Avocat mandataire sportif et agent sportif : une complémentarité affirmée ?

Par Léo Marronnier et Baptist Agostini-Croce, Avocats.

2219 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # avocat mandataire sportif # agent sportif # intermédiation # rémunération

Par un arrêt publié au bulletin en date du 29 mars 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue trancher une question brulant les lèvres de nombreux acteurs du sport depuis plus d’une décennie : l’avocat mandataire sportif peut-il exercer la profession d’agent sportif ?

-

Sans réelle surprise, les juges du quai de l’horloge y répondent par la négative :

  • « L’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif » ;
  • « Seul l’agent sportif peut être en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entrainement, tandis que l’avocat a pour attribution de représenter les intérêts d’une des parties à ce contrat, ensuite, que l’avocat ne peut être rémunéré par un club qui est le cocontractant de son client » [1].

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les similitudes entre l’avocat mandataire sportif et l’agent sportif, lesquelles ont permis, un temps, d’émettre l’hypothèse d’un « avocat-agent », à la fois mandataire et intermédiaire.

Si l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation met fin à cette hésitation, une question demeure permise : quid de l’avocat mandataire sportif également titulaire d’une licence d’agent sportif ?

1. Avocat mandataire sportif et agent sportif, deux activités intrinsèquement proches.

Aux termes de l’article L222-7 du Code du sport, l’exercice de la profession d’agent sportif est conditionné à l’obtention d’une licence délivrée par la commission des agents sportifs de la fédération délégataire.

L’agent ayant pour mission de placer le sportif, ou l’entraineur, pour qu’il pratique sa discipline, ou exerce ses fonctions, il en résulte que l’obligation de détenir une licence ne vise que l’activité de « placement » ou « d’intermédiation ».

En parallèle, l’article 4 de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées est venu préciser :

« Les avocats peuvent, dans le cadre de la règlementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L222-7 du Code du sport ».

Bien que l’activité d’intermédiation ne demeurait ouverte qu’aux agents titulaire d’une licence, la création d’un statut d’avocat « mandataire sportif » opérait un premier rapprochement entre les deux activités, d’autant que cette même loi permettait une dérogation au principe déontologique d’interdiction des pactes dit « quota litis ».

En effet, l’article 4, I. 2° de loi du 28 mars 2011 précitée a ouvert la possibilité aux avocats mandataires sportifs, pour les conclusions de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L222-7 du Code du sport, d’être rémunéré à hauteur de 10% du montant de ce contrat. Force est de constater que cette dérogation a rapproché l’avocat mandataire sportif de l’agent sportif en alignant la rémunération du premier sur celle prévue dans le cadre du contrat d’agent tel qu’imposée par l’article L222-17 du Code du sport.

En tout état de cause, l’article L222-20 du Code du sport édicte les mêmes sanctions à l’encontre des agents sportifs et des avocats en cas de manquement aux dispositions en matière de rémunération.

Par ailleurs, le décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 est venu autoriser

« (...) la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession ».

Ainsi, l’activité d’intermédiation, qui peut s’analyser en une activité de courtage par nature commerciale, pourrait tout à fait être exercée à titre accessoire par un avocat, ce qui en ferait un agent sportif bis.

Un dernier rapprochement - et non des moindres - a été opéré par le conseil de l’ordre des avocats du Barreau de Paris le 8 juillet 2020, à travers l’élaboration de l’article P.6.3.03 du Règlement intérieur du barreau de Paris (ci-après « RIBP »).

Cet article prévoyait en son alinéa premier que

« l’avocat peut en qualité de mandataire sportif, exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat, soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive d’entraînement ».

Dans ces conditions, il était permis à l’avocat d’exercer les prérogatives jusqu’ici uniquement réservées à l’agent sportif, à savoir la fameuse activité de « placement » ou « d’intermédiation ». Les agents sportifs perdaient ainsi le monopole octroyé par l’article L222-7 du Code du sport.

Toutefois, cette confusion fut de courte durée.

2. Avocat mandataire sportif et agent sportif, deux activités radicalement distinctes.

Le 10 juillet 2020, le Procureur général près la Cour d’appel de Paris formait un recours en annulation à l’encontre de la délibération du conseil de l’ordre. L’Association des avocats mandataires sportifs intervenait volontairement à l’instance et ce à titre principal.

La Fédération française de football, le Comité national olympique et sportif français et la Fédération française de rugby intervenaient également à titre accessoire pour soutenir le recours en annulation du Procureur général.

Le 14 octobre 2021, la Cour d’appel de Paris a annulé l’article litigieux du RIBP. Après avoir rappelé que l’activité commerciale exercée par un avocat ne peut qu’être une activité accessoire à son activité principale de conseil, d’assistance et de représentation, elle a clairement jugé :

  • « La mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale, indispensable et préalable à la conclusion de contrats, qui ne peut pas être considérée comme une activité accessoire à la négociation et à la conclusion des contrats, lesquels qui interviennent nécessairement après le recrutement des joueurs ».

Dans son arrêt rendu le 29 mars 2023 et publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt d’appel et confirme l’annulation de l’article P.6.3.0.3. du RIPB en posant une solution générale :

  • L’avocat peut être le mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats visés à l’article L222-7 du Code du sport mais il ne peut exercer l’activité d’agent sport ni à titre principal ni à titre accessoire ;
  • L’avocat mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client et non par le club.

Cet arrêt particulièrement attendu du mouvement sportif est évoqué par certains comme un véritable « coup d’arrêt » pour l’activité d’avocat mandataire sportif. Il rappelle en outre une réponse ministérielle en date du 1er février 2011, laquelle précisait très clairement que si l’avocat peut

« représenter, dans le cadre d’un mandat, les intérêts d’un sportif ou d’un club, l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice d’une activité sportive qui caractérise l’activité d’agent sportif, constitue en revanche une activité de courtage par nature commerciale et, de ce fait, interdite aux avocats » [2].

Toutefois, la Cour de cassation ne se prononce pas sur l’hypothèse, qui n’en est pas qu’une, de l’avocat mandataire sportif également détenteur d’une licence d’agent sportif.

Or, force est de constater qu’un avocat, détenteur d’une licence, qui se livrerait à une activité d’entremise ne commettrait pas l’infraction d’exercice illégal de la profession d’agent sportif prévue et réprimée par l’article L222-20 du Code du sport (Pour la caractérisation de ce délit, voir notre article Le délit d’exercice illégal de la profession d’agent sportif).

S’agissant de sa rémunération, il semblerait qu’il puisse être payé par le club puisqu’il agirait en tant qu’agent sportif.

En réalité, seule une difficulté subsisterait, à savoir l’interdiction déontologique faite aux avocats d’exercer à titre principale une activité commerciale [3] Pour mémoire, l’arrêt d’appel du 14 octobre 2021 avait indiqué que l’activité d’agent sportif ne pouvait être qu’une activité principale et la Cour de cassation a précisé que l’avocat mandataire sportif ne pouvait exercer les prérogatives propres à l’agent sportif, que cela soit à titre principal comme à titre accessoire.

Prenons toutefois un exemple bien précis : celui d’un avocat disposant d’un mandat sportif avec un joueur, qu’il représente et assiste dans le cadre des aspects juridiques et judiciaires de sa carrière. Au cours de cette relation, l’avocat, également titulaire d’une licence d’agent sportif, a la possibilité de faire de « l’intermédiation » entre le joueur - dont il est le mandataire sportif depuis un certain temps - et un club. Ne pourrait-on pas considérer que, le mandat « avocat » ayant précédé le mandat « intermédiaire », il s’agit là d’une activité commerciale à titre accessoire pour son client, répondant aux termes exacts du décret de 2016 ?

Si la fermeté de l’arrêt du 29 mars 2023 risque de poser une difficulté, il n’en demeure pas moins que cette question reste ouverte.

En tout état de cause, les agents sportifs et les avocats mandataires sportifs n’ont pas vocation à être mis dos à dos. Bien au contraire, ils sont pleinement complémentaires. Un avocat n’est pas un agent, un agent n’est pas un avocat. En l’état du droit, une seule situation demeure souhaitable : l’agent s’occupe de l’entremise, l’avocat s’occupe du juridique, et bien entendu du judiciaire.

Avec pareille configuration, les intérêts des acteurs du sport seront pleinement conservés.

Léo Marronnier
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Mandataire sportif
et
Baptist Agostini-Croce
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Mandataire sportif
www.agostinicroce-avocat.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

10 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Civ. 1ère, 29 mars 2023, n°21-25.335.

[213e législature, question n° 94691, JO du 1er févr. 2011.

[3L’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, indique clairement que « la profession d’avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée (...) ».

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs