’appel a constaté que :

  • les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important qu’ils aient pu être renseignés par l’intéressé
  • dans ces conditions, il apparaissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire
  • l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

En conséquence, « la cour d’appel en a exactement déduit que la convention individuelle de forfait en jours était nulle ».

4) Analyse.

La loi Travail du 8 août 2016 a prévu que, pour être valable, une convention individuelle annuelle de forfait en jours doit être conclue sur la base d’un accord collectif qui détermine notamment [1] :

  • Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié
  • Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise
  • Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

Toutefois, de nombreuses conventions individuelles de forfait annuel en jours, conclues avant l’entrée en vigueur de cette loi, reposaient sur des accords collectifs ne respectant pas ces conditions.

Ainsi, afin de sécuriser les forfaits annuels en jours existants et de permettre aux entreprises de conclure de nouvelles conventions individuelles, la loi du 8 août 2016 a prévu un dispositif de rattrapage pour les entreprises.

Ainsi, l’article L3121-65 du Code du travail prévoit qu’une convention individuelle de forfait en jours peut être valable, quand bien-même l’accord collectif sur laquelle elle repose ne respecterait pas les conditions de validité légales, à condition pour l’employeur de respecter certaines conditions :

  • L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié
  • L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires
  • L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération
  • Les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés.

C’est ce dispositif supplétif dont se prévalait l’employeur dans l’affaire commentée.

En effet, l’accord collectif du 5 septembre 2003, sur lequel reposait la convention individuelle de forfait annuel en jours contestée, n’était pas conforme aux dispositions de l’article L3121-64.

L’employeur se prévalait alors du respect des conditions de l’article L3121-65.

Toutefois, la Cour de cassation conteste le raisonnement de l’employeur.

L’employeur a ici manqué à trois des obligations prévues par l’article L3121-65 :

  • D’une part, le document de contrôle qu’il a établi a été rempli par le salarié, mais pas sous la responsabilité de l’employeur
  • D’autre part, ce faisant, le document ne reflétait pas la réalité des jours travaillés par le salarié et donc l’employeur n’est pas en mesure de s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire
  • En dernier lieu, l’employeur n’a pas organisé d’entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.

La solution de la Cour de cassation n’est donc pas surprenante : les conditions de validité de la convention individuelle de forfait en jours n’étant pas respectées, cette dernière est nulle.

Sources.

Cour de cassation 10 janvier 2024 pourvoi n° 22-15.782.
Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (1).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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[1Article L3121-64 du Code du travail.

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