Les cadres de grandes entreprises bénéficient souvent d’actions gratuites, sous diverses formes :
- AGA : Attribution d’Actions Gratuites (chez L’Oréal, Renault,...)
- RSU : Restricted Stock Units (chez Oracle, Salesforce, IBM, META, Bank of America,...)
- LTI : Long Term Incentives (chez AXA,...)
- Actions de performance (chez Essilor).
Ces actions sont acquises par les cadres au fur et à mesure de leur présence dans l’entreprise : c’est un moyen de rétention du personnel.
En cas de licenciement, les actions gratuites non encore acquises par le cadre sont perdues. Il ne pourra pas les acquérir car, au moment du ’vesting’ (date d’acquisition) :
- soit il sera en préavis mais il sera considéré comme ’bad leaver’,
- soit il ne sera plus dans l’entreprise (fin du contrat de travail).
En cas de licenciement abusif, qu’il soit reconnu comme tel par un accord amiable (transaction) ou par un jugement (prud’hommes), quel est le sort des actions gratuites non encore acquises ?
La jurisprudence considère que, quel que soit le mode de rupture du contrat de travail (licenciement, rupture conventionnelle, ...), les actions gratuites doivent être retenues comme des éléments de salaire, et doivent ainsi être prises en compte dans le calcul des indemnités [1].
1. Le sort des actions cas de licenciement valable.
L’attribution par l’employeur d’actions s’organise principalement par un plan d’attribution d’actions gratuites. Ce plan peut ainsi comporter une clause d’attribution effective des actions assortie d’un délai qui peut être de plusieurs années, à l’expiration duquel s’ensuit une période de conservation obligatoire durant laquelle les actions cédées sont incessibles.
Partant, en vue de fidéliser le salarié bénéficiaire, l’attribution d’actions peut être soumise à un délai durant lequel elles ne sont pas encore à sa disposition. De ce fait, en cas de licenciement du salarié, il pourra être valablement privé de ses droits aux actions gratuites qui n’étaient pas encore acquises.
En effet, le plan d’attribution peut préciser qu’en cas de licenciement avant l’expiration du délai d’attribution, le salarié perd son bénéfice de conservation des droits d’attribution des actions.
2. Le sort des actions cas de licenciement abusif ou nul.
Lorsqu’un licenciement est intervenu avant le terme de la période d’acquisition, empêchant ainsi le salarié de bénéficier de ses actions, si ce licenciement est postérieurement reconnu comme abusif ou nul, alors le salarié subit un préjudice dont il peut demander l’indemnisation [2].
Étant précisé que la clause qui réserverait l’option à l’absence de licenciement pour faute grave constituerait une sanction pécuniaire illicite [3].
Rien n’assure que le salarié aurait levé l’option s’il n’avait pas été licencié, et à quel moment il l’aurait fait. Par conséquent, la réparation du préjudice subi s’effectue sur le fondement de la perte de chance de réaliser une plus-value.
De plus, ladite réparation « ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle avait été réalisée » [4].
Par ailleurs, il ne peut être fait obstacle à la demande de réparation du salarié au seul motif que celui-ci ne rapporte pas d’élément permettant d’apprécier l’évolution du cours des actions de la société depuis son licenciement [5].
Ainsi, le salarié doit prouver qu’il avait une chance sérieuse d’acquérir ses actions et que le licenciement a directement causé cette perte. Il doit également estimer la valeur potentielle de ce qu’il a perdu.
Le juge estime ensuite la probabilité que les conditions du plan aient été remplies si le contrat avait continué. Il tient compte notamment de la date d’acquisition prévue, du cours de l’action à cette date ainsi que du nombre d’actions perdues.
A titre d’exemples, les tribunaux français ont attribué les indemnités suivantes :
- Cour d’Appel de Paris, 12 juin 2007, Sté Altran Technologies c/Klenkle, RG no 04/32834 : "« si la réparation de la perte d’une chance ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procurée cette chance si elle avait été réalisée, elle ne peut donner lieu pour autant à une indemnisation symbolique, mais doit être calculée en appliquant audit avantage, en fonction de l’espèce, les différents critères de pondération destinés à prendre en compte la nécessaire part d’incertitude que contient cette perte de chance », à savoir « la probabilité de présence de l’intimé dans l’entreprise et sa capacité de financement ; s’agissant de l’évaluation de l’avantage que l’intimé pouvait retirer de la levée des stock-options », il convient de se placer « à la première date possible de cession » compte tenu « des compétences de l’intimé en matière boursière » et de « la pratique suivie par ses collègues » ; le préjudice est ainsi évalué à plus de 580 000 €".
- Cour d’Appel de Versailles, 3 févr. 2004, D. c/ Sté Symantec, RG no 03/02202 : « apprécié par rapport à l’évolution de la valeur des actions, au prix de souscription offert au salarié ainsi qu’eu égard à la nature éventuelle du gain espéré et nécessairement fiscalisé au régime applicable à l’époque, compte tenu de l’acquisition possible de 25% d’options chaque année, qui lui étaient acquises au jour du licenciement […], la cour a les éléments suffisants pour fixer ce préjudice à une part de la valeur que les actions auraient atteintes au jour où la cour liquide le dommage, dont le principe est certain et prévisible, à la somme de 130 000 € ».