Abandon de poste et démission : le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail.

Par Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat.

19039 lectures 1re Parution: 3 commentaires 4  /5

Explorer : # abandon de poste # démission # présomption de démission # code du travail

En France, une présomption de démission a été créée par la loi sur le marché du travail, laquelle est entrée en vigueur le 23 décembre 2022 pour faire face « au phénomène d’abandon de poste qui semble aller croissant ». Plusieurs des entreprises françaises sont en difficultés organisatrices pour faire face aux départs du jour au lendemain des salariés.

-

Lorsqu’un salarié abandonne volontairement son poste du travail, de manière imprévue et injustifiée et il ne reprend pas ses fonctions, une démission de ce dernier sera présumée. La particularité du départ volontaire du salarié, à différence de ce qui se passe avec le licenciement, est que le premier n’ouvre pas la voie de recevoir une allocation de retour à l’emploi puisqu’il s’agit d’être privé volontairement d’emploi. À travers de cette présomption, le législateur français cherche à dissuader le salarié à abandonner son poste de manière injustifiée.

La démission du salarié, les requis et la différentiation de la prise d’acte.

On pourrait définir la démission du salarié comme l’inverse du licenciement. Si le licenciement est un acte de rupture unilatérale de l’employeur, la démission est la rupture unilatérale du contrat du travail émanant du salarié.

Le salarié dispose d’une faculté de rompre unilatéralement le contrat du travail fondé par la prohibition du travail forcé et l’esclavage. Le principe fondamental de la liberté du travail est un droit constitutionnel en France. Ainsi, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dans son article 5 reconnaît le « droit de chacun à travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

Quand un salarié développe sa prestation de services au sein de l’entreprise en échange d’une rémunération, plusieurs problèmes peuvent apparaître. Entre autres, confits avec la hiérarchie, le non-paiement des salaires, des expectatives non accomplies ou malaises au sein de l’entreprise.

Pour qualifier un acte de rupture comme démission, trois requis doivent être remplis :
- La volonté de démissionner du salarié doit exister. Le salarié doit exprimer à l’employeur de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à la relation du travail. En D autres mots, la démission du salarié de démissionner doit résulter de sa propre et libre volonté.
- La volonté de démissionner exprimée doit être libre. Ce requis cherche à empêcher un salarié de démissionner contre sa véritable volonté.
- Le préavis. En cas de démission, il faut respecter le délai fixé par la loi ou par la convention ou accord collectif du travail (L1237-1 CT). Si le salarié ne respecte pas le préavis de démission, ce dernier peut être condamné à verser une indemnité à l’employeur. Cette indemnisation, par règle générale, est les salaires que le travailleur aurait dû percevoir s’il avait exécuté le préavis.

On ne doit pas confondre la démission et la prise d’acte du salarié. La prise d’acte par le salarié consiste en la rupture du contrat du salarié en raison de manquements imputés à l’employeur et le premier saisit le juge pour que ce dernier statue sur les reproches faits à son employeur. La prise d’acte permettra au salarié de quitter rapidement son travail sans préavis. La démission peut être requalifiée comme prise d’acte lorsque la démission est motivée par les faits de l’employeur.

La création d’une nouvelle présomption de démission : l’article L1237-1-1 du Code du travail.

L’Assemblée nationale française a adopté, le 15 novembre 2022, par 242 voix contre 91, et le Sénat le 17 novembre 2022, une loi qui porte mesures d’urgence au fonctionnement du marché du travail.

La nouvelle rédaction de l’article L1237-1-1 CT dispose :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ».

Ainsi, pour que cette présomption opère, les conditions suivantes doivent être remplies :
- L’employeur a mis en demeure le salarié pour qu’il justifie son absence et reprend son poste dans un délai donné. Ce délai fixé ne peut pas être contraire à un minimum fixe par décret par le Conseil d’État.
- Une fois ce délai fini, le salarié n’a pas repris son poste. Si le salarié reprit son poste du travail avant que le délai expire, il ne sera pas considéré comme démissionnaire. Mais l’employeur aura la possibilité d’utiliser son pouvoir disciplinaire et licencier au salarié pour faute grave.
- Le salarié n’a pas justifié son absence. En droit français, il y a certaines causes qui justifient l’absence du salarié de son poste de travail, comme les événements familiaux (L3142-1 et L3142-2 CT).
- L’abandon du poste doit être volontaire. Le Conseil constitutionnel a rappelé que l’abandon du poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire s’il y a un motif légitime de justification, tel que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exercer une instruction contraire à la réglementation ou le refus d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail.

Avant de l’adoption de cette loi, lorsqu’un employeur se trouvait avec le problème d’un salarié qui abandonnait son poste du travail, il se trouvait face au problème de quelle décision prendre pour trouver une solution. Le salarié avait commis une faute, laquelle pourrait avoir comme conséquence l’imposition d’une sanction. Entre ses possibilités, l’employeur pouvait sanctionner au salarié si l’absence était injustifiée avec le licenciement.

Le Conseil constitutionnel a considéré l’article L1237-1-1 CT conforme à la Constitution française.

La qualification de la rupture : prise d’acte et licenciement sans cause réelle et sérieuse ou démission.

Concernant le plan procédural, le salarié aura la possibilité de contester la rupture de son contrat du travail tout en saisissant le Conseil de prud’hommes. Le salarié pourra renverser cette présomption lorsqu’il apporte la preuve que l’abandon de son poste était dû à un motif légitime. Le Conseil de prud’hommes devra statuer sur le fond dans un délai d’un mois.

A la fin de cette procédure, il y a deux possibilités :
- La démission est reconnue. Il y a une démission lorsque la rupture est due et voulue par le salarié indépendamment de tout différend survenu avec l’employeur.
- La présomption est renversée et les effets produits sont d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par exemple, si la démission s’est produite par le non-paiement du salaire de l’employeur au salarié.

Problèmes de ce nouvel article.

Malgré la clarté de la fin du législateur français avec cette dernière réforme du CT, plusieurs doutes peuvent se présenter de l’application de cette présomption :
- La démission du salarié ne se présume pas. La Cour de cassation française a répété plusieurs fois que la démission ne se présume pas, car il doit s’agir d’une volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner.
- Ce nouveau texte pourrait inciter une augmentation de la « démission silencieuse ».

Plusieurs salariés, lorsqu’ils souhaitent abandonner son poste du travail et ils ne trouvent pas le mécanisme approprié, comme la rupture conventionnelle, ils pourraient décider par se rendre au travail sans rien travailler ou tout en faisant le minimum des fonctions.

Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

34 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • par Séverine , Le 15 juin 2023 à 11:15

    BONJOUR
    SUITE a la lever de la suspension vaccinal je n’est pas repris mon poste d’aide a domicile. avant cela j’ai demandé plusieurs fois une rupture conventionnel a mon employeur ; qui les as toutes refusé .
    maintenant il m’indique que je suis en présomption de démission, ce que je refuse .

    quelle attitude ou procédure puis je mettre en place ?? merci pour votre retour

  • par Laurent , Le 30 janvier 2023 à 16:24

    Le décret n a pas été publié.
    La loi s applique t elle ?

  • par dinetoff , Le 30 décembre 2022 à 05:29

    Il est vrai qu’avant, l’abandon de poste facilitait le départ d’un salarié qui ne se sentait pas bien à son travail et que le fait d’abandonner son poste, cela arrangeait l’employeur qui ne voulait pas faire de rupture conventionnelle car cela coûtait cher à l’employeur.
    Maintenant, n’avez-vous pas peur qu’il y est beaucoup plus d’arrêt maladie ou de suicides ou tout simplement que que l’employeur fasse en sorte de pousser le salarié à partir en lui faisant faire des heures et des heures, ou au contraire ne pas lui en faire faire et donc gagner moins...? Harcellement moral ? Cela est très difficile à prouver.... quel choix au salarié Maintenant ? Je parle juste pour ceux qui pensent tout bas.... car j’en ai connu des personnes qui ont fait abandon de poste en fin de carrière car ils n’en pouvaient plus....l’employeur faisait en sorte de les faire partir comme ça car la rupture conventionnelle était refusée....

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs