Le demandeur d’asile est un étranger qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité ou dans lequel il réside habituellement, qui sollicite le bénéfice d’une protection internationale, en raison des craintes qu’il éprouve d’être persécuté ou l’objet de menaces graves en cas de retour.
Autant dire qu’il se trouve dans une situation délicate, qui peut assez rapidement devenir précaire.
D’où notamment des textes qui visent à lui assurer des conditions de vie dignes durant l’instruction de sa demande.
Tel est le cas de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, qui impose aux États membres de prévoir une prise en charge pendant toute la durée de la procédure d’instruction de la demande d’asile.
Avec la Directive « procédures » [1] et la Directive « Qualification » [2], elle sera transposée en droit français par la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile [3].
Cette instruction peut se faire selon deux procédures distinctes. Si la première, dite normale, ne soulève aucune difficulté particulière, il en va différemment de la seconde, dite accélérée.
Prévue par le 8eme paragraphe de l’article 31 de la Directive n°2013/32/UE du parlement et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, la possibilité d’une procédure accélérée d’examen des demandes d’asile (qui a succédé à la procédure dite prioritaire) est envisagée pour l’examen des demandes d’asile présentées par certaines catégories d’étrangers. Il lui est cependant reproché de priver le demandeur du bénéfice des garanties procédurales.
Se posent en effet deux problèmes liés aux conditions (I) et à la suite (II) du placement en procédure accélérée.
I- Les conditions du placement en procédure accélérée.
La procédure accélérée est susceptible d’intervenir dans trois hypothèses, avec une marge de manœuvre plus ou moins grande laissée à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La première se déduit de la loi et lie l’Office. La deuxième est de l’initiative de l’autorité administrative chargée de l’enregistrement de la demande. La troisième est décidée par l’Office.
A- L’orientation par la loi.
Une demande est orientée en procédure accélérée dans deux situations.
1- Lorsque le demandeur provient d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr. Un pays est considéré comme tel lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et les circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, quelle que soir t leur orientation sexuelle, il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence dans des situations de conflit armé international ou interne [4].
En somme, il s’agit d’un pays dans lequel nul ne peut être exposé aux risques au regard desquels la protection internationale est susceptible d’être accordée [5].
2- Lorsque le demandeur a présenté une demande de réexamen recevable. De la loi du 29 juillet 2015, il ressort qu’est considéré comme une demande de réexamen toute demande présentée après qu’une décision définitive a été prise sur une demande antérieure, y compris lorsque le demandeur avait explicitement retiré sa demande antérieure, lorsque l’office a pris une décision de clôture en application de l’article L.723-13 ou lorsque le demandeur a quitté le territoire, même pour rejoindre son pays d’origine.
B- L’orientation à l’initiative de la préfecture.
A la différence de l’OFPRA (qui examine le contenu d’une demande), cette orientation ne découle pas d’une appréciation du contenu de la demande mais du comportement de l’intéressé ou du contexte dans lequel sa demande est faite.
L’office statue en procédure accélérée lorsque l’autorité administrative chargée de l’enregistrement de la demande d’asile constate que :
Le demandeur refuse de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales. Lors de l’enregistrement de sa demande, le demandeur présente de faux documents d’identité ou de voyage, fournit de fausses indications ou dissimule des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d’induire en erreur l’autorité administrative ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes ;
Sans motif légitime, le demandeur qui est entré irrégulièrement en France ou s’y est maintenu irrégulièrement n’a pas présenté sa demande d’asile dans le délai de 90 jours à compter de son entrée en France ;
Le demandeur ne présente une demande d’asile qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement ;
La présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat.
C- L’orientation à l’initiative de l’OFPRA.
L’office peut, de sa propre initiative, statuer en procédure accélérée lorsque :
Le demandeur a présenté de faux documents d’identité ou de voyage, fourni de fausses indications ou dissimulé des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou des modalités de son entrée en France afin de l’induire en erreur ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes ;
Le demandeur n’a soulevé à l’appui de sa demande que des questions sans pertinence au regard de la demande d’asile qu’il formule ;
Le demandeur à fait à l’Office des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou eu plausibles qui contredisent des informations vérifiées relatives au pays d’origine ;
Il convient de préciser qu’une demande d’asile présentée par un mineur non accompagné ne peut pas faire l’objet d’une procédure accélérée, hormis lorsque cette procédure est déterminée par la loi ou lorsque l’autorité administrative chargée de l’enregistrement de la demande d’asile constate que la présence en France du mineur constitue une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité de l’Etat. Par ailleurs, la contestation du placement en procédure accélérée n’est possible que devant la CNDA, dans le cadre du contentieux concernant la décision de l’OFPRA.
Ce placement en procédure accélérée emporte des conséquences.
II- Les suites du placement en procédure accélérée.
Nombreuses sont les critiques dont la procédure accélérée est l’objet. Il suffit par exemple de songer à celles qui ont donné au Conseil constitutionnel l’occasion de se prononcer sur ce sujet. Les députés et les sénateurs, auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel des 6 et 8 août 2018 [6] considéraient que le délai de 90 jours et la procédure accélérée entraînaient « une méconnaissance du droit à une procédure juste et équitable et des droits de la défense ainsi que du droit d’asile et du principe d’égalité devant la loi ».
Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 6 septembre 2018, que cette procédure était conforme à la constitution [7].
Accélérée, cette procédure comporte des éléments relevant de la procédure normale (A) et d’autres qui en font sa singularité (B).
A- Des éléments de la procédure normale.
A l’instar de la procédure normale d’examen des demandes d’asile, la procédure accélérée comprend une phase administrative devant l’OFPRA, puis une phase juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en cas de contestation de la décision rendue par le Directeur général de l’OFPRA.
1- La procédure administrative.
L’étranger dispose d’un délai pour présenter sa demande d’asile. Au-delà de ce délai, l’OFPRA peut prendre une décision de clôture d’examen, sauf dans l’hypothèse où les services préfectoraux ont omis de remettre à l’intéressé le document d’information.
Une fois sa demande enregistrée, le demandeur est convoqué par l’OFPRA à un entretien [8].
Cette étape constitue une garantie essentielle dont la méconnaissance entraîne l’annulation par la CNDA de la décision rendue par l’OFPRA, s’il apparaît qu’il n’était pas dispensé par loi de convoquer le demandeur à une audition et que le défaut d’audition est imputable à l’Office (CE,10 octobre 2013, OFPRA c/Y., n°362798) [9].
Le demandeur peut se présenter à l’entretien accompagné soit d’un avocat, soit d’un représentant d’une association de défense des droits de l’homme, d’une association de défense des droits des étrangers ou des demandeurs d’asile, d’une association de défense des droits des femmes ou des enfants ou d’une association de lutte contre les persécutions fondées sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle [10].
Lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’office français de protection des réfugiés et apatrides, être accompagné par le professionnel de santé qui le suit habituellement ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap. Lorsque l’entretien personnel mené avec le demandeur d’asile nécessite l’assistance d’un interprète, sa rétribution est prise en charge par l’Office [11].
S’il en fait la demande et si cette dernière apparaît manifestement fondée par la difficulté pour le demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande d’asile, notamment ceux liés à des violences à caractère sexuel, l’entretien est mené, dans la mesure du possible, par un agent de l’office du sexe de son choix et en présence d’un interprète du sexe de son choix [12].
C’est au terme de cette procédure que l’OFPRA rend une décision susceptible d’être contestée devant la CNDA [13]
2- La procédure juridictionnelle devant la CNDA.
Sauf délai de distance (pour le demandeur domicilié en outre -mer), le délai de recours est d’un mois à compter de la notification de la décision de l’OFPRA. Ce délai peut également être affecté si l’intéressé fait une demande d’aide juridictionnelle. L’article 9-4 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, prévoit que l’aide juridictionnelle est sollicitée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Lorsqu’une demande d’aide juridictionnelle est adressée au bureau d’aide juridictionnelle de la cour, le délai est suspendu et un nouveau délai court, pour la durée restante, à compter de la notification de la décision relative à l’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle.
Saisie d’un recours contre une décision du directeur génal de l’OFPRA, la CNDA statue en qualité de juge de plein contentieux, sur le droit du requérant à une protection au titre de l’asile au vu des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle se prononce [14].
La Cour ne peut annuler une décision du directeur général de l’office et lui renvoyer l’examen de la demande d’asile que lorsqu’elle juge que l’office a pris cette décision sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d’un entretien personnel avec le demandeur et qu’elle n’est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection au vu des éléments établis devant elle.
Il en va de même lorsque la cour estime que le requérant a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien, faute d’avoir pu bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiqué dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, et que ce défaut est imputable à l’office [15].
La procédure est inquisitoire et écrite, mais le requérant a la faculté de présenter ses observations à la cour lors d’une audience publique [16] au cours de laquelle il bénéficie de l’assistance gratuite d’un interprète. A l’issue de cette procédure, la cour se prononce par une décision motivée [17].
Les décisions de la Cour peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (art. R.733-35 du CESEDA). Le Conseil d’Etat contrôle la régularité et le bien fondé de la décision rendue par la Cour. S’agissant du bien-fondé de la décision, le Conseil d’Etat sanctionne principalement l’erreur de droit, dans la mesure où il ne contrôle pas l’appréciation des faits, ni la valeur probante des pièces produites, sauf en cas d’erreur matérielle ou de dénaturation commise par la Cour.
B- Eléments de spécificité.
1- Réduction des délais d’instruction.
Alors qu’en procédure normale l’OFPRA dispose d’un délai de six mois pour statuer [18], le délai de traitement d’une demande en procédure accélérée est fixé à 15 jours (art. 723-4 du CESEDA). Ce délai est ramené à 96 heures lorsque le demandeur est placé en centre de rétention administrative. Dans l’hypothèse où le classement en rétention est prescrit par l’OFPRA à l’issue de l’entretien, le délai de 15 jours court à partir de la date de l’entretien.
L’Office a un devoir d’information lorsqu’il décide de classer la demande en procédure accélérée : lors de la convocation pour l’entretien si le classement est intervenu avant l’envoi de la convocation, dans la décision si le classement a été décidé à l’issue de l’entretien. La Préfecture est informée du classement de la demande en procédure accélérée par voie télématique. Pour les procédures accélérées, la communication du compte rendu d’entretien est concomitante à la notification de la décision.
À tout moment l’OFPRA peut renoncer à la procédure accélérée et réorienter la demande en procédure normale, s’il juge que les éléments du dossier nécessitent une instruction approfondie. Le reclassement, n’est toutefois pas autorisé lorsque la demande a été placée en procédure accélérée parce que la présence de l’intéressé sur le territoire constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat.
2- Suppression de la collégialité .
La mise en œuvre de la procédure accélérée a pour autre conséquence d’instaurer un jugement à juge unique. En procédure normale, le président de la formation est assisté de deux assesseurs de nationalité française nommés, en raison de leurs compétences dans les domaines juridiques ou géopolitique, l’un, par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d’Etat, l’autre, par le vice-président du Conseil d’Etat.
Toutefois, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la cour ou le président de formation de jugement désigné à cette fin peut, à tout moment de la procédure, renvoyer à la formation collégiale la demande s’il estime que celle-ci ne relève pas de l’un des cas prévus aux articles L.723-2 et L.723-11 ou qu’elle soulève une difficulté sérieuse.
Le déroulement de la procédure accélérée se rapproche au final de celui de la procédure dite normale [19]. L’on observera à ce dernier égard que la restriction des délais d’instruction et l’absence de collégialité ne sont pas spéciales à la procédure accélérée. Nombreuses sont en effet les procédures à juges uniques avec des délais d’instruction restreints. En réalité, le risque ici pourrait simplement venir de l’a priori négatif (en amont) qui détermine l’orientation d’une demande vers la procédure accélérée [20] ; préjugé négatif qui pourrait influencer les acteurs de l’instruction (l’OFPRA et la CNDA) et les conduire à rendre des décisions sur le fond défavorables au demandeur d’asile.