Annulation d’une décision de l’OFPRA pour défaut d’examen de la situation individuelle du requérant.

Par Juliette Choron, Avocate.

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Explorer : # droit d'asile # examen individuel # annulation de décision # protection internationale

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Le CESEDA établit les conditions pour obtenir l'asile en France. La CNDA a annulé une décision de l'Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) pour défaut d'examen individuel de la demande d'asile. La décision a été rendue dans une affaire où l'OFPRA a fait une erreur sur l'identité du demandeur et a utilisé une motivation similaire à celle d'un autre demandeur.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans un jugement n°22059266 du 22 septembre 2023, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé la décision du Directeur général de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) sur le motif de l’absence d’examen du dossier du demandeur d’asile par les services de l’OFPRA, et a renvoyé devant l’OFPRA l’examen initial et complet de sa demande de protection internationale (CNDA, 22 septembre 2023, n°22059266).

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I. Rappel des textes applicables en matière de droit d’asile.

Le Livre V du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est consacré au « droit d’asile et autres protections internationales ».

Le titre 1 pose ensuite les conditions d’octroi de l’asile [1].

Aux termes de l’article L511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) :

« La qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu’à toute personne sur laquelle le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu’adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la convention de Genève susmentionnée ».

Aux termes de l’article 1er A 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du Protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée : toute personne qui

« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Selon les dispositions de l’article L511-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) :

« Les actes de persécution et les motifs de persécution, au sens de la section A de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, sont appréciés dans les conditions prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 et au paragraphe 1 de l’article 10 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
S’agissant des motifs de persécution, les aspects liés au sexe, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe.
Pour que la qualité de réfugié soit reconnue, il doit exister un lien entre l’un des motifs de persécution et les actes de persécution ou l’absence de protection contre de tels actes.
Lorsque l’autorité compétente évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent que celui-ci possède effectivement les caractéristiques liées au motif de persécution ou que ces caractéristiques lui soient seulement attribuées par l’auteur des persécutions
 ».

Les dispositions de l’article L512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) énoncent que :

« Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes :
1° La peine de mort ou une exécution ;
2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
3° S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international
 ».

II. Sur l’office du juge d’asile et le moyen de défaut d’examen individuel.

Dans son jugement n°22059266 du 22 septembre 2023, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé la décision du Directeur général de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) sur le motif de l’absence d’examen du dossier du demandeur d’asile par les services de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA).

Cette décision est notable car elle s’inscrit dans une jurisprudence relativement récente et novatrice de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).

En effet, pour la première fois, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé une décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) sur ce motif de « défaut d’examen individuel de la demande d’asile » dans une décision similaire datée du 24 février 2021 [2].

Dans cette décision classée C, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) avait relevé que le défaut d’examen de la situation du demandeur d’asile était caractérisé par le fait que la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), qui était par ailleurs libellée au nom du requérant et qui indiquait son numéro d’enregistrement, comportait néanmoins une motivation manifestement semblable à la situation d’un autre demandeur d’asile, aux motifs que :

« Cette décision, qui porte le numéro de sa demande, et qui est libellée à son nom et prénom, comporte cependant une motivation se rapportant manifestement à la situation d’un autre demandeur d’asile, dès lors que cette motivation comporte un nom qui n’est pas le sien et des craintes qui ne se rapportent pas à sa situation personnelle. Dans ces conditions, et alors que l’Office n’a pas répondu à la demande du conseil du requérant, faite par courriel du 2 octobre 2020, afin que le requérant puisse se voir notifier les réels motifs du rejet de sa demande, M. M. est fondé à soutenir que la décision attaquée ne permet pas de s’assurer que l’administration a procédé, comme elle en a l’obligation, à l’examen individuel de sa demande, en méconnaissance des dispositions de l’article L733-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».

En retenant ainsi que la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) ne lui permettait pas de s’assurer que l’administration avait bel et bien procédé à un examen individuel et réel de sa demande, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a affirmé que la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) devait, à peine d’annulation, garantir notamment par son contenu de l’existence de l’examen individuel de la demande d’asile exigé par les dispositions de l’ancien article L733-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

En l’espèce.

Dans les faits, un demandeur d’asile originaire du Tchad craignait d’être persécuté ou exposé à une atteinte grave par les proches d’un individu d’ethnie Zaghawa, en cas de retour dans son pays d’origine, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités locales. Il a donc demandé une protection internationale auprès de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), rejetée par une décision du Directeur général de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) datée du 22 septembre 2022.

Le requérant a ensuite fait appel de cette décision devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) qui rendu un jugement le 22 septembre 2023, soit un an plus tard.

Dans cette affaire, le défaut de motivation de la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) était manifeste4. En l’espèce, la décision litigieuse de rejet de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) comportait un erreur sur l’identité de la personne (prénom et nom) et énonçait des faits erronés : elle reprenait intégralement la motivation d’une autre décision prise simultanément par l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) dans un autre dossier, en l’occurrence celui de son frère.

Dès lors, au regard de l’absence d’éléments factuels précis, mais aussi du caractère erroné des faits mentionnés qui fondaient pourtant la décision, l’intéressé n’était absolument pas dans la capacité de comprendre en tant que tel les motifs de la décision qui lui étaient opposés.

Cependant, le moyen tiré du défaut de motivation n’a cependant pas été retenu par le juge, qui s’est légitimement fondé sur le défaut d’examen individuel prévu à l’article L532-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Aux termes de l’article L532-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) :

« La Cour nationale du droit d’asile ne peut annuler une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et lui renvoyer l’examen de la demande d’asile que lorsqu’elle juge que l’office a pris cette décision sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d’un entretien personnel avec le demandeur et qu’elle n’est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection au vu des éléments établis devant elle.
Il en va de même lorsque la cour estime que le requérant a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien, faute d’avoir pu bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiquée dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, et que ce défaut d’interprétariat est imputable à l’office. Le requérant ne peut se prévaloir de ce défaut d’interprétariat que dans le délai de recours et doit indiquer la langue dans laquelle il souhaite être entendu en audience. Si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend
 ».

La Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a tout d’abord rappelé le principe selon lequel le moyen relatif au défaut de motivation et donc de l’illégalité d’un acte n’était pas opérant en matière de plein contentieux, mais que l’office du juge de l’asile était celui de se prononcer sur le droit du requérant à une protection au vu de l’ensemble des circonstances de faits dont il a connaissance au moment où il statue.

Il est en effet de jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour nationale du droit d’asile, qui statue comme juge de plein contentieux sur le recours d’un demandeur d’asile dont la demande a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), de se prononcer elle-même sur le droit de l’intéressé à la qualité de réfugié ou, à défaut, au bénéfice de la protection subsidiaire, au vu de l’ensemble des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue [3].

Il n’en demeure pas moins que ces deux notions de motivation et d’examen individuel sont particulièrement connexes puisque le défaut de motivation augure bien souvent un défaut d’examen réel et sérieux de la situation individuel du requérant par les services de l’administration.

Dans cet arrêt du 22 septembre 2023, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a donc retenu le moyen tiré de l’absence d’examen individuel par les services de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) de la demande d’asile du requérant, aux motifs que :

« 2. Toutefois, il ressort de l’instruction qu’à la suite de son entretien devant l’OFPRA (...) M. X a vu sa demande de protection rejetée par une décision du 22 septembre 2022. Cette décision, qui porte le numéro de sa demande et qui est libellée à son nom et prénom, comporte une motivation se rapportant manifestement à la situation de son demi-frère, M. Y, puisque celle-ci se réfère aux seuls nom et prénom de ce dernier et lui oppose les faits allégués en des termes discordants tant avec ses propres déclarations lors de son audition par l’Office qu’avec les pièces du dossier, notamment en ce qui concerne la date de délivrance de son passeport. Dans ces conditions, M. X est fondé à soutenir que la décision attaquée ne permet pas de s’assurer que l’OFPRA a procédé, comme elle en a l’obligation, à l’examen individuel de sa demande, en méconnaissance des dispositions de l’article L532-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».

En conclusion, la Cour a estimé qu’elle ne pouvait s’assurer de la réalité et du sérieux de l’examen individuel de la demande d’asile du requérant par l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), comme elle en a pourtant l’obligation, compte tenu des erreurs nombreuses et grossières commises par l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) dans sa décision de rejet.

Néanmoins, concernant le fond de la demande d’asile, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a considéré qu’elle n’était pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur sa demande de protection.

Cette position n’est pas surprenante sur le principe puisqu’elle s’inscrit dans une pratique habituelle de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) en cas d’annulation sur ce fondement.

En réalité, ce choix de renvoi est même compréhensible en l’espèce dans la mesure où le requérant, dûment convoqué, était absent lors de son audience à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Par conséquent, le juge qui estimait qu’il subsistait encore des zones d’ombres, ne pouvait pas procéder à l’audition de ce dernier afin d’obtenir des explications plus substantielles et devait donc se contenter de se référer au récit initial du requérant, à son entretien à l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), ainsi qu’à son recours introduit devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Sur ce point, le juge a donc estimé que le demandeur d’asile n’avait pas « apporté les précisions nécessaires à l’établissement de la crédibilité des craintes alléguées à l’appui de sa demande de protection ».

Par conséquent, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé la décision déférée de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) en ce qu’elle témoignait de l’absence d’examen sérieux de la demande d’asile du requérant, tout en choisissant de renvoyer une nouvelle fois devant l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) le demandeur d’asile aux fins de procéder à un nouvel examen de sa demande de protection internationale.

Juliette Choron
Avocate inscrite au Barreau de Paris
https://www.juliette-choron-avocat.fr/
choron.avocat chez gmail.com

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[1Articles L510-1 à L513-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

[2CNDA, 24 février 2021, M. M., n° 20032375 C+.

[3Conseil d’État, 2ème chambre, 11 mars 2024, 471007.

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