Affaire du Médiator : un jugement correctionnel en demie-teinte.

Par Charles Joseph-Oudin, Avocat.

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Explorer : # scandale de santé publique # indemnisation des victimes # tromperie aggravée # négligence des autorités de santé

Le 29 mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement dans l’affaire du Médiator, en prononçant de nombreuses condamnations. Des indemnités importantes ont été accordées aux victimes, notamment de la tromperie aggravée. Ces indemnités restent cependant modiques et insignifiantes pour le laboratoire.

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Le 29 mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement dans l’affaire du Médiator, après plus de 10 ans de procédure (première plainte en décembre 2010). Ce jugement était très attendu dans ce scandale de santé publique majeur qui a fait des milliers de victimes et des centaines de décès.

A cette occasion, les sociétés du groupe Servier et leur ancien dirigeant Jean-Philippe Seta ont été reconnus coupables des chefs de tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires et condamnés aux peines d’amendes maximales compte tenu des faits qui leur étaient reprochés, et notamment en ce qui concerne les amendes délictuelles :
- Une peine de 75 000 euros pour Monsieur Seta ;
- Une amende de 2,7 millions euros pour les entreprises du groupe Servier impliquées dans l’affaire.

L’AFSSAPS, autorité de santé française, aujourd’hui dénommée ANSM, a également été déclarée coupable d’homicides et blessures involontaires en raison de ses fautes de négligence et d’imprudence dans l’exercice de son pouvoir de police sanitaire à l’encontre du groupe Servier. L’agence de santé a de ce fait été condamnée à une amende de 303 000 euros.

Un certain nombre d’experts ont également été condamnés à des peines de prison avec sursis et d’amende du fait des atteintes à la probité : en effet ces experts avaient des liens d’intérêt avec le groupe Servier alors qu’ils travaillaient, ou avaient travaillé au service des autorités de santé chargées de surveiller les laboratoires.

Parallèlement à ces peines, les Laboratoires et Monsieur Seta ont également, et surtout, été condamnés à l’indemnisation des victimes du Médiator et de leurs proches des préjudices en lien avec les dommages corporels subis, mais également du fait de la tromperie subie.

I - L’indemnisation des victimes de la tromperie.

A. Préjudice né de la violation du consentement.

Concernant le délit de tromperie aggravée, le Tribunal considère qu’il existe un préjudice tiré du dol contractuel pour toutes les personnes ayant consommé le médicament, indemnisé 10 000 euros chacun.

Celui-ci est caractérisé par la violation du consentement du consommateur qui est, en principe, en droit d’attendre du fournisseur du médicament « une sécurité absolue et à tout le moins une information loyale et explicite sur les risques encourus » .

Ce préjudice né de la tromperie est fondamentalement différent de celui qui résulte de l’atteinte à son intégrité corporelle : le patient consommateur de Médiator, même sans atteinte cardiaque, a été trompé par les Laboratoires Servier qui ne l’a pas correctement informé concernant la nature et les risques du produit.

B. Préjudice d’angoisse.

Le Tribunal a également considéré qu’il découle de la tromperie un préjudice d’angoisse liée à la délivrance tardive et inattendue des informations relatives aux risques mortels du Médiator, par la presse et l’agence de santé, pendant ou après la consommation du produit.

Ce préjudice est évalué, sans expertise, entre 10 000 et 50 000 euros pour les victimes directes, en fonction du temps de consommation du produit.

Ce préjudice d’angoisse s’ajoute donc à celui tiré de la violation du consentement des patient : chaque victime directe a été indemnisée entre 20 000 (10 000 de violation du consentement + 10 000 d’angoisse) et 60 000 euros (10 000 de violation du consentement + 50 000 d’angoisse) selon la durée d’exposition au produit.

Par ailleurs, l’angoisse est également caractérisée chez les proches de la victime directe (c’est-à-dire par exemple son conjoint ou ses enfants). De ce fait, ils ont été indemnisés, sans expertise, entre 5 000 et 20 000 euros par personne.

Dans les deux cas, il s’agit pour les victimes de démontrer la consommation du produit, et sa durée supérieure à 3 mois, en apportant une preuve par ordonnances, relevés de la caisse de sécurité sociale ou attestation du médecin prescripteur. Pour les victimes indirectes, il s’agissait de démontrer leurs liens d’affection avec la personne ayant consommé le produit.

Ainsi, au titre du préjudice né de la tromperie des Laboratoires, certaines familles ont touché, ensemble, des sommes supérieures à 150 000 euros.

II - Regards critiques sur les montants alloués aux victimes de la tromperie aggravée.

A- Des montants individuels satisfaisants.

Individuellement, pour la réparation des préjudices liés à la tromperie, ce jugement est très favorable aux victimes : les sommes allouées sont très importantes comparativement à la position habituelle des tribunaux.

Par exemple, pour les mêmes préjudices nés de la tromperie aggravée, dans l’affaire du sang contaminé, les victimes directes ont été indemnisées à hauteur de 300 000 francs, soit environ 68 000 euros [1]. En cela, le jugement rendu le 29 mars 2021 est plus favorable aux victimes.

De la même façon, le Tribunal correctionnel a accordé aux victimes de préjudices corporels du fait d’homicide et blessure involontaires des indemnisations plus importantes que celles reçues par les victimes se présentant devant le dispositif amiable de l’ONIAM, voir même devant le juge judiciaire.

En effet, le Tribunal pénal a utilisé le référentiel des Cours d’appel judiciaires, qu’il a même parfois dépassé, afin de procéder à l’indemnisation intégrale de leurs préjudices. A ce titre, les indemnisations allouées peuvent correspondre au double de ce qui est alloué, pour les mêmes préjudices, dans le cadre d’une procédure ONIAM. 

Au total environ 6 500 victimes ont été indemnisées pour un montant total de 158 millions d’euros. Il s’agit d’une somme inédite qui démontre que les juridictions françaises sont capables de rendre des décisions collectives pour un nombre très important de victimes et avec des enjeux financiers importants pour les industriels.

Cette décision n’est cependant pas exempte de critiques.

B - Une condamnation non significative pour le Laboratoire.

Sur le montant global des indemnités, les victimes ont constaté avec amertume que le montant alloué (158 millions d’euros) est en très net décalage avec le chiffre d’affaires des Laboratoires Servier d’environ 400 millions d’euros réalisé avec le Médiator seulement, pendant la période examinée par le tribunal. Ainsi, le Médiator restera un produit profitable pour Les Laboratoires Servier.

Il est vrai que le caractère lucratif des infractions, qui participe au préjudice moral des victimes, aurait pu conduire le Tribunal à augmenter encore le montant des indemnités versées à ces dernières. En effet, sur le terrain de l’indemnisation, contrairement aux peines et amendes, le Tribunal n’est limité par aucun maximum légal.

Les victimes ont trouvé que ce jugement manquait de profondeur et d’ambition pour envoyer un message ferme aux industriels du médicament alors que le Médiator a causé un scandale de santé publique majeur, ayant conduit à réformer en profondeur le fonctionnement des autorités de santé, les règles de l’évaluation du médicament et de prévention des conflits d’intérêt.

A ce titre, les victimes attendaient que ce jugement, par les indemnisations prononcées, puisse parachever les réformes légales pour rappeler, sur le terrain judiciaire, aux industriels que « le médicament n’est pas un produit comme un autre et la responsabilité du producteur est ici très lourde en terme de conséquences sur la santé publique » (citation du jugement du 29 mars 2021).

Une tribune de victimes, publiée dans le quotidien Libération du 2 avril 2021 précisait d’ailleurs :

« nous attendions un message juste et fort à l’égard de Servier mais aussi des autres industriels du médicament, des experts et des professionnels de santé, pour leur rappeler qu’il est impossible de faire des paris économiques sur la vie des patients ».

Plus encore, et au-delà du retentissement financier du délibéré, on peut regretter que toutes les victimes du Médiator n’aient pas été indemnisées. En effet, le jugement, par définition, ne traite que des consommateurs de Médiator qui se sont constitués partie civile à l’audience, et non pas des millions de patients traités par Médiator.

Pour celles qui n’ont pas pu se manifester, une action civile reste possible à l’encontre du laboratoire, soit dans le cadre de préjudices corporels imputables au Médiator, soit dans le seul cadre de l’anxiété en lien avec sa consommation.

Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’appel effectué par le Parquet quant à l’absence de reconnaissance de l’escroquerie du laboratoire à l’encontre de la sécurité sociale et de l’appel général des Laboratoires Servier, la procédure pénale est loin d’être terminée…

Charles JOSEPH-OUDIN
Avocat Associé
Dante
34 rue du Couëdic - 75 014 Paris
www.dante-avocats.fr
cjo chez dante-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1Voir Tribunal correctionnel de Paris 23 octobre 1992 et Cour d’appel 13 juillet 1993.

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