Bénéficiaires économiques : le recul des droits.

Par Patrick Herrou.

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Explorer : # lutte contre le blanchiment # bénéficiaire effectif # directive européenne # société

Le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, a créé pour toutes les sociétés et autres entités immatriculées au RCS une nouvelle obligation consistant à identifier leurs « bénéficiaires effectifs ».
L’application de ce dispositif conduit à déposer des déclarations qui ne correspondent pas à la réalité.

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1. Transposition de la Directive européenne 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, l’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 complétée par le décret n°2017-1094 du 12 juin 2017, a créé une Section intitulée « Le bénéficiaire effectif » au sein du Code Monétaire et Financier (articles L.561-46 et suivants), qui impose à pratiquement toutes les personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés (RCS) de déclarer, moyennant finances, l’identité de leurs bénéficiaires effectifs.

Ainsi, ce dispositif prévoit, sous la responsabilité des greffiers des tribunaux de commerce, la tenue d’un registre des bénéficiaires économiques desdites entités et la communication de ces informations aux autorités compétentes et organismes chargés de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

2. Le bénéficiaire économique d’une société se définit comme la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent, directement ou indirectement, une entité juridique, support d’activités économiques ou financières.

L’article L. 561-46 du Code Monétaire et Financier renvoie à la notion de bénéficiaire effectif prévue à l’article L. 561-2-2 du même code, elle-même précisée par l’article R. 561-1 du Code Monétaire et Financier, aux termes duquel sont considérées comme les bénéficiaires effectifs d’une société, la ou les personnes physiques qui :
- soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société ;
- soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société, ou sur l’assemblée générale des associés de la société.

Enfin, lorsque le ou les bénéficiaires effectifs d’une société ne peuvent pas être déterminés selon les critères légaux susmentionnés, alors le bénéficiaire effectif est réputé être le représentant légal de la société soumise à l’obligation de déclaration.

3. Or, en droit français, le contrat de société est l’acte juridique, par lequel un ou plusieurs associés conviennent d’affecter des apports à une entreprise commune, en vue de réaliser et de partager des bénéfices, ou de profiter des économies qui en résultent.
Ce contrat spécial est défini à l’article 1832 du Code civil, et régi par des dispositions spécifiques du Code civil et du Code de commerce, selon la forme de la société.

3.1 Parmi les conditions générales de validité de ce contrat, l’affectio societatis : c’est l’élément moral du contrat de société, l’intention de s’associer, c’est-à-dire la volonté d’agir ensemble dans un but commun qui est la réalisation et le partage du bénéfice.

Pour la jurisprudence, c’est une collaboration effective à l’exploitation dans un intérêt commun, et sur un pied d’égalité avec les autres associés.
Pour la quasi-totalité des juristes, cet élément est indispensable à la validité de la société.

3.2. Il en résulte que, chaque associé a vocation à une part du résultat social

Le droit de partager les bénéfices est le droit pour chaque associé de venir au partage du profit réalisé par la société, après qu’une décision sociale en a permis la distribution au moins partielle.

Le partage a normalement lieu en proportion de la valeur de l’apport sur le montant total du capital. Chacun des droits sociaux revient aux associés comme un droit, entre autres, à une quotité dans le résultat.

4. Etant donc rappelé que la finalité de l’opération ci-dessus visée est la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, l’application de ces dispositions conduit à opérer des déclarations qui vont conduire à la constitution d’un registre dont les mentions ne seront d’aucune utilité quand elles ne seront pas fausses car les critères retenus font qu’elles ne correspondront à aucune réalité.

5. En effet, en France, les greffes des tribunaux de commerce ont déjà l’intégralité des informations requises, statuts des entités concernées avec identité des associés d’origine, dépôt de tous documents nécessaires en cas de modification de la répartition des parts sociales, procès verbaux d’assemblées avec feuilles de présence… Pour les SCI, c’est encore plus évident, l’identité des associés est reportée sur le Kbis.

6. Ensuite, en vertu du rappel figurant au § 3, toute société de droit français légalement constituée et dont le fonctionnement est tout simplement normal, a, pour bénéficiaires, lorsqu’il ne s’agit pas de les faire participer aux pertes, l’ensemble de ses associés, et les prérogatives des organes de direction en matière de gestion n’ont jamais eu pour objectif d’en faire des « super bénéficiaires économiques ».
Bien au contraire, leur responsabilité tant civile que pénale est fait pour rappeler si nécessaire à ces derniers l’étendue de leurs obligations.

7. Ainsi, dans les commentaires du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce, en présence d’une société de famille, il convient de considérer que, même si aucun des associés ne détient individuellement plus de 25% du capital social, rien ne fait obstacle à ce que ces personnes soient déclarées bénéficiaires économiques à partir du moment où « elles prennent ensemble les décisions en assemblée générale » (sic !) et ce, « même en l’absence d’un accord exprès conclu entre-elles ».

Cette définition s’éloigne par trop de celle de l’article L 233-10 du Cod de Commerce qui stipule « sont considérés comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, céder ou d’exercer des droits de vote pur mettre en œuvre une politique commune vis à vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. »

8. Que se passe-t-il lorsqu’il est démontré que ces personnes faisant partie d’un groupe familial n’agissent pas « de concert » ou plutôt ne sont pas sous la dépendance de l’autre ? C’est très simple, il convient alors que le dirigeant se déclare bénéficiaire économique !

9. Il conviendrait, à tout le moins, de modifier les critères de sélection et de rectifier la portée de l’obligation en permettant notamment aux dirigeants de sociétés de ne pas se déclarer bénéficiaires économiques ce qu’ils ne sont pas lorsque les associés ne possèdent pas plus de 25% du capital social et ne font pas état de pactes ou autres conventions leur permettant de peser effectivement sur le contrôle des organes de gestion.

Ou d’admettre tout simplement que, lorsqu’aucun de ces critères n’est rempli, la société n’avait pas de déclaration à déposer car elle en rentre aucunement dans le cadre de la recherche visée : la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

10. En conclusion, ce phénomène n’est malheureusement pas propre à ces seules dispositions.

Rappelons que le droit existe et que toute personne, physique ou morale, en situation régulière, n’a pas à répondre à, et encore moins à faire les frais, d’obligations destinées à permettre aux organismes éventuellement concernés de ne pas avoir à exercer leur pouvoir de contrôle ou, pire, dans le cas de ce dirigeant qui se serait déclaré bénéficiaire économique « par défaut », de le rendre responsable de je ne sais quoi du fait de cette déclaration imposée qui ne correspond aucunement à une réalité !

S’agissant d’une transposition du droit européen, force est de constater que ce texte n’a tenu aucun compte ni du rôle ni de l’organisation des greffes des tribunaux de commerce en France et encore moins du fait qu’il n’existe pas dans notre pays de trusts et autres formes de sociétés intercalées.

Serait-ce tout simplement une nouvelle taxe qui a été levée ?

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