[Point de vue] L’article L3121 du Code du travail français est-il conforme au droit européen ?

Par Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat.

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Explorer : # temps de travail effectif # directive européenne # période d'astreinte # temps de déplacement

Plusieurs parties de l’article L3121 du Code du travail français présentent une potentielle non-conformité avec le droit européen, lequel prime sur le droit national. Le principe de primauté du droit de l’Union européenne repose sur l’idée qu’en cas de conflit entre un aspect du droit européen et celui du droit d’un État membre, le droit européen prévaut.

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Dans cet article seront analysées les parties suivantes de l’article L3121 du Code du travail :
- La définition de l’article L3121-1 du Code du travail est plus restrictive que la définition européenne.
- L’article L3121-4 du Code du travail exclut comme travail effectif le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail.
- Concernant la période d’astreinte, l’article L3121-10 du Code du travail établit un système de comptage de travail effectif inférieur au travail réellement réalisé.

Ces problèmes de conformité ont des conséquences dans le monde du travail.

Le principal sujet lésé est le salarié et le principal sujet bénéficiaire est l’employeur pour plusieurs raisons :
- La rémunération. L’employeur économisera de l’argent, car il ne doit pas payer des heures lesquelles ne sont non pas considérées comme temps de travail effectif. Lorsque plus d’heures sont considérées comme travail effectif, le salarié recevra un salaire plus élevé. Si plus d’heures sont considérées comme travail effectif, la durée légale de la journée de travail peut être dépassée et ces heures devront être payées comme heures supplémentaires.
- La sécurité et santé du salarié au travail. Le salarié aura une période de repos inférieure à celle qui lui correspond si le temps de travail est considéré comme période de repos.

Les intérêts en jeu du salarié et de l’employeur, concernant le temps de travail effectif, semblent évidents.

I. Le temps de travail effectif de l’article L3121-1 du Code du travail : une définition plus restrictive que la définition européenne.

En France, le Code du travail (ci-après CT) se réfère au temps de travail effectif.

L’article L3121-1 du CT donne une définition du temps de travail « effectif », tout en disant :

« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

À partir de la définition que le CT établit, la définition du temps de travail est composée par quatre éléments :
- Le travail doit être effectif. Ainsi, si nous faisons une interprétation stricte du terme « effectif », le droit du travail français ne comptabilise que le travail productif.
- La disposition du salarié en bénéfice de l’employeur.
- La soumission du salarié en bénéfice de l’employeur.
- La possibilité du salarié de vaquer à des occupations personnelles.

Le fait que le salarié puisse vaquer librement à des occupations personnelles est déterminant pour établir s’il y a une soumission en bénéfice de l’employeur ou non. C’est la frontière entre le temps de travail et la période de repos.

La définition française du temps de travail effectif, plus restrictive que la définition européenne. Problème d’interprétation ou de modification ?

L’article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (à partir de maintenant, directive européenne), donne la définition suivante du temps de travail :

« Toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».

La définition européenne est composée par trois éléments :
- Le critère territorial. Le salarié se trouve en permanence sur le lieu de travail. Malgré le fait que ce critère puisse paraître plus restrictif, il est rempli lorsque le salarié doit se trouver dans un lieu déterminé par l’employeur, même si ce n’est pas le lieu de travail habituel. La liberté du salarié pour décider sa localisation a été clé pour considérer comme rempli cet élément.
- Le critère d’autorité. Le salarié se trouve à la disposition de l’employeur.
- Le critère professionnel. Le salarié se trouve en train de réaliser l’activité et les fonctions découlant du contrat de travail. C’est-à-dire que le salarié doit être en train d’obéir aux instructions de son employeur.

La définition française devrait être interprétée à la lumière de ladite directive. La Cour de cassation (à partir de maintenant, CC) l’a ainsi reconnu.
Malgré cette reconnaissance, on devrait réfléchir si la définition de l’article L3121-1 CT est la plus adéquate ou non par les motifs suivants :
- La définition française est plus restrictive que la définition européenne. Cette dernière en aucun cas se réfère explicitement au travail effectif, sinon au fait que « le salarié soit au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions ». Tout en suivant le droit européen, les notions de « temps de travail » et « période de repos » constituent des notions de base du droit européen. En conséquence, les États membres ne peuvent ajouter des conditions ou des restrictions aux définitions données par l’article 2 de la directive européenne.
- Plusieurs doutes d’interprétation peuvent apparaître, car la définition française n’est pas très précise tout en prenant en compte l’existence de certaines « zones grises ». Il s’agit des situations qui se trouvent dans la frontière entre le temps de travail et la période de repos. Et il y a certains travaux dont la nature exige une disposition totale du salarié au bénéfice de l’employeur et qui limitent sa capacité de gérer son temps. La définition du travail effectif ne prend pas en considération ces limitations et elle peut être un obstacle pour classifier certaines zones grises comme temps de travail.

Des situations qui peuvent provoquer des doutes d’interprétation sont :
- Le salarié ne peut pas vaquer librement à des occupations personnelles et, en même temps, il est à la disposition de l’employeur malgré le fait qu’il n’est pas en train de développer un travail effectif.
- Et il y a des périodes au cours desquelles des prestations du travail sont réellement effectuées et des moments durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli (mais que le salarié reste à la disposition de l’employeur).
- La définition française peut exclure de la comptabilisation de temps de travail des temps comme la période d’astreinte ou les temps de déplacement entre le domicile et le lieu du travail, entre autres.

II. Le temps de déplacement entre le domicile et le lieu du travail : l’article L3121-4 Code du travail et la réponse de la Cour de cassation.

Une des situations qui constituent une « zone grise » entre les concepts de temps de travail et période de repos est le temps que le salarié utilise pour se déplacer de son domicile à son centre de travail, c’est-à-dire, le temps de déplacement.
On doit prendre en considération que les temps de déplacement peuvent être différents selon les contraintes imposées par l’employeur au salarié. Pour cette raison, considérer que tous les temps de déplacement sont égaux est une grave erreur.
Il y a différentes situations que la réglementation française ne prend pas en considération et restreint la définition européenne de temps de travail.

Selon les dispositions du CT, le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile au lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.
L’article L3121-4 CT établit :

« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ».

Le CT est très clair quand il considère le temps de déplacement comme période de repos. On doit rappeler que les concepts de temps de travail et période de repos sont exclusifs l’un sur l’autre selon le droit européen.
Alors, si le temps de déplacement professionnel pour se rendre au lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, il doit être considéré comme période de repos.
Le CT ajoute :

« Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire ».

L’article L3121-4 du CT parle du « temps normal de trajet » sans le définir. La CC française a été chargée de fixer des critères d’appréciation. Il faut prendre en considération le lieu où se trouve le centre du travail. Ce lieu doit se trouver à une distance raisonnable de son centre de travail, de sorte que le temps de trajet déterminé doive être équivalent au temps normal de trajet.

La récente décision de la Cour de cassation.

Récemment, la CC a assoupi son interprétation de l’article L3121-4 du CT. La CC dit que le temps de déplacement d’un salarié entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile peut, dans certains cas, être considéré comme temps de travail effectif.
La CC reconnaît son obligation d’interpréter les articles L3121-1 et L3121-4 du CT à la lumière de la directive européenne. Il y a certaines situations où le temps de déplacement professionnel coïncide avec la définition du temps de travail effectif.

Le temps de déplacement que la CC analyse présentait certaines caractéristiques particulières.

Ces caractéristiques sont une évidence que le fait de considérer toujours le temps de déplacement (sans importer les notes caractéristiques de la définition temps de travail) comme période de repos serait non conforme au droit européen :
- Le salarié, en qualité d’attaché commercial, effectuait de fréquents déplacements entre la clientèle et il ne se rendait que de manière occasionnelle au siège de l’entreprise.
- Le véhicule que la société avait mis à disposition du salarié avait un téléphone portable professionnel et un kit de mains libres intégré. Grâce aux caractéristiques du véhicule, le salarié devait être en mesure de fixer des rendez-vous et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens pendant les déplacements.
- Le salarié devait intervenir auprès des clients de l’entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile. En conséquence, il était obligé, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, de réserver une chambre d’hôtel afin de pouvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

Lesdites caractéristiques faisaient que le salarié, pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et le dernier client, les éléments caractéristiques de la notion du temps de travail étaient présents : le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. Les contraintes auxquelles le salarié était soumis ont déterminé la décision de la CC. Cette décision démontre que la CC prend en considération les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

III. Les conséquences de la décision de la Cour de cassation : Vers la modification de l’article L3121-4 du Code de travail ?

La décision de la CC aura comme conséquence la délimitation de deux temps de déplacement :
- Le temps de trajet caractérisé par la présence des notes de « temps de travail » de l’article L3121-1 du CT sera considéré comme temps de travail et rémunéré comme tel.
- Si ces notes caractéristiques ne sont pas présentes, il ne sera pas considéré comme temps de travail.

L’article L3121-4 du CT peut être non conforme au droit européen et donner plusieurs doutes d’interprétation. Si on fait une interprétation littérale, cet article fixe qu’un salarié itinérant ne peut pas obtenir le paiement d’heures supplémentaires qui ont été effectuées sur son temps de trajet entre son domicile et le client, car ce temps n’est pas considéré comme temps de travail effectif.
Tout en prenant en compte la dernière décision de la CC et le droit européen, l’article L3121-4 du CT devrait être modifié pour assouplir le classement strict du temps de déplacement professionnel comme période de repos et incorporer certaines exceptions. Avec la rédaction actuelle, il peut y avoir une contradiction entre les articles L3121-1 et L3121-4 du CT.

IV. L’article L.3121-10 Code du travail, contre le droit européen et la charte sociale européenne : la récente réponse de la Cour de cassation.

L’article L3121-10 du CT présente une formulation polémique et qui peut être contraire au droit européen, tout en disant :

« Exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L3132-2 et L3164-2 ».

Selon cet article, en principe, il y a deux situations pendant la période d’astreinte :
- Si le salarié doit intervenir, le temps de cette intervention est considéré comme temps de travail effectif. Par exemple, imaginons un pompier en régime d’astreinte qui doit se présenter au centre de travail lorsqu’il reçoit un appel tout en demandant ses services.
- Au contraire, si le salarié n’intervient pas et simplement, il doit être joignable, ce temps n’est pas considéré comme travail effectif.

La potentielle non-conformité de l’article L3121-10 du CT avec le droit européen
Il y a une potentielle non-conformité de l’article L3121-10 du CT avec la directive européenne. La loi française ne permet pas une appréciation des circonstances et contraintes imposées au salarié pendant la période d’astreinte. Selon la Cour luxembourgeoise, il y a plusieurs notes caractéristiques de chaque période de garde sous régime d’astreinte. L’existence de ces notes caractéristiques peut avoir comme conséquence que ce temps soit qualifié comme temps de travail ou comme période de repos.

Entre les critères donnés par la CJUE que l’article L3121-10 du CT n’apprécie pas, se trouvent :
- La brièveté du délai dans lequel le salarié doit, en cas d’intervention nécessaire, se remettre au travail.
- La fréquence moyenne des prestations effectives qui sont normalement réalisées par le salarié pendant le développement de la période de garde sur le régime d’astreinte.
- Les conditions plus ou moins restrictives fixées par l’employeur au salarié pour se dédier pendant la période de garde sous régime d’astreinte à ses intérêts personnels. La CJUE donne deux exemples :
- Le salarié a la possibilité de se dédier aux autres activités différentes pendant la période de garde sous régime d’astreinte que celles que l’employeur lui demande.
- Le salarié n’est pas obligé de participer à l’ensemble des activités assignées pendant la période de garde sous régime d’astreinte.

La Cour de cassation.

La CC a suivi les derniers critères établis par la CJUE . La CC dit que les gardes sous régime d’astreinte peuvent être temps de travail effectif lorsque le salarié est soumis à des contraintes d’une intensité particulière et elles empêchent de manière significative et objective la faculté du salarié de gérer librement son temps.

La violation du droit français du régime d’astreinte de la Charte sociale européenne.

Le Comité européen des droits sociaux (à partir de maintenant : "CEDS"), tout en vérifiant le respect des États membres du Conseil de l’Europe à la Charte sociale européenne (ci-après : "CSE"), considère que le système français du régime d’astreintes viole le droit à une durée de travail raisonnable lorsqu’il assimile dans son intégralité une période d’astreinte à une période de repos. L’assimilation des périodes d’astreinte à la période de repos est une violation des articles 2.1 et 2.5 de la CSE.

L’article 2.1 CSE établit que pour assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les parties s’engagent « à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ». Ainsi, la CSE considère que les périodes d’astreinte pendant lesquelles le salarié ne doit pas intervenir au service de l’employeur, ne peuvent pas être assimilées aux périodes de repos sans aucune limitation.
Le CEDS considère, comme l’a fait la CJUE, que lorsque le salarié est empêché de se dédier aux activités résultant de son libre choix, par l’éventualité de recevoir un appel d’intervention de son employeur, a priori, le salarié n’a pas eu la libre disposition de son temps malgré le fait qu’il n’a pas réalisé un travail effectif.
L’article 5 de la CSE dit que les parties s’engagent

« à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région ».

La CSE considéré que l’astreinte peut avoir lieu pendant le dimanche.

Conclusion.

À mon avis, après avoir analysé ces préceptes juridiques, il faut que le CT français soit modifié tout en prenant en compte les derniers arrêts de la CJUE et la norme européenne. Grâce à cette modification, le problème d’une potentielle non-conformité de l’article L3121 du CT avec le droit européen pourrait disparaître. Je crois que l’interprétation conforme au droit européen ne suffit pas. Le problème vient de la rédaction actuelle des articles L3121-1, L3121-4 et L3121-10 du CT. La rédaction actuelle semble faire obstacle à une interprétation de l’article en conformité au droit européen.

Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat

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