Boualem Namam, connu sous le pseudonyme Doualemn est un influenceur de nationalité algérienne résidant régulièrement en France après avoir obtenu un titre de séjour en 2010.
Dans une vidéo diffusée sur TikTok, il a tenu des propos d’incitation à la haine. Placé en garde à vue, le 7 janvier 2025, le ministère de l’Intérieur arrêtera deux décisions relatives à son expulsion du territoire français, au retrait de son titre de séjour et à la fixation de l’Algérie comme pays de destination. Toutefois, son voyage par-delà la méditerranée n’aura pas l’effet escompté, puisqu’à son arrivée à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger, Doualemn se verra refuser l’entrée sur le sol algérien, obligeant les policiers français à le ramener en France et déclenchant ainsi une crise diplomatique entre les deux Etats.
La procédure d’expulsion de Doualemn a donné lieu à plusieurs décisions administratives : le 29 janvier 2025, le 6 février 2025, le 25 mars 2025, et finalement le 8 avril 2025. La question étant la légalité de l’expulsion de Doualemn et la possibilité de mettre en œuvre la procédure d’expulsion en urgence absolue. Le 8 avril, le Conseil d’État a rejeté le référé-liberté déposé par l’influenceur montpelliérain pour contester son expulsion vers l’Algérie, cette dernière n’étant affectée « d’aucune irrégularité ni erreur de droit ». Dès lors, Doualemn est expulsable, même si les juges doivent encore se prononcer en appel sur le fond.
I. Le régime des expulsions d’étrangers.
Selon les articles L631-1 à L631-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave à l’ordre public, ou lorsque son expulsion constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État et la sécurité publique ou encore lorsque sa présence porterait atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. Pour permettre ces expulsions, le droit des étrangers français s’est doté ces dernières années de deux types de procédures d’expulsions. La première est la procédure d’expulsion dite de droit commun et la seconde est la procédure d’expulsion en urgence absolue.
Ces procédures présentent plusieurs différences. Ainsi, la procédure dite de droit commun est régie dans le CESEDA. L’autorité administrative peut être le préfet en application du premier article précité ou le ministre de l’intérieur en application des deux articles suivants. À contrario, la procédure d’expulsion en urgence absolue est peu réglementée par le CESEDA. A la lecture du code, l’article R632-2 nous informe que la compétence de cette procédure est réservée au ministre de l’intérieur. De plus cette procédure n’est applicable que dans le cas où la condition d’urgence absolue est réunie. La deuxième différence tient à l’absence de la réunion de la commission départementale d’expulsion des étrangers dans la procédure d’expulsion en urgence absolue. En effet, selon l’article L632-1 al2 “Le présent article ne s’applique pas en cas d’urgence absolue”, ce qui n’est pas le cas dans la procédure dite de droit commun pour laquelle la réunion de la commission d’expulsion (COMEX) est exigée.
Cette commission est composée du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, d’un magistrat et d’un conseiller du tribunal administratif. La COMEX a un rôle important, puisqu’après avoir entendu l’étranger lors d’un débat public, elle rend un avis motivé prenant en compte la situation personnelle et familiale de l’étranger concerné, ainsi que la gravité des faits reprochés. Toutefois, l’avis motivé émis par la commission ne lie en aucun cas l’autorité administrative, celle-ci pouvant valablement aller dans le sens inverse.
II. La saga Doualemn et les différents régimes d’expulsion.
L’ordonnance du Tribunal administratif de Paris du 29 janvier 2025 est le premier volet de l’affaire “Doualemn”.
À la lecture de la décision, on note que celle-ci a été rendue en deux temps.
D’une part, s’agissant de la question relative à la possibilité d’exclure Doualemn, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris répond par l’affirmative.
Pour ce faire, il retient :
« Qu’il résulte de l’instruction qu’en raison de la large diffusion des vidéos postées le 4 janvier 2025 sur le compte TikTok de M. C..., suivi par 138 000 personnes et de la teneur des propos tenus, incitant à la commission, sur le territoire algérien, de violences volontaires sur un opposant politique résidant en Algérie, le moyen tiré de l’erreur d’appréciation de la menace grave et actuelle que représente l’intéressé sur le territoire français n’apparaît pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’expulsion ».
D’autre part, s’agissant de la question relative à la possibilité d’exclure Doualemn en vertu de la procédure d’expulsion d’urgence absolue, le Tribunal administratif de Paris répond cette fois par la négative. Les motifs invoqués sont les multiples circonstances non établies par le ministre de l’Intérieur, notamment la relation de Doualemn avec d’autres influenceurs plus radicalisés, ainsi qu’une possible réitération des faits compte tenu des condamnations pénales antérieures de l’intéressé. Le tribunal ajoute qu’en plus de l’absence de preuve des dires du ministre de l’Intérieur, en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la procédure d’expulsion en urgence absolue n’est pas justifiée au regard d’une vie familiale stable qu’il entretient avec une ressortissante française depuis 15 années et la présence de ses deux fils sur le territoire français.
Suite à l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 29 janvier 2025, le préfet de l’Hérault, sur demande du ministre de l’Intérieur, a adopté deux obligations de quitter le territoire français. Pour rappel, l’obligation de quitter le territoire français (ou OQTF) régit par l’article L611-1 du CESEDA, est une mesure prise afin d’obliger un étranger, qui est entré en France de façon irrégulière, qui séjourne en France de façon irrégulière, qui a reçu un refus de titre de séjour ou encore qui est une menace à l’OP, à quitter le territoire.
On constate que le préfet de l’Hérault a préféré se fonder sur ce mécanisme de l’OQTF dès lors que les conditions étaient remplies. En effet, depuis son expulsion et le retrait de son titre de séjour, Doualemn était en séjour irrégulier.
Cependant, le 6 février 2025, le Tribunal administratif de Melun a considéré que Doualemn ne pouvait être éloigné du territoire français que selon la procédure d’expulsion ordinaire, impliquant son audition devant la commission d’expulsion, et que la procédure de l’OQTF n’était donc pas légalement applicable.
En conséquence, le tribunal a annulé l’OQTF prise par le préfet de l’Hérault et lui a donné un délai de trois mois pour réexaminer la situation de l’intéressé. Comme le prévoit la loi, cette annulation a eu pour conséquence la libération immédiate de l’intéressé (article L. 614-16 du CESEDA).
Le troisième volet sera l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 25 mars 2025. Le juge des référés a rejeté la requête de Doualemn tendant à suspendre la décision d’expulsion en se fondant sur plusieurs motifs.
S’agissant du premier motif, il s’agit de l’absence d’une vie familiale intense. Pour rappel, le respect de la vie familiale a été d’abord rattaché à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme “Moustaquim c/Belgique” de 1991, avant d’être repris en droit interne très rapidement dans la célèbre jurisprudence du Conseil d’État “Belgacem et babas”. Le principe est le suivant : l’expulsion de l’étranger ne fait pas échec à son droit au respect de sa vie familiale. C’est d’ailleurs ce qu’a invoqué Doualemn en évoquant “La présence sur le territoire français de ses enfants majeurs, dont l’un est lourdement handicapé, de ses petits-enfants et d’une ressortissante française avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité.” Toutefois, ce respect de la vie familiale connaît une limite. Dès lors qu’elle est conforme à un but légitime, est proportionnée et prévue dans la loi. L’ordonnance du 25 mars 2025 au considérant 6, fait ce travail de proportionnalité puisqu’elle indique que :
« Toutefois, le requérant ne justifie, par les pièces versées au dossier, ni participer effectivement à la prise en charge de son fils, ni entretenir une communauté de vie avec sa partenaire ».
S’agissant du deuxième motif, c’est l’absence de nécessité d’une prise en charge médicale en France qui est retenue. Ce mécanisme permet à un étranger de rester en France pour se faire soigner sous deux conditions, il faut que l’absence de prise en charge crée des conséquences d’une extrême gravité sur la santé de l’étranger et, d’autre part, que le traitement ne soit pas accessible dans son pays d’origine. Ce principe a d’abord été consacré par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 mai 1992, avant d’être intégré dans le droit interne par une ordonnance du 16 décembre 2020 à l’article L425-9 du CESEDA.
Toutefois, l’ordonnance du Tribunal administratif de Paris du 25 mars 2025 n’a pas accueilli favorablement ce moyen puisqu’elle retient :
« Qu’il ne résulte pas de l’instruction, et qu’il n’est d’ailleurs pas sérieusement soutenu, que le traitement médical devant être suivi n’est pas disponible en Algérie ».
L’affaire aurait pu prendre fin si les avocats de l’influenceur n’avaient pas saisi, le Conseil d’État en contestation de l’expulsion validée par le Tribunal administratif de Paris le 25 mars.
Le 8 avril, la plus haute juridiction administrative a rendu une décision dans laquelle elle rejette le référé-liberté en invoquant l’absence des conditions de recevabilité d’un référé-liberté qui sont l’urgence et l’atteinte à une liberté fondamentale. Pour ce faire, elle a retenu que la mesure d’expulsion prise par le ministre de l’Intérieur n’a « pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Dans cette affaire, les prises de décision de l’Algérie sont aussi sujettes à questionnement. En effet, Doualemn est un ressortissant algérien et le fait de ne pas l’accepter sur son territoire est une violation des règles internationales. Ainsi, l’article 12§4 du PIDCP (que l’Algérie a ratifié en 1989) dispose "Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays".
Le ministre de l’Intérieur Monsieur Retailleau avait également souligné que selon lui, l’Algérie a violé le chapitre 5 de l’annexe 9 de la convention de Chicago de 1948 relative à l’aviation civile internationale qui établit les principes fondamentaux du droit aérien international disposant qu’un État contractant admettra dans son territoire ses nationaux qui ont été expulsés d’un autre État. En tout état de cause, le droit international coutumier oblige chaque État à réadmettre ses propres ressortissants expulsés d’un autre pays.
L’affaire Doualemn aura peut-être permis de mieux cerner les contours de la procédure d’urgence absolue puisque, pour décider de l’annulation de la procédure d’urgence absolue, le juge administratif, en l’absence d’un régime spécifique, a pris en compte plusieurs éléments, telles que la vie familiale, les anciennes condamnations ou encore l’absence de garde à vue de Doualemn à la suite de la vidéo TikTok.
En effet, comme le rappelle Catherine-Amélie Chassin (professeur de droit public à la faculté de Caen) “puisqu’il n’y a pas de texte, il n’y a pas de condition spécifique à l’expulsion en urgence absolue”. Le bruit médiatique de cette affaire n’est pas sans évoquer la possibilité que soit abordée au Parlement la codification d’un régime pour la procédure d’urgence absolue, aujourd’hui encore très floue.
Il est impossible de clore cet article sans évoquer les conséquences de l’affaire sur les relations franco-algériennes, déjà tendues après la condamnation par les juges algériens de l’écrivain Boualem Sansal.
Alors que l’Algérie fait preuve de résistances afin de ne pas reprendre ses ressortissants sous OQTF, la France menace de réexaminer plusieurs accords bilatéraux et refuse l’extradition de politiciens algériens résidant en France, tel Abdeslam Bouchouareb. Le dialogue récemment amorcé entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune permettra peut-être d’apaiser cette crise.